Saint Vincent

Fête le 22 janvier

Diacre de Saragosse


Légende de la gravure

Les anges soignent les blessures de saint Vincent dans sa prison et lui présentent la palme. Le geôlier est saisi d’étonnement à la vue de ce prodige.


I

Pourquoi saint Vincent fit de rapides progrès dans les sciences

C’est à Saragosse, et vers la fin du troisième siècle, que naquit saint Vincent. Ses parents, vrais chrétiens, songèrent avant tout à conserver à Dieu l’enfant qu’ils lui devaient. Pour se faciliter la tâche, ils le remirent de bonne heure entre les mains de leur évêque. Ainsi préparé et sauvegardé par une vie innocente, l’enfant fit de rapides progrès, son intelligence virginale s’ouvrit sans peine à la vérité, et il n’avait pas encore vingt-deux ans que déjà il siégeait parmi les maîtres. Il montra, du reste, qu’il en était vraiment digne en renonçant aux frivolités de ce monde pour s’attacher au seul bien solide : le service de Dieu.

Le pasteur qui l’avait nourri en fit son diacre, et se déchargea sur lui du soin de rompre au peuple le pain de la parole.

A l’exemple des Apôtres, notre saint fit germer par ses sœurs, et plus tard par son sang la foi de Jésus-Christ.

II

La fourberie et la cruauté se liguent contre Vincent

Le grec Dacianus avait mérité, par son aversion et sa haine du christianisme, le proconsulat d’Espagne.

- C’était un suppôt de l’enfer, dit Siméon Métaphraste, que Satan avait pétri d’astuce et de sauvage impiété.

Loup cruel, il était venu dans sa province altéré du sang des brebis innocentes du Christ. Il s’attaqua d’abord aux bergers, afin de pouvoir ensuite anéantir le troupeau tout entier.

Saint Vincent et son évêque furent arrêtés des premiers.

Expérimenté déjà dans l’art des persécuteurs, Dacianus ne voulut pas les livrer sur l’heure au supplice.

- Si je ne commence pas, se dit-il, par user leur force et leur volonté dans des travaux accablants, je suis sûr de ma défaite.

Il fit donc charger ses captifs de lourdes chaînes, et voulut qu’on les menât à pied jusqu’à Valence. Les soldats qui les conduisaient, devaient encore ajouter à leurs souffrances celles de la faim, de la soif et des mauvais traitements.

Au terme de ce laborieux pèlerinage, le tyran n’était pas encore satisfait. L’évêque, épuisé, ne semblait vivre que pour avoir le temps de poser sur ses cheveux blancs la couronne du martyre.

Vincent, dans la force de l’âge, avait résisté davantage, et Dacianus n’osait pas encore se mesurer avec lui. Aussi ordonna-t-il d’enfermer les vaillants confesseurs dans une obscure prison, de les resserrer dans des liens étroits et de redoubler leurs privations.

III

Un long miracle. – Souffrir et ne pas mourir

Le proconsul ne voulut pas laisser mourir ses victimes sans leur infliger de nouveaux tourments. Il se fit donc ramener les captifs quand il les crut assez accablés. Cruelle déception ! les deux saints sont pleins de force et de santé ! Comme pour Daniel, le jeûne a été pour eux plus salutaire que les festins !

- Pourquoi donc, demande le juge en fureur, a-t-on nourri ces criminels dans l’abondance ?

C’est en vain que les geôliers protestent de leur entière obéissance, l’impiété forme pour Dacianus un nuage qui lui dérobe la splendeur du miracle. Mais il n’était plus temps de reculer.

- Que fais-tu, dit-il à l’évêque, que machines-tu contre l’Etat sous prétexte de religion ? Ceux qui méprisent les décrets impériaux méritent la mort, ne le sais-tu pas. Puisque nos maîtres ordonnent que tu offres des libations aux divinités augustes qui président au tribunal, obéis sur l’heure et que les chrétiens apprennent par ton exemple à respecter nos souverains ?

- Pour toi, Vincent, que ta naissance et ta brillante jeunesse me rendent si cher, crois à mes sages avis. Allons, quel parti prenez-vous, répondez ? Les plus grands honneurs récompenseront une prompte soumission, si non, les tourments vaincraient toute folle résistance.

L’évêque se tut, car, malgré sa profonde sagesse, il avait toujours été d’une grande candeur et simplicité, et, de plus, la vieillesse avait presque glacé sa langue.

- Si vous le permettez, mon Père, lui dit alors Vincent, je repousserai en votre nom ces suggestions impies ?

- Autrefois, bien-aimé fils, reprit le Pontife, je t’avais confié le soin de répandre la foi, je t’arme aujourd’hui pour la défendre.

