Saint Siméon Stylite

Fête le 3 septembre


I. – Naissance et vocation de saint Siméon Stylite

Vers la fin du quatrième siècle, tandis que l’hérésie pélagienne attaquait la doctrine de la grâce, Dieu consolait son Eglise en faisant éclater, dans la personne de ses saints, les merveilles que cette même grâce sait opérer. Saint Siméon Stylite fut un de ces hommes envoyés de Dieu pour protester contre le pélagianisme par l’action, tandis que d’autres protestaient par la doctrine.

Siméon naquit à Sisan, humble bourgade de Silicie, dans l’Asie Mineur. Ses parents n’étaient pas riches ; aussi fut-il destiné, dans sa jeunesse, à la garde des troupeaux.

Il avait treize ans lorsque, par un jour d’hiver, ne pouvant vaquer à ses occupations ordinaires à cause de la neige, il se rendit à l’église pour occuper ses loisirs. On lut, ce jour-là, l’Evangile des Béatitudes : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ! Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Ces paroles frappèrent le jeune berger. « Comment peut-on réaliser sur la terre les perfections des bienheureux, dont parle le Sauveur ? » demanda-t-il à un vénérable prêtre. Celui-ci répondit que la vie monastique avait été instituée pour atteindre ce but suprême de la spiritualité.

Siméon n’en demanda pas d’avantage. Désireux d’embrasser une telle vie, il court se prosterner dans une église voisine, dédiés à de saints martyrs ; et là faisant un entier sacrifice de lui-même, il supplie Dieu de lui manifester sa volonté. Comme il prolongeait sa prière, le sommeil finit par le surprendre. Le Seigneur répondit alors à ses supplications en lui envoyant un songe.

II. – Songe de Siméon

« Il me semblait, disait-il lui-même, que je creusais les fondements d’un édifice. Quand je crus le fossé assez profond, je m’arrêtai. « Creuse encore ! » me dit alors une voix. Je repris mon travail, et quelque temps après je m’arrêtai de nouveau. La voix reprit une seconde fois : « Creuse encore ! » Quatre fois je tentai de me reposer, quatre fois la même voix stimula mon ardeur. Enfin, elle me dit : « C’est assez. » Maintenant tu peux élever un édifice aussi haut qu’il te plaira. »

III. – Siméon commence à creuser les fondements de la perfection religieuse

Eclairé par cette vision, dont Dieu lui fit comprendre le sens, le pieux berger n’hésita plus. Il courut, dès le soir même, s’enfermer dans un monastère, tout près de Sisan. Au bout de deux années, se sentant appelé à une plus haute perfection, il se retira dans la solitude de Téléda. Là, vivaient quatre-vingts religieux qui renouvelaient, sous la conduite de leur saint abbé Héliodore, les merveilles de la Thébaïde.

Siméon montra tant d’ardeur qu’il eut bientôt dépassé tous ses frères dans la voie de la pénitence. Tandis que les autres ne faisaient qu’un repas tous les deux jours, lui passait toute la semaine sans prendre de nourriture. Il s’était ceint les reins avec une corde de feuilles de palmier. La corde, pénétrant dans les chairs vives, avait déterminé une large plaie circulaire d’où le sang s’échappait en abondance.

Héliodore craignait que ces austérités extraordinaires n’exaltassent outre mesure les autres religieux. Il pria l’ardent pénitent de se choisir, dans la solitude, un lieu de retraite où il pût, sans préjudice pour personne, donner libre cours aux élans de sa ferveur.

IV. – La cabane de Télanisse – Jeûne de quarante jours

Siméon sortit donc du monastère de Téléda. Il y avait passé dix ans. Errant de montagne en montagne, il trouva, aux environs de Télanisse, une petite cabane abandonnée. C’est là qu’il se fixa, la trouvant assez misérable pour lui.

