Saint Prudence
Fête le 28 avril
Evêque de Tarragona
Légende de la gravure
Saint Prudence enfant marche miraculeusement sur les eaux.
Saint Prudence quitte le château de ses pères.
Saint Prudence naquit à Armentia, ville du nord de l’Espagne, en 642, de parents nobles et pieux.
Son père, Simon, et sa mère, Saucha, voulurent eux-mêmes former son jeune cœur ; ils lui enseignèrent à lire, inculquant en même temps dans son âme la doctrine de la foi. Ils l’amenaient avec eux à tous les exercices de dévotion et lui donnaient de continuels exemples de vertu.
Le jeune Prudence s’adonna ardemment à l’étude, mais plus ardemment encore à la prière. Il résolut de bonne heure de quitter le monde pour vivre dans la solitude.
Sachant bien que ses parents ne le lui permettraient jamais, il ne leur en dit rien. Mais le jour arrivé, où il devait exécuter son dessein, il vint, après le repas du soir, embrasser ses parents plus tendrement que jamais et recevoir leur bénédiction.
Son visage était doux et serein ; mais rentré dans sa chambre, il se mit à pleurer.
La grâce fut plus forte que la nature : le jeune homme prit ses habits de voyage, fit à Dieu une ardente prière et demanda à son saint ange de le protéger. Allant alors à la cuisine, il prit deux pains et partit sans argent, mais riche de vertus.
Au matin, la noble châtelaine d’Armentia chercha partout son cher enfant et toute la ville fut bientôt en émoi.
Comment il paye ses hôtes par ses sermons.
Prudence cependant cheminait doucement, et, pour repousser les assauts du démon qui l’invitait à retourner, il chantait le long des chemins les psaumes de David.
Le soir, il arriva sur le bord du Douero et pria quelques pauvres bergers de lui céder un coin de leur cabane pour y passer la nuit. Les pâtres y consentirent de bon cœur. A la lueur du foyer, le fugitif récita l’office divin ; puis, après avoir mangé les restes de son premier pain, il fit à ses hôtes un petit sermon.
Le lendemain, suivant le cours du fleuve, il arriva à un moulin tout près de Soria. Les meuniers lui donnèrent un peu de paille pour se reposer ; il les remercia également par un petit discours, et, à leur demande, leur expliqua ce qu’il voulait faire.
- A quelques minutes d’ici, lui dit-on, vit dans une grotte un vénérable ermite nommé Saturius. C’est un homme d’une vie merveilleuse et d’une grande sainteté. »
Illuminé soudain par l’Esprit-Saint, Prudence comprit qu’il avait trouvé son guide dans la voie de la perfection. – « Quelles actions de grâces vous rendrai-je , ô mon Dieu ! s’écria-t-il en tombant à genoux. J’ai enfin trouvé l’ange que je cherchais pour me guider ; soyez béni, ô mon Seigneur ! »
Il marche sur les eaux.
L’aurore était à peine levée, que Prudence avait repris son chemin. Il arriva bientôt devant la grotte du saint ermite, mais le fleuve l’en séparait et il n’y avait point de pont.
A genoux sur le sable, en face de la caverne, il pria longtemps le Seigneur avec larmes et gémissements ; puis il entonna les sept psaumes de la Pénitence, levant les bras au ciel, ou les tendant vers la grotte.
L’enfant chanta si harmonieusement, que les anges du ciel descendirent pour l’entendre.
« - Permettez-moi, mon Dieu, ajouta-t-il, de vivre avec votre serviteur. Jetez sur moi un regard de miséricorde ; exaucez ma prière ; je veux quitter le monde pour toujours, car semblables aux eaux de ce fleuve, ses plaisirs sont passagers et inconstants, et moi je veux m’attacher à vous, qui ne changez pas. Je tends les mains vers vous, ô mon Sauveur, je vous invoque, écoutez-moi. Faites qu’en votre nom je puisse traverser ce fleuve. Indiquez-moi par un signe si telle est votre volonté, et que votre Saint Ange me conduise sur l’autre rive ! »
Il avait à peine achevé, que Saturius passa hors de la grotte sa tête vénérable.
L’enfant comprit que c’était le signe demandé à Dieu et aussitôt, armé du signe de la croix, il s’élança hardiment sur les eaux.
