Saint Pierre Damien

Fête le 23 février

Docteur de l’Eglise


Naissance et première éducation de saint Pierre Damien

Saint Pierre Damien naquit à Ravenne, l’an 988, de parents pauvres qui avaient autrefois joui d’une certaine opulence. Un de ses frères aînés en voyant pour la première fois ce septième enfant, s’écria : « Faut-il donc tant d’héritiers pour un si maigre héritage ? » La mère que la dureté d’un pareil langage attristait justement, n’eut pas la force de résister en face de ce fils ingrat. Elle abandonna son nouveau-né, mais pour le reprendre bientôt, car elle sentait toute l’indignité d’une pareille conduite. L’enfant ainsi repoussé en entrant dans le monde, eut un trait de ressemblance de plus avec Jésus-Christ qui avait voulu naître dans la pauvreté et au milieu des souffrances.

Pierre était à peine âgé de cinq ans, lorsqu’il perdit son père et sa mère. Il se trouva alors à la merci du frère dénaturé qui avait si durement accueilli sa naissance, et il en eut beaucoup à souffrir. Il était traité comme le dernier des valets, sans cesse accablé de coups ou d’injures, et chargé des travaux les plus vils et les plus pénibles. Quand le soir il ramenait son troupeau, on lui disputait souvent un morceau de pain. Mais, son âme était avec Dieu. Elle se formait sous son regard paternel, et le Seigneur se plaisait à la façonner comme de ses mains, pour la préparer à la grande mission qu’elle devait accomplir plus tard.

Le trait suivant nous montre quelle était déjà l’énergie de son caractère et la générosité de son cœur. Un jour Pierre mourrait de faim ; en menant paître son troupeau, il trouva sur le chemin une pièce de monnaie. Son premier mouvement fut de se livrer à la joie, et de songer qu’il pourrait ainsi se procurer du pain ; mais tout à coup, renonçant à son idée : « A quoi me servira, se dit-il, cette satisfaction d’un instant ? Il vaut mieux porter cet argent à un prêtre, afin qu’il offre le saint sacrifice pour l’âme de mon père. » Dieu ne devait pas tarder à récompenser la piété du vertueux jeune homme. »

Saint Pierre Damien étudiant et professeur

Pierre avait un frère archiprêtre de Ravenne, qu’il aimait d’une tendresse toute particulière. Damien (c’était son nom) aimait aussi son plus jeune frère, et, quand il connut l’état affreux où il était réduit, il s’offrit à le prendre auprès de lui, et se chargea de son éducation. L’enfant reconnaissant ne voulut plus porter que le nom de Pierre Damien qui lui a été conservé.

Grâce à l’étendue et à la pénétrante vivacité de son esprit, il fit de rapides progrès dans les lettres ; les écoles de Ravenne, de Faenza et de Parme eurent bientôt à s’applaudir d’un si brillant disciple. Elles eurent même le bonheur de voir enseigner dans leurs chaires ce jeune homme qui avait déjà illustré leur nom. Il possédait à fond la jurisprudence et l’art oratoire. Aussi sa réputation naissante eut-elle bientôt assuré une grande affluence de disciples autour de sa chaire.

Riche et honoré comme il l’était, l’éloquent professeur ne succomba pas à des tentations de vaine gloire qui aurait pu devenir l’écueil de sa jeunesse. Au milieu de ses triomphes il se disait souvent : « A quoi bon m’attacher à des biens qui passent ? puisque je dois un jour les quitter, pourquoi n’en ferai-je pas le sacrifice dès maintenant ? » Il aspirait de toutes les forces de son âme vers le repos du cloître, car il ne trouvait aucune satisfaction dans les agitations du monde. En attendant l’heureux moment où il quitterait la vanité du siècle, il usait des choses terrestres comme n’en usant pas. Il portait un cilice sous ses habits de fines étoffes qui dissimulaient mieux ses austérités. Se sentait-il pressé par la concupiscence, il éteignait ce feu intérieur en se plongeant dans l’eau à demi glacée de la rivière.

Au monastère

Enfin le moment arriva de quitter Ravenne. Il s’arma de courage et partit secrètement. Dans une solitude perdue du diocèse d’Eugubio s’élevait un monastère très rigide fondé par saint Romuald. C’est là que notre Saint porta ses pas. Les règles exigeaient que le postulant passât d’abord quarante jours dans une cellule solitaire. Pierre se conforma à cet usage. Après toutes sortes de macérations corporelles, il fut reçu ; l’abbé le fit revêtir d’un cilice, et lui donna l’habit religieux, bien qu’alors la cérémonie de la vêture ne fût point séparée de la profession.

Pierre au comble de ses vœux, marcha à grands pas dans la voie de la pénitence. La règle déjà si austère, lui sembla bientôt trop douce. Et cependant les religieux ne vivaient que de pain et d’eau quatre jours par semaine : le mardi et le jeudi, ils y ajoutaient quelques légumes qu’ils faisaient cuire eux-mêmes : ils marchaient nu-pieds, sur des montagnes couvertes de broussailles, prenaient de fréquentes disciplines, et se livraient à une foule d’autres mortifications.