Cependant le Carême approchait. Poussé par une inspiration vraiment surnaturelle, Siméon se proposa d’imiter le jeûne de Notre-Seigneur. Il connaissait dans les environs un pieu prêtre, nommé Bassus ; il le pria de faire murer la porte de son réduit et de l’y laisser, ainsi enfermé, pendant quarante jours, sans aucune provision. Humainement parlant, c’était tenter Dieu, ou se condamner à une mort volontaire. Bassus le lui fit entendre. « Eh bien ! mon père, dit alors Siméon, laissez-moi une cruche d’eau et dix pains. » Bassus fit murer la porte de l’ermite, et laissa les quarante jours s’écouler. Au bout de ce temps, il fit démolir la maçonnerie et pénétra dans la cabane ; les dix pains et la cruche d’eau étaient intacts, mais le saint, pâle et décharné, était étendu à terre, privé de sentiment. Bassus prit une éponge, lui humecta les lèvres et lui donna la sainte communion. Le corps vivifiant du Christ ranima le corps du pénitent. On lui fit ensuite un peu de laitue et de chicorée, et bientôt il fut complètement rétabli. Mais c’était un miracle.

Cette terrible expérience ne découragea pas Siméon et, chaque année, il recommença sa dure pénitence, jusque vers la fin de sa vie, où les infirmités et l’âge le contraignirent à plus de ménagements. « Il y a plus de vingt-huit ans qu’il passe ainsi tous les carêmes, écrivait Théodoret, évêque de Cyr, du vivant même du saint. Les premières années, ses forces s’affaiblirent par degré ; la première semaine, il pouvait se tenir debout ; mais ensuite, il lui fallait s’asseoir, puis s’étendre à terre ; enfin, quand la fête de Pâques arrivait, il était à demi-mort. L’habitude semble avoir doublé ses forces. A mesure qu’il a aggravé ses mortifications, le secours de la grâce s’est augmenté aussi, et tout lui devient facile. »

V. – Visite de saint Mélèce. – Renommée de Siméon

Après avoir passé trois ans dans son ermitage, Siméon le quitta pour s’enfoncer plus avant dans la montagne et se rapprocher du ciel, vers lequel tendaient tous les élans de son âme. Il se construisit un enclos de pierres sèches ; au milieu, il fit river au rocher l’extrémité d’une chaîne de fer longue de vingt coudées, dont l’autre serrait sa jambe droite.

Vers ce temps, saint Mélèce, évêque d’Antioche, attiré par les parfums que les vertus du solitaire répandaient déjà autour de lui, vint en personne visiter l’homme de Dieu. « Mon frère, lui dit-il, en voyant la chaîne de fer, les créatures privées de raison ont besoin de ces moyens matériels pour être subjuguées. Mais pour vous, l’Esprit de Dieu doit suffire, sans autre lien, pour vous retenir sur ce rocher. » Siméon laissa aussitôt rompre la chaîne ; mais il trouva un autre moyen ingénieux pour se remettre en captivité.

La visite de saint Mélèce n’était pas un fait isolé. L’évêque d’Antioche ne faisait que suivre le mouvement déjà donné qui poussait les populations voisines vers le saint pénitent. On voyait accourir sur sa montagne Ismaélites, Perses, Arméniens, Ibériens, Homérites et Arabes. Tous venaient lui demander la guérison de l’âme ou du corps. Le saint leur obtenait tout : et plus les grâces et les guérisons se multipliaient, plus l’affluence devenait grande.

VI. – Siméon construit l’édifice. Obéissance du solitaire

Cette influence importunait le solitaire ; ce n’était pas ce qu’il était venu chercher au désert. Perpétuellement entouré d’une foule avide de toucher ses vêtements et de recevoir sa bénédiction, son humilité en était troublée. Dieu vint à son aide, et lui inspira un singulier moyen de s’isoler, du moins autant qu’il était nécessaire. Siméon fit construire, au milieu de son enceinte, une colonne de six coudées de haut, sur trois pieds de large. Le sommet était entouré d’une balustrade, dans laquelle il s’enferma, résolu de n’en plus jamais sortir.

De cette colonne, en grec stylè, lui vint le surnom de Stylite.

Dès le principe, les évêques et les prêtres des environs parurent alarmés d’un genre de vie si extraordinaire. L’un d’eux vint signaler au solitaire d’avoir à descendre immédiatement. Sans hésiter, Siméon demanda une échelle, et avançait déjà le pied pour obéir. « Courage ! fils de l’obéissance, reprit alors l’envoyé, conformément aux instructions qu’il avait reçues ; courage ! les Pères du désert vous permettent de continuer votre genre de vie ; votre soumission est la preuve que l’Esprit de Dieu vous dirige.

VII. – Règlement de la journée du Stylite

Le Stylite demeura donc sur sa colonne. Les heures de sa journée étaient partagées entre la prière, la prédication et les œuvres de charité.