Le vieil ermite effrayé lui cria de ne pas avancer, mais déjà il était prosterné à ses pieds, et embrassait ses genoux en pleurant.
Saturius, à la vue du miracle, se prosterna dévotement, lui aussi, pour baiser la trace des pieds de saint Prudence.
Pourquoi Saturius voulait être béni par l’enfant et
celui-ci par le vieillard et quel est celui qui triompha.
Le vieillard et l’enfant étaient agenouillés sur le bord du fleuve. Aucun ne voulut se lever le premier, chacun désirant être béni par l’autre.
« - Je suis jeune, dit l’enfant, et je viens pour être votre disciple ; il ne convient pas que je me fasse supérieur à mon maître ; bénissez-moi donc Père saint. »
« - Je ne suis qu’un malheureux pénitent, répondit le vieillard, venu dans cette solitude pour laver dans les larmes mes fautes passées, tandis que l’innocence baptismale resplendit encore en vous, car je vous ai vu courir sur le Douero aussi sûrement que je marche sur ces rochers. Le Seigneur vous conduit ici, non pour pleurer des fautes, que vous n’avez point commises, mais pour vous faire avancer davantage dans la vertu, car il veut faire de vous un vase d’élection. Bénissez-moi donc. »
« - C’est votre humilité profonde, reprit l’enfant, qui vous fait parler ainsi. Je ne mérite pas ces éloges ; mais la vue de votre vertu me force à ne pas céder, car je ne suis pas digne de vous bénir. Quant au miracle, Dieu l’a fait en considération des mérites du maître, et non du disciple. »
Saturius se tint pour vaincu et bénit l’enfant.
Les deux séraphins de la grotte de Soria.
Tous deux se rendirent alors au petit oratoire de saint Michel, dressé au fond de la grotte.
Prudence était désormais retiré du monde ; tombant à genoux devant l’autel il chanta le In exitu Israel de Egypto. Puis il ajouta : « - Vous avez fait pour moi ce que vous avez opéré autrefois en faveur d’Israël ; vous m’avez délivré de l’Egypte du monde, vous m’avez fait passer le fleuve à pied sec, comme jadis vous avez fait traverser la mer Rouge à votre peuple ; vous avez envoyé du paradis votre Saint-Ange qui m’a conduit jusqu’ici. Soyez béni ; qu’à votre nom ineffable soit toute la gloire, toute puissance et tout honneur. »
Saint Saturius à cette vue disait de son côté : « Seigneur, qui faites sortir notre louange de la bouche des petits enfants, soyez béni ! Mon cœur est rempli de joie en voyant ce chaste adolescent que vous m’avez envoyé ; ma langue ne peut exprimer mon contentement, à la vue de cet enfant qui sera le soutien de mes vieux jours. Qu’auprès du chaste Prudence, je retrouve, Seigneur, l’innocence de mon baptême ! »
Les deux saints, semblables à deux séraphins, firent pendant longtemps monter vers le ciel d’ardentes prières.
Retirés dans un coin de la caverne, ils prirent ensuite un peu de nourriture. Prudence raconta son voyage ; Saturius à son tour fit connaître sa vie passée, il y avait vingt-neuf ans qu’il était dans cette solitude.
Mort de saint Saturius.
Prudence vécut pendant sept ans avec Saturius ; ils avaient pour toute nourriture des racines et les herbes des champs, et pour boire, l’eau du Douero. Ils passaient toute la nuit et une grande partie du jour dans leur modeste oratoire, occupés à chanter les louanges de Dieu. « Leurs plaisirs étaient la lecture des saintes lettres ; leurs exercices, celui de toutes les vertus ; leur faim et leur soif, celle de la justice et de la sainteté. »
Le 2 octobre 664, le vieil ermite sentit sa mort prochaine. « - Place-moi, dit-il à son jeune disciple, sur la terre nue. » Prudence obéit. « - Voici, ô mon bien-aimé, ajouta-t-il, que Jésus-Christ m’appelle pour me donner la couronne éternelle ; je désir mourir et aller jouir pour toujours de la gloire de mon Seigneur. Je n’ai plus qu’une seule chose à te dire, que je t’ai cachée jusqu’ici : Dieu veut que tu te livres désormais à la vie apostolique ; il t’a donné cinq talents, tu ne dois pas les enfouir, mais les faire valoir, pour en gagner cinq autres.
