Saint Théodote

Fête le 18 mai

Patron des hôteliers


Saint Théodote est peu connu. Sa vie, racontée par un chrétien de son temps, le bon Nilus, son ami et son compagnon de captivité, est cependant un récit intéressant qui trouverait de nos jours de grandes applications. Ce serait un bel exemple à offrir à ses disciples les hôteliers, qui, généralement, sont loin de continuer les traditions de leur saint patron.

La jeunesse de saint Théodote se passa tout entière sous la sage direction de Técusa, sa parente, qui avait voulu garder la virginité pour mieux se consacrer à son éducation. Dès son âge le plus tendre, il donna de grands exemples de vertu, justifiant ainsi le nom qu’il avait reçu à son baptême (Théodote, Voué à Dieu).

Lorsqu’il s’agit pour lui de se choisir une profession, il ne chercha point la plus lucrative. Ce qu’il lui fallait, c’étaient les occasions de faire le bien et de travailler au salut des âmes. Que de gens, en quête d’une position, feraient bien de prendre modèle sur saint Théodote !

Le choix de notre saint se porta donc sur la profession d’hôtelier, qui, plus que tout autre, pouvait devenir entre ses mains un véritable apostolat. Marié quelque temps après, il trouva dans sa femme un auxiliaire précieux. Tous deux inspiraient tellement le respect de la vertu, que, même en ce temps de paganisme, on n’aurait pas osé proférer en leur présence une parole inconvenante. Son hôtellerie était devenue une maison de prière où l’on ne pouvait passer sans ressentir une influence mystérieuse qui vous poussait au bien. Grâce à son affabilité, Théodote eut bientôt une nombreuse clientèle. Il s’en réjouit pour les pauvres qu’il visitait souvent, leur apportant avec la nourriture du corps celle de l’âme, mille fois plus précieuse.

Un tel état de choses ne pouvait durer longtemps sans exciter la fureur du démon. L’exécuteur de sa vengeance fut le préfet d’Ancyre, Théotecnus, envoyé par Dioclétien en Galatie pour y exterminer la race odieuse des chrétiens. A peine en possession de son gouvernement, le préfet fit afficher sur la place publique les édits impériaux en menaçant de mort quiconque oserait les violer. Sept vierges, parmi lesquelles se trouvait Técusa, alors âgée de soixante-dix ans, furent les premières à affronter la colère du tyran. Torturées de la façon la plus barbare, elles préférèrent mourir plutôt que de renoncer à leur foi, et furent précipitées dans le lac qui avoisine la ville d’Ancyre.

Cette persécution si violente ne fut pour notre saint qu’une occasion de plus de redoubler son zèle apostolique. Sa taverne devint désormais un asile assuré pour les prêtres et les chrétiens poursuivis. Plein d’ardeur au milieu du découragement général, il ne cessait d’exhorter les faibles à la lutte et leur montrait lui-même l’exemple en visitant les prisonniers et recueillant, à la face des persécuteurs, les reliques des saints martyrs.

Un jour qu’il parcourait la campagne pour vaquer à cet exercice de charité, ses compagnons l’ayant devancé, rencontrèrent un saint prêtre du voisinage, nommé Fronton. En les apercevant, le vénérable vieillard s’arrêta, comme frappé d’étonnement ; puis, s’avançant vers eux : « Je vous en supplie, leur dit-il, laissez-moi contempler de plus près vos visages. Oui, ce sont bien là les traits, la taille, l’attitude de deux hommes que j’ai vus en songe cette nuit même. Ils m’ont dit en m’abordant qu’ils apportaient un trésor à cette contrée. Parlez, je vous en conjure. Mon rêve est-il une illusion ou un avertissement du ciel ? » Surpris, les compagnons de Théodote se regardaient en silence lorsque l’un d’eux s’écria : « Vous l’avez dit, mon père ; nous avons avec nous un trésor, ou plutôt, un homme plus précieux que tous les trésors, le saint du pays, Théodote. Le voici qui s’avance vers nous. » Au comble de la joie, le prêtre accourt au-devant de notre saint et raconte son rêve en l’invitant à partager son frugal repas.

Au moment de se séparer, Théodote se tourne vers Fronton : « Ne trouvez-vous pas, lui dit-il, ce lieu admirable pour recevoir les corps des saints martyrs ? Il faut que vous vous occupiez sans retard d’y élever une chapelle où les fidèles puissent les vénérer ». - « Très bien, répliqua le prêtre, mais pour cela il faudrait avant tout avoir des reliques ». - « Ne vous inquiétez point. Devant Dieu je vous jure que vous en aurez bientôt. Acceptez mon anneau comme gage de cette promesse. »

A peine de retour à Ancyre, Théodote apprit la mort de Técusa et de ses compagnons. Loin de l’attrister, cette nouvelle le remplit d’une joie profonde ; il n’eut plus qu’une pensée : rendre aux sept vierges les honneurs de la sépulture.

