Sainte Scholastique

Fête le 10 février

Naissance en 480 - Mort en 543


Saint Benoît, le patriarche des moines d’Occident, obligé de fuir les solitudes de Subiaco (voir sa Vie), avait établi le centre de son innombrable famille religieuse aux confins de la terre de Labour, sur la cime prédestinée du Mont-Cassin. C’est là que s’éleva alors le monastère le plus célèbre de l’univers, celui où Benoît écrivit sa règle, laquelle devait bientôt compléter et remplacer la règle de S. Augustin et les autres règles dans presque tous les monastères de l’Occident.

Mais cette règle, comme celle de l’évêque d’Hippone, ne fut pas écrite seulement pour les hommes ; elle fut aussi celle des religieuses, car aucun fondateur d’ordre n’a pu empêcher la dévotion des saintes femmes de former bien vite, auprès de la famille des moines, la famille des religieuses ; c’est toujours ainsi depuis que Notre-Seigneur a voulu placer la Vierge Marie et les saintes femmes auprès de son église naissante.

Le monastère des Bénédictins vit donc, du vivant de S. Benoît, s’élever un monastère de Bénédictines, comme S. Augustin avait vu un monastère d’Augustines, comme S. François verra avec Ste Claire les Franciscaines, et ainsi dans tous les siècles jusqu’à S. Vincent de Paul et à nos jours.

Nous insistons sur ce fait avant de parler de Ste Scholastique, car sa vie est peu connue, et l’une des marques de sa sainteté est le choix que Dieu fit d’elle pour être la mère de la grande famille des Bénédictines.

Ste Scholastique, de la noble race des Anicius, était la sœur de S. Benoît. Ces enfants, nés le même jour, s’aimaient comme s’aiment souvent les jumeaux, avec la passion de l’amour fraternel, et leur destinée devait être liée comme il arrive souvent aussi à ceux auxquels Dieu a donné une même naissance.

Elle se consacra à Dieu comme Benoît, et plusieurs historiens pensent qu’elle le fit la première et lui donna l’exemple, avant de se ranger sous sa règle.

Quand son frère répandait l’éclat de la vie monastique dans le monde, et que tous venaient lui demander les leçons de la perfection, elle se présenta, à la suite de tant de disciples, au Mont-Cassin, et sollicita une direction pour elle et ses filles.

Mais Benoît ferma la porte du monastère à sa sœur, une loi inviolable interdisant ce seuil à toute femme, et il lui fixa une solitude au fond d’une vallée proche de la sainte montagne. Là, il la dirigea de loin, ainsi que les religieuses d’autres monastères qui se regroupèrent autour de celui de Scholastique. Benoît ne consentait à voir sa sœur qu’une fois par an, avant le Carême (1), et alors la sainte sortait de son cloître, et le frère, de son côté, allait au-devant d’elle ; ils se rejoignaient sur le flanc de la montagne, et l’on voit encore le petit sanctuaire érigé, croit-on, sur les ruines de la chaumière où S. Benoît et Ste Scholastique eurent le suprême entretien que nous allons raconter.

Au 9 février 543, dès le matin, Benoît était donc descendu vers Scholastique comme les années précédentes avec les moines qui accompagnaient toujours leur abbé ; c’était la quatorzième et dernière année de son séjour au Mont-Cassin, il était dans tout le rayonnement de sa gloire ici-bas.

Le frère et la sœur s’entretinrent des choses de la sainteté, des vertus divines, des saintes aspirations de la patrie ; leurs contemplations réciproques fournissaient un sujet abondant de communications merveilleuses.

Tout le jour se passa de la sorte.

Le soir venu, les compagnons du saint et de la sainte leur proposèrent de rompre le jeûne, ils servirent au frère et à la sœur un repas frugal, qui n’interrompit pas les célestes entretiens dont Scholastique était surtout affamée.

Jamais ces deux âmes n’avaient éprouvé plus de joie à parler de Dieu, et la nuit s’avançait ; or pendant qu’ils étaient encore à cette table qui avait été le prétexte de la prolongation de l’entretien, Scholastique dit à son frère :

- Je t’en prie, ne me quitte pas cette nuit, afin que nous puissions parler des joies de la patrie jusqu’à demain matin.

Elle sentait, la pieuse vierge, que l’heure d’y arriver approchait, et elle voulait se munir pour le voyage d’une provision de pensées pleines de foi et de sentiments pleins d’ardeurs.

- Que venez-vous me dire ! s’écria S. Benoît avec une sorte d’indignation. Impossible à moi de passer la nuit hors de ma cellule.

En ce moment la pureté du ciel était telle qu’il ne s’y pouvait découvrir le moindre nuage. La sainte religieuse, entendant les paroles de son frère, joignit les mains sur la table, les doigts entrecroisés, et, la tête entre ses mains, pria Dieu en s’inclinant. Elle versa un torrent de larmes. Le temps était fort serein : il n’y avait pas le moindre nuage dans l’air. Or, lorsqu’elle releva la tête, les éclairs brillaient tellement, le tonnerre retentissait avec un tel fracas, la pluie tombait à tels torrents, que ni le vénérable Benoît, ni les frères qui étaient avec lui ne purent songer à mettre le pied hors de leur retraite.