Longtemps avant qu’on sonnât matines, notre Saint était au chœur, et quand les moines se retiraient, il restait en prière. Ces veilles excessives l’affaiblirent tellement qu’elles le conduisirent au seuil du tombeau. Il guérit cependant, et à partir de ce moment il eut plus de discrétion, et se conforma entièrement aux avis de l’obéissance.

Il se livra dès lors avec un grand zèle à l’étude des saintes Ecritures, d’où il retira de vives lumières tant pour sa conduite personnelle que pour la direction des autres. Il semblait de la sorte vouloir se dédommager des pénitences qu’on lui interdisait. Il livrait à ses frères les fruits de ses laborieux efforts, et de sa contemplation assidue. Sa parole savait enflammer leurs cœurs et il produisit un grand bien, et non seulement dans son monastère, mais encore dans les abbayes environnantes, qu’il fortifiait par un enseignement plein de doctrine et de chaleur, et qu’il édifiait surtout par sa vie mortifiée.

Saint Pierre Damien abbé de Fontavellane

Pendant qu’il se livrait à la vie apostolique avec tant de zèle, la communauté de Fontavellane perdait son abbé. A cette nouvelle Pierre revint prier une dernière fois, auprès du père qu’il avait toujours tendrement aimé. Après la cérémonie des funérailles, quand il fallut élire un nouvel abbé, les frères ne prononcèrent qu’un nom : celui de Pierre Damien. Il accepta cette charge, et autant il avait su bien obéir autant il sut bien gouverner : ses frères de Fontavellane eurent les prémices de son action réformatrice et directrice. Mais le zèle de cet apôtre réclamait un champ plus vaste, et il voulut ouvrir de nouvelles abbayes à toutes les âmes que le monde ne pouvait séduire. Il leur procura tous les moyens de perfection en son pouvoir, et les maintint toujours dans leur première ferveur.

Etat du monde chrétien, Pierre Damien lutte contre un siècle dépravé

Pendant que la vertu fleurissait ainsi dans le désert, le monde chrétien se voyait plongé dans un abîme de corruption qui n’avait pas encore été aussi profond depuis la fondation de l’Eglise. Une double plaie affligeait cruellement le corps mystique de Jésus-Christ : la simonie de l’incontinence des clercs. Les princes, par un abus de pouvoir incroyable, distribuaient les abbayes et les évêchés, à d’infâmes favoris sans science et sans vertu. Ils exerçaient leur prétendu droit des Investitures et la simonie prenait possession du sanctuaire au grand jour. Les créatures du pouvoir n’apportaient dans l’Eglise que les crimes qui leur avaient mérité d’être élus. En entrant dans la cléricature, ils n’entendaient, ni renoncer à leurs anciennes habitudes, ni se préoccuper de leur nouvelle charge.

Aussi au bout de peu de temps, la barbarie de la chair, comme l’appelle notre Saint, régna en souveraine maîtresse. A peine pouvait-on compter dans chaque diocèse, un petit nombre de prêtres fidèles aux devoirs de leur état, et qui fussent entrés dans le bercail par la véritable porte. Le sacerdoce ainsi avili par les passions les plus dégradantes, ne jouissait d’aucune influence et ne recevait que des marques de mépris. Tel était ce XIe siècle que saint Pierre Damien allait attaquer de front, et qu’il devait vaincre si heureusement.

Grégoire VI, en montant sur le siège apostolique (1045), avait énergiquement fait entendre qu’il ne tolérerait pas un tel état de choses. Saint Pierre Damien ravi de trouver tant de courage et de fermeté dans le vicaire de Jésus-Christ, l’en félicita par ses lettres, et lui déclara qu’il trouverait toujours dans la personne de Pierre Damien, en même temps qu’un fils dévoué, un aide décidé à tout entreprendre, pour assurer l’heureuse issue de la lutte. C’est ainsi qu’il entrait ouvertement dans la lice.

Clément II, qui succéda à Grégoire VI, sut apprécier le mérite d’un pareil athlète, et, plus d’une fois, d’accord avec l’empereur, il l’appela à sa cour, pour les aider à porter remède aux maux qui affligeaient la sainte Eglise. Sur leurs conseils, il se mit à écrire des livres, du fond de sa retraite, pour flétrir en termes d’une éloquence indignée, l’incontinence des clercs, et pour réclamer contre les usurpations du pouvoir temporel, qui s’ingérait dans les choses spirituelles, sans en avoir reçu mission.

Le mal était signalé, mais non encore guéri ; c’était au pape saint Léon IX qu’il était réservé de donner un remède efficace.