Prenant donc avec lui son cousin Polychronius, il se dirigea en toute hâte vers le lac où les corps des martyrs avaient été jetés. A ce moment la nuit était venue. Théodote, accablé de fatigue, entre chez un chrétien de sa connaissance et se jette sur un lit de repos. Tout à coup, au milieu de son sommeil, Técusa lui apparaît, environnée de l’éclat des bienheureux. « Eh quoi ! lui dit-elle ; est-ce là le prix de mon dévouement pour toi ? Ignores-tu que, tandis que tu reposes, mon corps gît au fond des eaux, privé de sépulture ? Hâte toi donc de le retirer et de le porter en lieu saint, car le temps presse. Deux jours encore et nous serons réunis ».

Réveillé en sursaut, Théodote obéit à la voix de sa parente et, suivi de plusieurs chrétiens se dirige vers le lac.

Jusqu’alors la nuit avait été très noire : pas une étoile ne brillait au ciel. Soudain, une croix lumineuse apparaît du côté de l’Orient, projetant de tous côtés des rayons éblouissants. Prosternés dans la poussière, les chrétiens adorent le Christ leur manifestant sa puissance et le supplient de les aider dans leur difficile entreprise.

Lorsqu’ils se relèvent, la croix avait disparu. On voyait à la place une lumière douce qui, semblable à la colonne de feu chargée de guider Israël dans le désert, leur indiquait la direction du lac.

Au même instant, deux hommes couverts de riches vêtements, à la barbe et aux cheveux blancs, apparaissent au sein d’un nuage et, s’adressant au saint homme : « Confiance, Théodote, lui disent-ils, le Seigneur Jésus-Christ a entendu ta prière et vu tes larmes. Il a écrit ton nom dans le livre des martyrs. C’est lui-même qui nous a envoyés pour te recevoir dans notre glorieuse phalange. Va donc sans crainte jusqu'à l’étang. La protection du Très-Haut t’accompagne. »

Cependant les chrétiens poursuivaient leur route. Ils s’approchaient déjà du lieu où les soldats veillaient sur les saintes reliques, lorsque soudain le tonnerre se fit entendre. De nombreux éclairs accompagnés d’une pluie tempétueuse déchirèrent la nue. - Les gardes commençaient déjà à s’effrayer.

A ce moment, un guerrier à la taille puissante, couvert d’une armure où jaillissaient des gerbes de flammes, apparut dans les airs et s’élança sur eux, une pique à la main. Affolés de terreur, ils s’enfuirent laissant Théodote libre de poursuivre son dessein.

Le vent soufflait avec une telle violence que les eaux, soulevées jusque dans les profondeurs de l’abîme, se rejetaient sur la rive opposée, laissant à découvert l’endroit du lac où les martyrs avaient été précipitées.

Théodote et ses compagnons s’élancent donc sans hésiter. Ils coupent les cordes qui retiennent les dépouilles sacrées des sept vierges et, les prenant respectueusement entre leurs bras, les portent au « martyrium des Patriarches » où ils les ensevelissent.

Le lendemain, la nouvelle de l’enlèvement des saints corps se répandit dans toute la ville et y produisit une vive agitation. Polychronius eut la fâcheuse idée de se déguiser en paysan pour aller voir sur la place publique ce qui se passait. Il fut reconnu, arrêté, conduit au Préfet, et, comme il commençait à faiblir, on lui montra le glaive. A cette vue le malheureux se rendit, et, après avoir sacrifié aux idoles, avoua tout ce qui lui fut demandé.

Théodote, averti de cet événement, comprend que son heure est venue. Mais avant d’affronter le terrible combat, il a recours une fois encore à la prière et demande humblement à ses frères de vouloir bien l’assister dans cette suprême préparation. Tous sont profondément émus ; mais lui, tout à fait calme, se met à prier : « Seigneur Jésus-Christ, dit-il à haute voix, faites que mon sang soit le dernier versé ; je vous l’offre au nom de tous les chrétiens menacés de mort. Allégez leur fardeau en le mettant tout entier sur mes épaules, et que ceux qui croient en vous jouissent enfin du repos et d’une parfaite tranquillité ».

Les fidèles pleuraient en lui exprimant de touchants adieux. Mais le saint les consola en leur rappelant les biens éternels qu’il allait conquérir, et les ayant embrassés, il courut se livrer aux mains des persécuteurs.