La prière de Scholastique fut si promptement exaucée que le tonnerre grondait déjà quand elle releva la tête.

La sainte, fait remarquer un pieux auteur, avait en inclinant la tête répandu sur la table des larmes abondantes qui avaient troublé la pureté de l’atmosphère et attiré cette violente pluie.

Au milieu de ces éclairs, de la foudre, de l’épouvantable orage, l’homme de Dieu, voyant l’impossibilité absolue pour lui de rentrer au monastère :

- Qu’avez-vous fait ? dit-il à sa sœur, non sans quelque reproche ; que Dieu vous le pardonne !

- Je vous ai supplié, vous n’avez pas voulu m’écouter ; j’ai invoqué Notre-Seigneur Jésus-Christ, et voilà qu’il m’exauce ; maintenant sortez, si vous le pouvez. Renvoyez-moi et rentrez à votre monastère.

C’était bien impossible ; il n’avait pas voulu rester de bon gré, il resta par force. Et ce fut ainsi qu’ils passèrent toute la nuit à se soutenir et à s’encourager réciproquement.

S. Grégoire, qui a conservé ce récit, ajoute qu’il ne faut pas s’étonner si la volonté de la sœur fut plutôt exaucée que celle du frère, parce que, des deux, c’est la sœur qui avait prié avec le plus d’amour, et qu’auprès de Dieu plus on aime plus on est puissant.

Le lendemain la pieuse vierge retourna à son couvent, et Benoît à son monastère ; mais le troisième jour l’homme de Dieu, élevant dans sa cellule les yeux en haut, vit l’âme de sa sœur s’élever dans les airs sous la forme d’une colombe et se perdre dans la profondeur du ciel.

Ce que voyant le bienheureux Benoît, il se prosterna en terre et supplia le Tout-Puissant de protéger par la vertu de sa droite l’âme de cette sœur aimée et de lui faire franchir les légions de démons infernaux qui voudraient s’opposer à son passage, et ces supplications furent exaucées, et Dieu accorda l’éternel repos à cette âme pour qui Benoît avait tant prié.

Consolé par ce qu’il avait vu, S. Benoît se leva et, pour remercier Dieu de la gloire accordée à Scholastique, il chanta plusieurs hymnes d’actions de grâces, et annonça à ses frères le trépas de cette très douce sœur !...

Il les envoya ensuite au couvent où la vierge avait rendu le dernier soupir, afin qu’ils rapportassent son corps dans le tombeau qu’il s’était préparé.

Or les sœurs qui avaient assisté à ces derniers moments, voyant comme un certain éclat de gloire jaillir de son corps, tombèrent la face contre terre et avec d’abondantes larmes la conjurèrent de demander à N. S. qu’elles pussent un jour la suivre là où elle les avait précédées.

Leur première douleur passée, elles enveloppèrent dans des linges très blancs avec des aromates précieux le corps de la vierge, qu’elles déposèrent dans le cercueil, et pendant trois nuits elles célèbrent ses funérailles avec des chants mêlés à leurs sanglots.

Les frères du monastère de S. Benoît vinrent en grand nombre et pleurèrent à leur tour le passage de la vierge Scholastique ; et, de concert avec les sœurs, ils disaient :

« Hélas ! hélas ! vénérable mère et maîtresse chérie, comment nous avez-vous quittés tout à coup ! A qui nous remettez-vous ? Priez Notre-Seigneur Jésus, vers qui vous allez, ô âme très sainte. Votre vie a été douce, douce votre société, doux votre trépas ; tout a été très suave en vous. »

Les cérémonies terminées, le corps de Scholastique fut porté au Mont-Cassin.

S. Benoît le reçut et le fit déposer lui-même en son propre tombeau.

Et c’est ainsi que Scholastique l’emporta encore en cette circonstance, et franchit le seuil dont Benoît l’avait autrefois interdit à jamais le passage.

Or, tandis que les frères pleuraient, le bienheureux Benoît les consolait en ces termes :

« Ne pleurez pas, mes frères bien-aimés, c’est assurément par l’ordre de Dieu qu’elle nous a précédés, afin de pouvoir nous venir au secours contre tous les efforts du démon et nous aider à demeurer parfaits en toutes choses. »

Cette mort de sa sœur fut pour S. Benoît le signal du départ, car ceux qui avaient été unis dans la naissance devaient l’être dans la mort.

Benoît fut saisi aussitôt d’une fièvre ardente qui ne le quitta plus.

Il avait cette année même annoncé sa mort à plusieurs de ses compagnons, et il est vraisemblable qu’il n’avait point caché ce secret à Scholastique ; c’est pourquoi elle le retenait les jours précédents avec tant d’ardeur.