Chaque soir, après le coucher du soleil, il se recueillait, et commençait ses colloques avec Dieu. Son oraison, à peine interrompue par quelques heures de sommeil, se prolongeait jusqu’au lendemain, bien avant dans la matinée. Il priait ordinairement debout. Son âme se pénétrait tellement de la présence de Dieu qui l’honorait par de fréquentes et profondes inclinations, au point de toucher du front la pointe de ses pieds. Le peu de nourriture qu’il s’accordait donnait à son corps cette souplesse extraordinaire. Quelqu’un voulut un jour compter ces inclinations. Arrivé au nombre de mille deux cent quarante-quatre, il s’arrêta, n’ayant pas la patience de suivre le saint plus longtemps.

A la veille des grandes fêtes, quand le soleil avait disparu derrière les montagnes environnantes, on voyait le Stylite se dresser sur ses pieds, et lever les mains vers le ciel. Il demeurait dans cette attitude pénible jusqu’au lever de l’aurore, immobile, infatigable, vainqueur des importunités du sommeil.

VIII. - Siméon était-il d’une nature à part ?

Cette persévérance que mettait le saint à demeurer debout avait déterminé une plaie à son pied droit. Elle lui causait de vives douleurs ; et cependant jamais il n’en avait dit un mot. Il fallut la circonstance suivante pour la lui faire dévoiler.

Un riche arabe, ayant entendu parler des merveilles que le Stylite accomplissait, s’en vint, lui aussi, pour les contempler de ses yeux. Arrivé au pied de la colonne, il s’adressa au saint : « O toi qui ne dors ni ne mange, dit-il qui places ta demeure dans les airs, sans défense contre le vent, sans abri contre les ardeurs du soleil, dis-le moi, au nom de cette vérité qui a racheté le monde, es-tu un homme ou un esprit ? » Le saint, pour toute réponse, l’invita à monter jusqu’à lui, et découvrant la plaie de son pied : « Croyez-vous maintenant que je sois un homme comme vous ? » dit-il en souriant. L’étranger descendit, ravi d’admiration.

IX. – Le Stylite prédicateur

Après la prière venait la prédication. L’ancien berger de Sisan n’avait jamais étudié les lettres humaines. Aussi s’occupait-il peu de l’agencement des phrases. Mais son âme, sortant de la contemplation où elle avait pénétré dans les cieux et puisé abondamment à la source de toute vérité, n’avait qu’à s’épancher sur les lèvres pour se répandre en flots d’une admirable éloquence.

C’est ainsi que Siméon ranimait la ferveur chez les chrétiens. Sa parole n’était pas moins efficace sur le cœur des infidèles. Le solitaire les voyait accourir sur sa montagne en aussi grand nombre que les autres. Gémissant de voir ces pauvres âmes captives dans les filets du démon, il s’appliquait à leur montrer la fausseté de leurs dieux. On les voyait se convertir par milliers, briser devant le saint leurs idoles, et demander à grands cris le baptême.

L’auditoire était composé de Chrétiens et d’Infidèles. Aux premiers, le saint prédicateur rappelait les devoirs de leur sainte religion et les préceptes de l’Evangile. Ce n’était pas assez ; il voulait élever les cœurs plus haut. Quand il venait à parler de la vanité des choses de la terre, comparées aux trésors de la vie future, sa parole, comme un aimant d’une merveilleuse puissance, enlevait les esprits les plus charnels aux soucis d’ici-bas, les emportait à sa suite jusque dans les cieux, pour leur faire goûter un moment combien le Seigneur est doux.

X. – Périlleuse ardeur des nouveaux convertis

L’évêque de Cyr, Théodoret, venait souvent visiter le Stylite. Un jour il faillit être étouffé par une bande d’Arabes nouvellement convertis. « Le Stylite, écrivit-il lui-même, leur avait dit que j’étais prêtre, et leur avait conseillé de me demander ma bénédiction. En un instant, toute cette multitude se précipita autour de moi, montant les uns sur les autres, tendant les mains pour toucher mon vêtement, ma barbe ou mes cheveux. Ils allaient m’écraser, quand le Stylite, poussant un cri, arrêta soudain la fougue indiscrète. »

Des natures si ardentes devaient être bien plus impressionnées par les faits que par les paroles. Aussi Dieu multipliait devant eux les miracles par le moyen de son serviteur.