Plein de la pensée de l’immortalité qui l’attendait, le bienheureux diacre répondit à Dacianus :

- Tu as pris trop de peine pour nous faire apostasier. Renoncer à sa foi, blasphémer son Dieu pour sauver sa vie, c’est une prudence qui nous est inconnue. Sans aller plus loin, je te déclare que nous resterons chrétiens, serviteurs et témoins du vrai Dieu, qui vit dans tous les siècles, et qui nous aide par sa grâce à mépriser tes promesses, tes menaces et tes supplices. Nous mourrons joyeusement pour la vérité, car de telles souffrances nous vaudront le diadème des élus ; le trépas nous ouvrira la véritable vie. Que cette chair mortelle serve donc de pâture à la rage infernale ? Notre âme restera toujours fidèle à son créateur.

« C’est Satan l’homicide insatiable qui vous pousse à nous persécuter. Non content d’avoir ravi aux hommes la paix de l’immortalité, il voudrait encore leur enlever la béatitude que le Christ est venu leur offrir. Hélas ! il ne réussit que trop près de vous ! il s’est fait votre idole, car il ne voulait pas qu’une humble obéissance vous ramenât au Dieu dont son orgueil l’a éloigné. Mais, tandis que vous l’adorez, nous le chassons honteusement du corps des possédés et il ne vous soulève contre nous que pour venger ses humiliantes défaites. »

Dacianus a peine à se contenir tant il est courroucé.

- Qu’on emmène l’évêque en exil, mais quant à ce rebelle qui nous vient outrager jusqu’en public, appliquez-le à la question ! s’écria-t-il. Pour prélude de ce que je lui réserve, étendez-le sur le chevalet et brisez tous ses membres.

Tandis que, sous l’action des cordes et des roues, tous les nerfs du martyr se rompaient, tous ses os se disjoignaient, le gouverneur répétait ironiquement :

- Eh bien ! Vincent, dis-moi quelle est ta foi, maintenant ?

- Tu réalises aujourd’hui, répond le généreux athlète, le plus ardent de mes vœux, aussi m’es-tu le plus cher des amis. Toi seul réponds à mes désirs, et m’élèves au-dessus de tes princes sacrilèges pour lesquels tu me donnes l’occasion de manifester mon mépris. Je t’en conjure ne diminue pas mon triomphe ; je suis prêt à tout pour l’amour de mon Dieu. Laisse-toi donc emporter par ton zèle, laisse libre cours à ta rage, avec l’aide du ciel la patience de la victime fatiguera la malice du persécuteur même. Tes fureurs me conduisent à la gloire, aussi ma résignation c’est ma vengeance.

Le tyran, exaspéré, saisit des verges et flagelle ses licteurs « trop lâches et trop timides dans leur besogne », dit-il.

Alors Vincent regardant doucement son juge :

- Je vous remercie du service d’ami que vous me rendez de frapper ceux qui me frappent et de maltraiter ceux qui me maltraitent.

C’était jeter l’huile sur le feu.

De hauts cris s’échappèrent de la bouche du magistrat. Il grince des dents et déchire le saint de ses coups, tandis que ses satellites, furieux du châtiment qu’ils ont reçu, s’acharnent aussi sur lui.

Enfin, ceux-ci s’arrêtent tout essoufflés, à bout de force, ruisselants de sueur et tellement oppressés qu’on les eût plutôt pris pour des patients que pour des bourreaux. Pâle, tremblant lui-même, les yeux étincelants, Dacianus s’écrie :

- Non, je ne vous reconnais plus ! Vous avez triomphé des homicides, vous avez forcé les parricides et les magiciens à dévoiler leurs complots, les adultèrent n’ont pas pu vous cacher leurs secrets honteux, et vous qui contraignez ainsi les autres criminels à confesser ce qui doit les conduire à la mort, vous ne pouvez faire taire un chrétien ! Reprenez donc votre haleine un instant, mais recommencez bientôt à déchirer avec des ongles de fers, cet ennemi des dieux, et faites enfin changer ses bravades en plaintes et en gémissements.

Souriant encore, Vincent répondit :

- Oui, certes ! les impies ont des yeux, mais ils ne voient pas ; ils entendent, mais ne comprennent pas. Quoi ! l’on me persécute parce que je confesse Jésus-Christ, fils unique du Père tout-puissant, qui ne forme avec Lui et le Saint-Esprit qu’un seul et même Dieu ? Voudriez-vous que je cache la vérité ? Je comprendrais vos supplices si je mentais, si j’adorais vos empereurs. Mais non, continuez, je vous prie, ma constance vous prouvera, malgré vous, la sublimité de ma foi et le néant de vos divinités. Vos idoles ne sont que bois et que pierre. Esclaves de la mort, servez si vous voulez, ces simulacres inanimés ; pour moi, qui vit par le Christ, je ne sacrifie qu’au Dieu vivant, qui est béni dans tous les siècles. – Amen.