En ouvrant son tombeau pour sa sœur, Benoît l’ouvrait pour lui-même ; il vécut encore 40 jours, et quand le 41è jour fut arrivé, il se fit porter à l’église, reçut le corps et le sang de Notre-Seigneur, puis, appuyant ses bras défaillants sur les bras de ses disciples, il se tint les mains élevés vers le ciel et mourut debout au milieu de sa prière et de la prière des siens.

Il avait 63 ans, c’était le 21 mars 543.

Le même jour, deux moines, disciples de S. Benoît, eurent la même vision. L’un se trouvait au Mont-Cassin ; l’autre saint Maur se dirigeait vers la partie occidentale des Gaules, pour y porter la règle de son bienheureux Père et fonder au sein de notre pays de nombreux monastères. S. Benoît en l’envoyant lui avait prophétisé que le Mont-Cassin serait ruiné et l’avait assuré que sa dépouille mortelle viendrait alors reposer dans les contrées lointaines où il se rendait.

Or, à l’instant même où l’âme du glorieux patriarche se détachait de son corps, le moine du Mont-Cassin et S. Maur virent une multitude d’étoiles former comme un chemin lumineux qui s’étendait vers l’Orient depuis le Mont-Cassin jusqu’au ciel, et ils entendirent une voix qui leur dit : « Cette route lumineuse est celle par où Benoît, le bien-aimé du Seigneur, est monté au séjour de la gloire.» (S. Grég. II, 37.)

On le plaça dans le tombeau où Scholastique venait de le précéder.

Ce tombeau était situé dans l’oratoire de Jean-Baptiste, sur l’emplacement de l’autel d’Apollon que S. Benoît avait renversé en prenant possession de la Montagne.

Les Lombards détruisirent bientôt (530) le Mont-Cassin, selon la prophétie de Benoît, et le double tombeau, demeura sans honneur au milieu des décombres.

S. Mummol, abbé de l’abbaye bénédictine de Fleury sur les bords de la Loire, proposa à Aigulfe d’aller en Italie chercher le corps de S. Benoît. Aigulfe était un jeune seigneur franc qui venait de renoncer au monde et de se faire moine, en attendant qu’il devienne saint et martyr ; il accueillit la proposition avec enthousiasme et se disposait à partir, lorsque des religieux du Mans arrivèrent demandant l’hospitalité.

- Nous allons, dirent-ils, au Mont-Cassin, poussés par une vision céleste, afin d’y chercher le corps de Ste Scholastique.

Ils partirent ensemble, mais, arrivés à Rome, les manceaux voulurent visiter la ville, tandis qu’Aigulfe plein d’ardeur refusait d’attendre et arrivait seul sur les ruines de la sainte montagne. Là rien ne put lui révéler la place du tombeau de Benoît et de Scholastique ; alors il pleura amèrement.

Un vieillard se présenta à lui, le rassura : « Aux approches de la nuit, lui dit-il, restez attentif, vous apercevrez dans les ténèbres un jet de vive et de blanche lumière. C’est là que vous trouverez. »

Le jeune religieux attendit la vision, la lumière brilla, et aussitôt cette nuit même, il recueillit dans une même corbeille les précieux ossements de S. Benoît et de Ste Scholastique renfermés au même tombeau.

Le matin il s’enfuyait avec le trésor, lorsqu’il rencontra les Manceaux qui arrivaient : « Il est trop tard, dit-il, les ossements sont mêlés, et puis on va nous poursuivre, nous séparerons les os des deux saints à Fleury.

Ils traversèrent les Alpes au milieu de mille périls, poursuivis par des soldats armés, car le pieux larcin avait été vite connu.

On arriva à Fleury en juin 655 ; le voyage avait été un triomphe perpétuel, pendant lequel les reliques du frère et de la sœur n’avaient cessé d’opérer prodiges et miracles. Cependant une députation de la ville du Mans réclamait le corps de Ste Scholastique, et Aigulfe essaya vainement d’éluder la requête ; il fallut céder à la vivacité de leurs instances.

Comment discerner les os ? On pria toute la nuit, et le matin deux pauvres familles du voisinage arrivaient à l’église présentant, pour y être inhumés, les cercueils d’un petit garçon et d’une petite fille.

Cette circonstance était providentielle. Le corps inanimé du petit garçon fut déposé sur les grands ossements, à peine les eut-il touchés qu’il ressuscita ; le corps de la petite fille, approché des moindres ossements, fut également rendu à la vie.

Des acclamations immenses accueillent la nouvelle de cette double résurrection ; aucune preuve plus convaincante ne pouvait être recherchée. Les députés du Mans séparèrent donc la sœur du frère, et leur évêque, S. Bérar, fit construire, entre les remparts de la ville et la rivière, une église et une communauté de vierges, pour recevoir la relique.

Depuis lors, Benoît et Scholastique, l’un à Fleury, qui s’appela Saint-Benoît-sur-Loire, et l’autre au Mans, reposent sur le territoire de France et en sont devenus les protecteurs.

Leurs tombeaux furent le lieu d’innombrables pèlerinages et d’incomparables miracles.

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(1) On peut le supposer d’après la date du dernier entretien qui nous a été conservée par Grégoire le Grand.

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