XI. - Miracles

Un jour, le chef d’une tribu vint implorer le saint en faveur d’un jeune homme de sa suite qu’une paralysie soudaine avait atteint en route. Le solitaire se le fit amener :

- Crois-tu au Père, au Fils, et au Saint-Esprit ? lui demanda-t-il.

- J’y crois, répondit le paralytique.

- Eh bien, reprit Siméon, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, lève-toi, prend le chef de ta tribu sur tes épaules, et portes-le sous sa tente.

Le jeune homme exécuta facilement cet ordre, quoique son fardeau ne fût pas des plus légers, et tous les assistants bénirent le Dieu des chrétiens.

Un autre habitant du désert, entraîné par cette ardeur que donne la grâce du baptême nouvellement reçue, avait promis au Stylite de ne plus manger de viande. Un jour cependant, succombant à la tentation, il apprêta un oiseau pour son repas. Il allait compléter la violation de son vœu, lorsque, par une miséricordieuse disposition de la Providence, et à sa grande surprise, la chaire délicate du petit animal lui parut aussi dure que de la pierre. Comprenant ce que signifiait le prodige, il courait porter au saint l’objet de sa convoitise coupable, et obtint le pardon de sa faute.

Le saint avait aussi la science infuse des divines Ecritures. Il s’en servait pour confondre les Juifs. Il en tirait aussi contre les hérétiques des arguments qui leur fermaient la bouche, et déjouaient leurs plus subtils sophismes.

XII. - Audiences

Quand Siméon avait terminé son instruction, les portes de l’enceinte s’ouvraient. Alors commençaient ce que l’on pourrait appeler les audiences.

Les malades venaient réclamer une bénédiction qui leur rendait la santé. Les pauvres et les opprimés accouraient au saint, comme à un protecteur assuré et tout-puissant.

Une corporation d’artisans d’Antioche se présenta un jour, au nombre de trois cents, au pied de sa colonne. Le préfet de la ville venait de leur imposer une taxe injuste et ruineuse. Siméon, touché de leurs plaintes, adressa de charitables représentations à l’oppresseur. Celui-ci s’en moqua ; mais aussitôt, saisi d’une hydropisie soudaine, il tomba à la renverse et se débattait convulsivement au milieu d’indicibles douleurs. Des envoyés allèrent de sa part implorer l’aide de celui qu’il venait de mépriser. Siméon bénit un vase d’eau, et leur dit : « Hâtez-vous de porter cette eau à votre maître ; si Dieu prévoit qu’il profitera bien de sa guérison, quelques gouttes jetées sur son corps chasseront le mal qui le torture ; sinon vous ne le reverrez pas vivant. » Un exprès fut dépêché pour porter l’eau. Mais il eut beau faire diligence ; au moment où il mettait le pied sur le seuil du palais, le malheureux expirait au milieu de ses horribles souffrances.

Voici un exemple moins terrible. Le saint n’avait pas à combattre seulement l’injustice des hommes, on avait aussi recours à lui dans toute espèce de calamité. Une invasion de rats désolait le territoire d’Aphson ; les habitants vinrent le supplier de les en délivrer : « Sachez, leur dit-il, que cette calamité est une punition de vos péchés. Faites donc pénitence, priez, célébrez des vigiles, et offrez le saint sacrifice pendant trois jours ; puis, avec de la poussière recueillie sur cette montagne, faites trois croix à l’intérieur de chaque maison, et aux quatre coins des villes. » On exécuta ces ordres et le fléau disparut.

Souvent, au pied de la colonne vénérée, les créanciers faisaient généreusement à leurs débiteurs une remise complète, ou plutôt chargeait le solitaire de les payer avec les dons du ciel. Les esclaves se voyaient affranchis, les ennemis se donnaient le baiser de paix et de réconciliation.

Siméon se livrait à ces œuvres de charité jusqu’au coucher du soleil. Il faisait alors une seconde instruction à la foule, et retournait à la prière. Tel était le règlement de sa journée. On le connaissait ; et d’ailleurs ses disciples en surveillaient l’exécution. C’est ainsi qu’il pouvait trouver, au milieu du tumulte sans cesse renaissant de la foule, le recueillement nécessaire pour vaquer à l’oraison.