C’en est trop ! Dacianus transporté par la rage conserve à peine l’aspect d’un homme ! De son regard enflammé il cherche sur le corps du martyr un endroit où il puisse frapper encore ! C’est en vain, comme son divin maître, le serviteur n’est plus qu’une plaie « et de la plante des pieds au sommet de la tête, il n’y a plus en lui un endroit qui soit sain, - ses entrailles sont à découvert : on aperçoit tous ses os rompus et disjoints, et son sang coule à flots.

Un tel spectacle touche le tyran lui-même : « Aïe pitié de toi Vincent, ne méprise pas ainsi la jeunesse dans sa fleur ! Tu n’es encore qu’à l’entrée de la vie, n’abrège pas ta route ! cède enfin ! épargne-toi de plus durs châtiments ».

Le Sauveur avait dit : « Quand vous paraîtrez devant les tribunaux pour la gloire de mon nom, l’Esprit-Saint lui-même parlera par votre bouche. La réponse du bienheureux diacre fit comprendre aux chrétiens présents, que cette promesse s’était réalisée pour lui.

- Langue de vipère, s’écria-t-il, pourquoi tentez davantage mon Seigneur et mon Dieu. Je crains plus ton poison que toutes les tortures ! Punis-moi donc ! épuise sur moi les dernières ressources de ta cruauté je te montrerai que la foi du chrétien lui communique une force invincible, et change pour lui les amertumes en consolation. N’avons-nous pas pour nous soutenir ces paroles du rédempteur :

- Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent rien sur l’âme. N’épargne donc rien afin que tu puisses avoir honte d’avoir été vaincu jusqu’au bout.

- Oui, reprit Dacianus, donnons-lui tout ce qu’il mérite, et si sa vie résiste à ces dernières épreuves, brisons-lui au moins jusqu’au dernier des membres.

Quelle allégresse répond Vincent ! ces menaces m’annoncent un triomphe d’autant plus grand ! Oui Dacianus, plus tu veux être cruel envers moi, plus tu deviens doux et miséricordieux.

Le gouverneur se retira pour éviter ces invectives qui le couvraient de confusion.

Cependant on a préparé un immense gril de fer, dont les barres sont autant de scies aux pointes acérées. On le place sur un brasier ardent, et bientôt il lance des étincelles comme un charbon enflammé. Les bourreaux détachent leur héroïque victime du chevalet. Avant qu’ils aient pu la saisir, elle se précipite d’elle-même sur ce lit de tourments inexprimables. Néanmoins ce n’est pas tout encore. On passe avec des lames rougies au feu, sur les parties qui n’adhèrent pas à l’instrument du supplice, et les verges des licteurs font voler les chairs brûlées.

Tandis que le sang et la graisse du martyr excitent la flamme, on y jette encore du sel, et le sel sous l’action du feu, va porter la souffrance jusqu’au plus intime de son être. Les blessures s’ajoutent aux blessures, mais l’homme de Dieu reste toujours souriant, immobile et les yeux fixés au ciel. Il se réjouit sans doute d’éviter par là les purifications mille fois plus aiguës de l’autre vie.

Dacianus suivait toutes les péripéties de ce drame et à chaque instant il se faisait rapporter les paroles ou les actes de Vincent.

- Nous avons essayé tous les tourments en usage, lui dirent à la fin ses soldats consternés, le chrétien cependant, toujours ferme et joyeux, continue à confesser Jésus-Christ.

- Qu’importe, nous ne sommes pas encore vaincus, répondit le tyran. Cherchez le réduit le plus étroit, le plus bas, le plus obscur, le plus fétide, la prison des prisons en un mot. Semez-la de débris de pots et de verres et jetez y ce rebelle. Qu’il ne puisse pas faire un mouvement sans se déchirer, qu’il n’évite une douleur que pour retomber dans mille autres

On obéit sur l’heure, et bientôt l’invincible athlète est étendu dans le plus horrible des cachots. Sans crainte de le voir échapper, ses gardes se laissent aller dès la première nuit aux douceurs du sommeil.