« - Tu m’enterreras dans cette grotte. Adieu, mon cher fils Prudence. Que le Seigneur te garde, qu’il te conduise et t’assiste toujours ! »
Le vieillard, se soulevant alors un peu, étendit les mains et bénit ; prononçant le nom de Jésus, il s’endormit doucement dans le Seigneur.
Douleur de Prudence. – Dieu lui ordonne d’aller prêcher la pénitence.
En voyant mourir le solitaire, Prudence hors de lui s’écria : « O mon Seigneur, pourquoi m’enlevez-vous si vite celui que j’aimais tant ? Pourquoi me l’enlevez-vous quand j’aurais eu tant besoin de son secours ? »
Puis il pleura ; mais comprenant bientôt que sa douleur était trop forte, il ajouta : « Pardonnez, ô mon Sauveur, ces sentiments trop humains. Je ne méritais pas de jouir un seul jour, une seule heure de ce maître chéri, et vous me l’avez donné pendant sept ans ! Je vous en rend grâces. Que votre nom soit béni ! »
Se jetant ensuite sur le corps du vieillard : « O Saturius, s’écria-t-il, pourquoi me laissez-vous seul dans cette vallée de larmes ? Que ferai-je sans vous qui adoucissiez mes peines ? A qui irai-je ? sinon à vous, Seigneur, père des orphelins. Secourez-moi donc, Jésus, vous qui seul savez tout ce que j’ai perdu en perdant mon maître chéri. »
Le vieillard lui avait dit de la part de Dieu de se livrer désormais à la vie apostolique, et il voulait obéir ; mais il lui en coûtait de quitter sa solitude, si pleine de doux souvenirs.
Il hésitait, quand soudain un ange apparut et illumina la grotte entière de ses clartés.
- Dieu, dit-il à Prudence, t’ordonne de quitter ce lieu et d’aller à Calahorra pour y prêcher la pénitence, exciter l’ardeur des chrétiens et convertir les païens et les juifs.
Saint Prudence obéit aussitôt ; il laissa le corps du solitaire étendu sur le rocher et se contenta de fermer l’entrée de la grotte avec de grosses pierres.
L’ancien petit châtelain d’Armentia partit, pieds nus, un bâton à la main ; ses reins étaient ceints d’une ceinture de cuir et il n’avait pour tout vêtement qu’une peau de mouton.
Partout il raconta la vie édifiante de son maître Saturius. Des foules nombreuses allèrent bientôt visiter la solitude, et un grand nombre de miracles s’y opérèrent. Le concours des pèlerins n’a pas diminué, et on s’y rend encore aujourd’hui de tous les points du diocèse d’Osma et des pays environnants.
Comment on convertit les peuples.
Saint Prudence était arrivé à Calahorra. Monté sur une borne au milieu de la place publique il parla en ces termes à la foule immense qu’avait attirée l’étrangeté du spectacle :
« Habitants de Calahorra, faites pénitence ! Pourquoi, serviteurs de Satan, adorez-vous les fausses divinités ? Pourquoi êtes-vous les esclaves de vos péchés ? Et vous, juifs, pourquoi vous obstinez-vous à observer l’ancienne loi que Jésus-Christ, Rédempteur du monde, a transformé par son sang et changée en la loi de grâce ? Et vous, chrétiens, marqués du sceau du baptême, pourquoi pêchez-vous sans cesse contre ce Dieu que vous adorez ? »
« - Qui es-tu, vilain pâtre ? s’écrièrent les habitants. Comment oses-tu t’ériger en docteur ? va, guéris ta folie ! »
Et en même temps ils lui jetaient des pierres et lui donnaient des coups et des soufflets, tandis que les enfants lui lançaient de la boue.
Saint Prudence remercia Dieu d’avoir été jugé digne de souffrir quelques peines pour son saint nom, et continua les jours suivants ses prédications. Il s’attacha d’abords aux chrétiens dégénérés, qu’il convertit bientôt ; puis ce fut le tour des juifs et des païens, qui, eux aussi, quittèrent leurs rites abolis ou leurs idoles pour venir adorer le vrai Dieu et reconnaître Jésus de Nazareth.