XIII. – Influence du Stylite

Du haut de sa colonne, le Stylite correspondit avec les magistrats, les évêques et les empereurs.

Il parvint à retirer d’un malheureux schisme l’évêque de Cyr, Théodoret, son ancien disciple. Comme monument de sa reconnaissance, Théodoret voulut laisser à la postérité le récit des merveilles qui s’opéraient sur le Télanisse.

L’empereur Théodore le Jeune aimait à se recommander, lui et ses Etats, aux prières de l’humble solitaire. Il avait recours à ses conseils, dans les affaires importantes ; et l’histoire ne nous montre pas qu’il eut à s’en repentir. Siméon lui obtint une victoire sur les Perses.

Pendant que l’ancien berger de Sisan faisait resplendir en Asie l’éclat de tant de vertus, en France, une jeune bergère recevait, dans la bourgade de Nanterre, la bénédiction prophétique de saint Germain, et devenait, sous le nom immortel de sainte Geneviève, la sauvegarde de Paris, et la patronne de notre nation. Par un merveilleux effet de la grâce, le serviteur et l’épouse du Christ se connurent, sans avoir jamais pu se voir des yeux du corps. Les pèlerins qui venaient des rives de la Seine aux pieds de la colonne, apportaient au solitaire les salutations de Geneviève, et le solitaire se recommandait, par eux, aux prières de la jeune vierge.

XIV. – Mort du saint

Depuis l’an 425 où le Stylite était monté sur sa colonne de six coudées, celle-ci s’était successivement élevée de douze, vingt-deux, et enfin de quarante coudées. Le saint demeura quatre ans sur la première, treize sur la seconde, autant sur la troisième, et les vingt-deux dernières années de sa vie sur la quatrième. Il resta donc plus d’un demi-siècle ainsi suspendu entre le ciel et la terre, ne voulant emprunter à celle-ci que l’espace suffisant pour poser le pied. Si la théorie de ceux qui nient la possibilité du miracle était vraie, la science humaine serait ici bien en peine de faire accorder une telle longévité avec une vie si dure et si peu propre à ménager les forces corporelles.

L’âme de Siméon, purifiée par tant d’austérités, n’avait plus qu’à se détacher de sa prison pour s’envoler au séjour du bonheur. Un jour d’orage, un éclair enflamma soudain la colonne, et le tonnerre gronda. La séparation était faite. La dépouille mortelle du Stylite foudroyé demeura debout, sur le théâtre du combat, dans l’attitude de la prière ; comme si, dit le chroniqueur, ce vaillant athlète du Christ, qui n’avait aspiré que vers les cieux, eût redouté, même après sa mort, le contact de la terre.

La mort subite n’est pas un châtiment pour le juste, parce qu’il est toujours prêt. Mais pour le méchant qui ne sait pas prévoir l’heure où finiront ses plaisirs, elle est un arrêt de damnation. Aussi l’Eglise, dans ses litanies, demande à Dieu d’écarter de ses enfants, non pas la mort subite, mais la mort subite et imprévue.

XV. – Honneurs rendus aux reliques du Stylite

La dépouille sainte demeura plusieurs jours sur la colonne, exposée à la vénération de la foule, dont les flots pressés semblaient augmenter depuis que le saint avait émigré d’ici-bas. Une garde surveillait le précieux trésor.

Enfin la ville d’Antioche fut désignée pour en être enrichie. Sur le passage du cortège qui transportait les reliques, les guérisons se multiplièrent. La mort frappe les saints comme les autres hommes, mais elle n’a pas toujours la puissance d’arrêter leur action.

Au sommet du Télanisse s’éleva bientôt une vaste basilique, au milieu de laquelle la colonne vénérée s’élançait dans les airs par une ouverture pratiquée à la voûte. Chaque année au jour anniversaire de la mort du Stylite, ou, pour parler le langage chrétien, au jour anniversaire de sa naissance (pour le bonheur éternel), on voyait une étoile resplendissante voltiger dans l’intérieur du sanctuaire. Le saint voulait indiquer par là qu’il était toujours présent d’esprit au milieu de ceux qui venaient l’invoquer auprès de sa colonne.

Nous vous invoquons aussi, loin de ce lieu béni, ô grand Siméon, qui régnez aujourd’hui dans les cieux. Protégez cette France, dont vous avez béni plus d’une fois les enfants, et envoyez lui une autre Geneviève.