Mais déjà les tribulations de Vincent tournent à sa gloire. Une brillante clarté dissipe les ténèbres qui l’enveloppent ; ses liens se rompent, sa couche devient douce et moelleuse, et il se met à chanter des psaumes et des hymnes d’allégresse. Les voix des anges s’unissent à la sienne, et, au milieu de ce concert divin, le bienheureux diacre entend ces mots : « Réjouis-toi ! celui qui t’a soutenu dans la lutte a préparé ta couronne. Bientôt ton âme, libre du joug de la chair, va prendre place parmi nous. »

Au bruit de cette harmonie céleste, les geôliers se réveillent effrayés. La lumière déborde à travers les fentes de la porte qu’ils ont refermée sur le captif et ils le voient, quoique couvert de blessures, chanter et marcher sans entraves. Son antre obscur est devenu un foyer lumineux et sous ses pieds les fers brisés sont changés en un tapis verdoyant. Atterrés par ce prodige, ils se jettent aux pieds du saint, lui demandent pardon d’avoir contribué à ses souffrances, abjurent le paganisme et confesse que le Dieu des chrétiens est le seul et vrai Dieu. Merveilleuse fécondité ! le grain de froment n’était pas encore mûr, et déjà il avait porté ses fruits.

Ces heureuses nouvelles attirèrent les fidèles et, après les premières effusions de la joie, ils entonnèrent un cantique d’actions de grâces…

- Oui, réjouissez-vous ! répétait Vincent pour les animer. Louez le Christ, toujours vainqueur dans ses saints !

IV

Ou souffrir ou mourir

Au bruit de tant de miracles, Dacianus tomba presque étouffé de rage. Torturer son captif, c’était travailler à sa gloire. Il le comprit, aussi voulut-il recourir aux bienfaits. « La douceur, pensait-il, domptera peut-être l’orgueil de ce misérable. »

Changeant de méthode, il fit placer le martyr dans un lit moelleux, l’entoura de médecins et de remèdes. Mais à peine eût-il senti cet adoucissement que l’âme victorieuse de Vincent s’envola dans les cieux. Elle refusait d’animer plus longtemps un corps que l’on ne voulait plus par la souffrance faire servir à la gloire de Jésus-Christ.

Ce trépas inattendu qui décevait une fois de plus les espérances du tyran, redoubla sa fureur et sa folie.

- Si pendant sa vie, s’écria-t-il, cet homme m’a toujours humilié, je veux au moins me venger sur son cadavre. Qu’on le jette hors des murs, qu’il devienne la pâture des bêtes fauves et des oiseaux de proie.

V

Un argument divin contre ceux qui nient la sainteté des reliques

Les précieuses reliques furent donc abandonnées dans la campagne et quelques soldats veillèrent à ce qu’on n’allât point les enlever.

Mais la sagesse de Dieu se rit des complots des méchants. Un corbeau vint s’abattre sur le corps de l’illustre victime et s’en fit le défenseur. Il s’attaquait vaillamment aux vautours, aux aigles, et les chassait à force d’audace et de coups. Bien plus, il se précipita même un jour sur un loup et lui déchira tellement la tête que la bête cruelle s’enfuit ensanglantée. Mais elle cédait moins à la force miraculeuse de son faible ennemi qu’au regard menaçant d’un ange qui se tenait tout près de là armé d’un glaive étincelant.

- Quoi donc ! s’écria le gouverneur, ce chrétien me poursuivra même après sa mort ? Ensevelissez-le au fond des eaux ! Qu’il soit enfermé dans un sac comme un parricide et jeté à la mer.

Le courtisan Eumorphius, aussi cruel et impie que son maître, se chargea de trouver des matelots que la vue de l’or lui ferait consentir à cet infâme sacrilège.

Les restes de Vincent furent placés dans une barque et précipités dans les flots après une journée de navigation au large.

Les marins revenaient tout joyeux dans l’attente d’une haute récompense, et ils célébraient leur victoire dans des propos ironiques et impies. Mais quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils retrouvèrent en mettant pied à terre le corps de celui qu’ils croyaient avoir submergé pour toujours.

La main du Christ l’avait ramené afin de réclamer pour lui les honneurs de la sépulture.

Déjà, en effet, le bienheureux Vincent avait révélé à un chrétien l’endroit où l’on trouverait sa dépouille mortelle. Celui-ci, craignant la colère de Dacianus, n’osait pas recueillir ce dépôt sacré.

Une veuve, d’un grand âge et d’une grande vertu, se montra plus courageuse. Elle courut à la plage et trouva les restes du martyr au lieu qui lui avait été indiqué dans une extase. Elle les enveloppa dans son manteau et, grâce sans doute à un secours divin qui la dérobait aux yeux des hommes, elle put aller les ensevelir dans une église chrétienne et les offrir à la vénération des fidèles.

Telle était la sainte confession du martyr saint Vincent. Tels sont les religieux combats qu’il soutint pour l’amour de Jésus-Christ, notre Dieu, à qui soit louange et honneur dans les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.