Conduit au tribunal, il y parut avec une calme intrépidité, le visage serein et sans plus d’émotions que s’il fût aller s’asseoir à son propre foyer. Cette conduite étrange déconcerta Théotecnus. En face de cette volonté ferme, il sentit que la violence n’aboutirait à rien. Il eut donc recours à des voies d’insinuation. Mais le sceau de la grâce avait trop profondément gravé son empreinte dans l’âme du Saint pour que cette manœuvre réussît auprès de lui. « Trèves de ménagements, s’écria-t-il, avec un accent de liberté chrétienne qui irrita le tyran. Je suis chrétien : juge moi comme tel. »

Furieux d’une telle réponse, le préfet ne se retint plus :

« Misérable chrétien ! tu oses lever la tête devant le représentant des Césars ! C’est ainsi que tu accueilles les égards que j’ai pour toi ? Ah ! tu sentiras le poids de ma colère. »

Et, se retournant vers les bourreaux rangés au pied du tribunal.

« Il est à vous maintenant, faites votre devoir. »

En un clin d’œil Théodote est dépouillé de ses vêtements. On l’étend sur le chevalet et on lui laboure les flancs avec des crocs de fer. Lui, souriant au milieu de ses tortures, excite l’ardeur des bourreaux et provoque par ses paroles hardies la rage du proconsul : « Invente de nouveaux tourments, lui dit-il, ne vois-tu pas que ceux-là me laissent impassible ? Apprends donc ce que vaut l’assistance de Jésus-Christ. »

Exaspéré, Théotecnus ordonne de lui frapper les mâchoires et de lui briser les dents : « Insensé, répond le Saint, alors même que tu me couperais la langue, Dieu m’entendrait-il moins ? Les chrétiens parlent à Dieu par le cœur. »

Voyant que ce supplice déjà si barbare ne peut ébranler la constance du martyr, le préfet le fait jeter sur des fragments de poterie chauffés à blanc, qui lui déchirent tout le corps. Quelques-uns pénètrent même jusque dans les entrailles. Au milieu des souffrances atroces qu’il endure, le saint martyr se contente de prier : « Seigneur Jésus-Christ, espérance des désespérés, adoucissez ce tourment : je souffre beaucoup pour votre nom. »

Sa prière avait été exaucée, car il parut désormais souriant comme s’il eût été couché sur un lit de repos. Cependant tout le génie de la cruauté s’était épuisé sur cet homme « plus solide que l’airain » dit le bon Nilus. Il fallait en finir. Le préfet ordonne qu’on lui tranche la tête, et qu’après sa mort son cadavre soit brûlé et ses cendres jetées au vent.

La sentence prononcée, Théodote est porté au lieu du supplice. A genoux sur le sol où sa tête va bientôt rouler, il adresse au ciel une dernière prière, puis tendant le cou à l’exécuteur, il reçoit la palme du combat.

Cependant un bûcher avait été dressé sur le lieu du martyre. Le corps du Saint y est déposé, mais à peine a-t-il touché le bois, qu’un globe de feu s’abaisse du ciel sur les saintes reliques, en répandant tout autour une vive lumière. Eblouis et pleins d’effroi les bourreaux se retirent sans oser mettre le feu au bûcher et le préfet se contente de placer des gardes aux alentours afin de prévenir un enlèvement.

Le soir du même jour, les soldats de faction voient arriver sur la route d’Ancyre un vieux paysan conduisant une ânesse chargée d’une outre de vin. A peine est-il arrivé en face d’eux que sa monture s’abat : bonne affaire pour des gens de cette sorte. Ils accourent, aident le bonhomme à la relever et l’invitent à passer la nuit sous leur tente.

Le vieillard n’était autre que Fronton. Fidèle à l’engagement contracté avec Théodote, il venait sous son déguisement, réclamer ses reliques. Dès lors, dans l’espoir de tirer parti de son aventure pour l’accomplissement de sa mission, il accepte sans hésiter l’offre des soldats. On s’assoit autour d’un grand feu et Fronton distribue généreusement son vin à la ronde. Tout en causant on arrive à parler du supplice de Théodote. Fronton, grâce aux libations qu’il multiplie adroitement, délie bientôt toutes les langues et finit par apprendre qu’il est en face des reliques du saint martyr.

Plein de joie à cette nouvelle, le vieux prêtre verse son vin à pleines coupes et endort bientôt ses joyeux compagnons du sommeil de l’ivresse. Se glissant alors vers le bûcher, il en tire doucement le corps, le place sur le dos de sa monture et puis, dans un élan de foi naïve, il s’écrie en poussant sa bête au large : « Martyr du Christ, j’ai tenu ma promesse, à toi maintenant de tenir la tienne. »

L’ânesse cependant poursuivit sa route guidée par un ange de Dieu et s’abattait sous son précieux fardeau, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui la chapelle dédiée au martyr. Les chrétiens qui se trouvaient là, reçurent pieusement les restes de leur père bien-aimé, et, les enveloppant dans un riche manteau, leur donnèrent la sépulture.

Saint Théodote avait dit avant de se livrer à ses bourreaux : « Puisse mon sang être le dernier versé ! » Son vœu fut exaucé, car, lui mort, la persécution cessa en Asie.