Un jour, un aveugle de naissance s’approcha du saint au moment où il venait de prêcher. Prudence traça sur ses yeux le signe de la croix, et l’aveugle fut aussitôt guéri. La foule entière, à la vue du miracle , demanda à faire partie du troupeau du Christ.
Pourquoi saint Prudence quitta Calahorra et se fit sacristain.
Il avait passé quatre ans (664-668) à Calahorra et presque tous les habitants étaient convertis. Les moqueries et les insultes avaient fait place à l’admiration et au respect ; les miracles se multipliaient sous ses pas, et la foule le vénérait comme un saint.
C’en était trop pour son humilité : il résolut de quitter une ville où tout le monde l’honorait et où il n’y avait plus à souffrir.
Le lendemain il était à Tarragona ; le sacristain de la cathédrale le prit à son service. Saint Prudence s’acquitta avec ardeur de son travail, remplissant ses heures inoccupées par la prière et les bonnes œuvres.
A la mort du sacristain, il fut nommé à sa place ; mais le flambeau ne pouvait être caché plus longtemps sous le boisseau. Ses vertus étaient connues de tous, et on le vénérait de nouveau comme à Calahorra.
L’évêque l’appela un jour dans son palais et lui ordonna de la part de Dieu de se préparer à recevoir les ordres sacrés. Prudence, qui n’avait jamais su qu’obéir, se soumit à la volonté divine.
Nommé archidiacre en 681, il s’acquitta de cette fonction avec tout le zèle possible, donnant à manger aux pauvres, secourant les indigents, visitant les malades et les guérissant souvent par le signe de la croix.
Le ciel le désigne pour être évêque.
A la mort de l’évêque Népotien (697), les fidèles s’assemblèrent dans la cathédrale pour se choisir un nouveau pasteur.
On hésitait sur le choix à faire, quand soudain une voix du ciel s’écria : « Que Prudence, serviteur du Christ, soit notre évêque !
Tous les clercs et les fidèles se prosternèrent et redirent : « - Amen ! Amen ! »
« - Que Prudence, serviteur du Christ, soit notre évêque ! »
« - Qu’il soit notre évêque, lui le salut des infirmes, le secours des faibles ! »
« - Que Prudence, le consolateur des affligés, le père des orphelins et le soutien des pauvres soit notre évêque ! »
« - Oui, que Prudence, le docteur de la sainte Eglise de Dieu et l’ange de la paix soit notre évêque ! »
Tandis que le temple retentissait de ces acclamations, saint Prudence effrayé, le front dans la poussière, s’humiliait et disait : « O Seigneur, que suis-je pour que vous m’exaltiez de la sorte ! Je suis moins qu’un grain de sable, ou pour mieux dire, je ne suis rien, et vous voulez m’honorer ; je suis écrasé sous le poids de vos bontés.
Malgré sa résistance il fut élu, et Sonna, évêque d’Osma, avec deux autres évêques, vinrent le sacrer.
La cérémonie était à peine commencée, qu’un bruit extraordinaire se fit entendre. L’assemblée entière fut consternée, et pendant que tous, évêques, clercs et fidèles, étaient prosternés, on entendit tout à coup au milieu de ce silence général la voix de la majesté divine dire distinctement : « Celui-ci est mon serviteur fidèle, c’est celui que je me suis choisi et en qui j’ai placé toutes mes complaisances. Ecoutez-le. »
Tous se relevant alors s’approchèrent de saint Prudence, pour baiser ses mains et toucher ses vêtements. Puis d’un seul accord : « Père saint, dirent-ils, bénissez-nous et nous serons bénis !
Saint Prudence voulut en vain se défendre de ces marques de respect : « Eloignez-vous de moi, disait-il, vous vous trompez. Vous m’honorez comme un saint et je ne suis en réalité qu’un misérable, un ignorant et un pécheur. »
Mais la foule répétait sans cesse : « Père saint, bénissez-nous et nous serons guéris !
Prudence donna enfin sa bénédiction. Deux aveugles placés à ses côtés recouvrèrent aussitôt la vue.
Ce fut alors un enthousiasme indescriptible ; les boiteux, les muets, les sourds s’approchèrent, les infirmes furent apportés, et presque tous obtinrent leur guérison.
Saint Prudence vient à Osma. – Comment Dieu pour l’honorer
fait sonner les cloches par les anges.
Le nouvel évêque s’adonna avec ardeur à la prédication ; tous les dimanches, assis dans sa chair, il expliquait les saintes écritures à son peuple ; et les autres jours de la semaine, il enseignait son clergé.
« Mes petits enfants, répétait-il sans cesse, aimez-vous les uns les autres, vivez en paix, et le Seigneur de l’amour et de la paix sera avec vous. »
S’élevait-il quelque différend, c’est à lui qu’on recourait, et il savait toujours l’apaiser ; aussi l’appelait-on : l’ange de la paix et l’avocat des fidèles.
Or à cette époque, certains différends s’étaient élevés entre l’évêque et le clergé d’Osma. Poussé par son zèle apostolique, saint Prudence résolut, à cette nouvelle, de venir, au nom du Sauveur, porter la paix à cette église. Il monta sur sa pauvre mule et se mit en marche, accompagné seulement de quelques clercs et de son neveu, l’archidiacre Pélage.
On ne l’attendait point à Osma. Personne ne vint donc au-devant de l’envoyé du Seigneur. Mais Dieu voulait honorer son serviteur. A peine saint Prudence eut-il atteint le sommet de la colline et fut-il arrivé aux portes de la ville qu’aussitôt toutes les cloches de la vieille cité retentirent et sonnèrent à grande volée.
Le saint évêque entra en pacificateur dans Osma, le 20 avril 719, et les cloches continuèrent leur joyeux carillon, jusqu’à ce qu’il se fût prosterné devant le maître autel de la cathédrale.
Sa mort. – Comment les anges viennent chanter en deux chœurs des psaumes
et des antiennes autour de son corps.
Les habitants entourèrent bientôt le serviteur de Dieu. Les deux jours suivants, il apaisa le différend et avertit ses clercs qu’il repartirait le lendemain ; puis il s’enferma dans sa chambre, et, selon son habitude, chanta les sept psaumes de la pénitence.
Mais pendant la nuit une fièvre violente le saisit, et il dut rester à Osma. Il sut bientôt par l’Esprit-Saint qu’il devait y terminer ses jours.
« Apportez-moi, dit-il, le saint viatique, car je suis sur le point d’entreprendre un voyage, non pour Tarragona, mais pour ma patrie céleste où je désire aller depuis longtemps. »
On lui apporta notre-Seigneur, et, pendant quelques jours, les habitants d’Osma purent venir contempler un saint sur son lit de mort. « Quand apparaîtrai-je, disait-il, devant le trône de mon Dieu ? Quand me délivrerez-vous, Seigneur, de ce corps de mort ? Je désire mourir et aller à mon Dieu. Venez, Seigneur, je courrai après vous, attiré par vos bontés. Qui dira à l’époux de mon âme que je meurs d’amour ? Voici que mon bien-aimé m’appelle : Levez-vous, âme chérie, et venez, le triste hivers de la vie mortelle est passé, les pluies ont cessé de tomber, venez. »
Comme son neveu et ses clercs pleuraient en entendant ces paroles. « Ne pleurez pas sur mon bonheur, disait-il, car ce m’est un bonheur immense d’aller à mon Dieu. Aidez-moi plutôt à rendre mille actions de grâces au Seigneur pour ce bienfait. Remerciez-le pareillement avec moi de ce qu’il m’a conservé jusqu’à ce jour dans le sein de son Eglise, dans sa grâce et à son service. »
Pélage lui demanda alors où il voulait être enterré.
« Pélage, répondit le saint, mon Seigneur Jésus-Christ sait où mon corps doit être enseveli. Ecoute ce que je te demande et t’ordonne : Après ma mort, tu revêtiras mon corps de mes pauvres vêtements, tu le placeras sur la mule qui est accoutumée à me porter et tu l’enterreras à l’endroit où la mule s’arrêtera. »
Le 28 avril saint Prudence donna ses derniers conseils à ses clercs, les bénit, et, à l’heure même qu’il avait prédit, il expira en disant à haute voix ! « Seigneur Jésus, recevez mon âme ! »
Aussitôt, de délicieux concerts se firent entendre. Tandis qu’une foule d’anges portaient au ciel cette âme bienheureuse, une cohorte semblable d’esprits célestes divisés en deux chœurs chantait des psaumes et des antiennes au-dessous de la maison où était mort le saint évêque. Ils commencèrent par cette antienne : Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus. « La mort des saints est précieuse devant le Seigneur. Puis ils chantèrent celle-ci : Non est inventus similis illi, qui conservavit legem excela, « Il ne s’en est point trouvé de semblable dans l’observance de la loi du Très-Haut ; antiennes qu’ils alternaient avec les versets des psaumes.
Ces célestes harmonies se firent entendre pendant une heure.
Pourquoi les habitants d’Osma ne purent point mouvoir le corps du saint.
Le corps fut porté à la cathédrale, et l’évêque d’Osma donna ses plus riches ornements pour l’en revêtir.
Après l’office des morts, une discussion s’éleva entre les clercs d’Osma et ceux de Tarragona pour la possession des saintes reliques.
« Que le corps appartienne, dit Pélage, à ceux qui pourront le mouvoir avec facilité.
La proposition fut acceptée par tous.
L’évêque d’Osma s’approcha le premier et essaya de remuer les reliques ; ses chanoines vinrent à son aide, le saint ne remua pas d’avantage : les hommes les plus robustes essayèrent pendant tout un jour et toute une nuit, mais ces efforts multipliés n’aboutirent point.
Pélage et ses compagnons se rappelèrent alors les paroles du saint : « Après ma mort, vous revêtirez mon cadavre de mes pauvres vêtements, vous le placerez sur ma mule et Dieu pourvoira à ma sépulture. » Ils dépouillèrent donc le corps des riches ornements de l’évêque d’Osma et sans difficulté aucune le placèrent sur la mule.
Sur le point de partir, Pélage se tourna vers les assistants et leur dit : « Jamais illustres seigneurs et très chers frères, nous ne pourrons vous remercier assez, ni oublier les honneurs que vous avez rendus à notre prélat. Vous désiriez avec raisons garder le corps de celui qui a apaisé vos différends, afin qu’il protégeât votre ville d’Osma ; mais la sainte église de Tarragona veut revoir son saint évêque. Cette épouse mystique attend son bien-aimé plein de vie. Hélas ! elle n’en recevra que la dépouille mortelle. Ne lui refusez pas cette dernière consolation ! – Et encore lui sera-t-elle donnée ? nous l’ignorons. « Mon Seigneur Jésus-Christ, nous a dit Prudence avant de mourir, connaît le lieu de ma sépulture. »
Nous allons, sans la perdre de vue, suivre la mule qui porte ce trésor si précieux. Nous vous remercions de vos bienfaits ; promettez-nous le concours de vos prières. Que Dieu vous garde ! restez dans la paix du Seigneur et pardonnez-nous nos fautes. »
Dieu donne un tombeau à saint Prudence.
La mule descendit alors doucement la colline, traversa la plaine qu’arrose l’Usero et prit la direction de Soria. Les habitants d’Osma, montés sur les remparts, l’accompagnèrent longtemps de leurs regards.
Au bout de quelques heures, la mule quitta le chemin et s’engagea dans les montagnes à travers les précipices. La nuit arrivée, elle s’arrêta.
« C’est ici sans doute, dit Pélage, que Dieu a préparé la sépulture de son serviteur. » Et il voulut avec ses compagnons déposer le corps sacré. Mais ce fut impossible et les reliques présentèrent la même immobilité que dans la cathédrale d’Osma.
Le jour suivant, au lever de l’aurore, la mule reprit sa marche. Arrivée sur les hauteurs de Soria dans une grotte profonde, elle s’agenouilla.
Pélage comprit que c’était enfin le lieu choisi par le Seigneur. Les clercs déposèrent le corps sur le rocher, le placèrent dans un tombeau, et, tenant des cierges à la main, ils chantèrent les louanges de Dieu. (1er mai 719.)
Cette vie de saint Prudence
est tirée de l’Espagne sacrée, de
Florès.