Il avait à ses côtés le jeune archidiacre Hildebrand, qui devait plus tard couronner l’œuvre, sous le nom de saint Grégoire VII. Saint Pierre Damien jouissait aussi de la confiance du pape. Sur le conseil de ces deux hommes éminents en science et en vertu, Léon IX convoqua un concile à Rome pour l’année 1049. Pierre Damien, en face du pape et des évêques fidèles à la bonne cause, montra le mal avec précision et mit le doigt sur la plaie, sans se soucier d’une multitude insolente de prélats et de prêtres scandaleux. C’était la lutte de l’esprit de Dieu contre la chair et le sang, et il n’était pas étonnant qu’elle excitât une formidable résistance de la part des passions brutales. Mais les Pères du concile s’en souciaient fort peu. L’anathème fut prononcé contre tous les prêtres qui vivaient dans le mariage ; et le peuple chrétien accueillit cette nouvelle avec un immense cri d’allégresse ; et il se tourna dès lors vers l’unique refuge des âmes, le filet du pêcheur Pierre.

Saint Pierre Damien évêque et cardinal

Des services si éclatants valurent à saint Pierre Damien l’amitié vive et sincère qui l’attacha toujours à saint Léon IX et à Hildebrand.

Etienne X qui succéda à saint Léon IX voulut le récompenser. Il lui ordonna donc de venir le trouver à Rome, pour recevoir la consécration épiscopale et les insignes du cardinalat. Pierre, dont l’humilité s’effrayait facilement, répondit par un refus péremptoire : « J’ai fait vœu, dit-il, de vivre au désert : les affaires du siècle me sont interdites et je les ai en horreur. » Mais le Pape ayant commandé au nom de la sainte obéissance, il n’insista plus. Il vint recevoir de ses mains l’anneau et le bâton pastoral, gages symboliques de l’alliance qu’il contractait avec l’Eglise d’Ostie.

Mort d’Etienne X

Légation de saint Pierre Damien à Milan

Peu de jours après, le Pape mourait prématurément à la fleur de l’âge. Pierre à peine assis sur le siège d’Ostie, accourut à Rome. Déjà les factieux, à la faveur d’un grand tumulte, avaient proclamé pape l’Evêque Jean de Velletri sous le nom de Benoît X. Le nouveau cardinal, à la tête du collège qui l’acceptait pour chef, protesta contre cette élection, et excommunia tous ceux qui y avaient pris part.

Il proclama partout que l’anti-pape était un simoniaque, et, comme on lui conseillait d’agir sous le voile de l’anonyme, il répondit : « Un fils de la sainte Eglise ne se cache pas pour combattre les sacrilèges profanateurs qui outragent sa mère : il se lève pour la défendre, et meurt s’il le faut pour la venger. » Un tel courage triompha des difficultés, et bientôt un pape légitime, Nicolas II, fut élu par les cardinaux.

Pendant que l’Eglise romaine était ainsi troublée par les factieux, celle de Milan était en proie à de non moins funestes dissensions. La ville s’était divisée en deux camps, l’un contre le clergé, l’autre en sa faveur. Tous les clercs, depuis l’archevêque jusqu’au dernier portier, tous vivaient dans l’infamie du concubinage, et avaient acheté leur dignité ecclésiastique argent comptant. On en était même arrivé à stipuler d’avance le prix des divers ordres sacrés, et cette taxe impie portait le nom de canon. Les chrétiens milanais, en face de tant de maux, cherchèrent un remède auprès du Souverain Pontife. Nicolas II ne trouva personne qui fut plus propre à relever cette malheureuse Eglise de ses ruines que Pierre Damien.

Le saint Légat fut reçu à Milan comme un ange envoyé du ciel. Mais à peine a-t-il fait connaître ses intentions et l’objet de sa mission, qu’une révolte éclate. Les cloches sonnent à toute volée pour appeler le peuple aux armes. L’émeute grandit à toute minute, et les cris sauvages parviennent jusqu’à saint Pierre Damien qui était renfermé dans l’église avec tout le clergé. L’homme de Dieu fait porter l’ambon sur les marches extérieures du temple, et de là, il s’adresse à la foule irritée. Il établit d’après le témoignage même de saint Ambroise, le grand évêque de Milan, que l’Eglise romaine avait autorité sur toutes les autres Eglises, pour réformer, quand elle voulait, les abus qu’elle y apercevait. Du reste on ne voulait pas en ce moment enlever à l’Eglise Ambrosienne les privilèges dont elle jouissait, mais seulement les restreindre dans de justes limites. Ces raisons présentées avec une habile éloquence, calmèrent peu à peu l’effervescence populaire, et Pierre Damien put reprendre la tâche difficile qu’il avait laissée. Il se trouva alors en face d’une simonie presque inextricable. Comment remédier à un mal dans lequel le malade se complaisait ? La prudence du Légat sut allier la mansuétude à la rigueur, et garder la justice dans une circonstance aussi grave. Son principal soin fut surtout de couper court à toute espèce de désordre, et à les prévenir par de sages mesures. Quand il eut terminé son œuvre, il quitta Milan au milieu des bénédictions et des acclamations de tout le peuple qui l’appelait son Sauveur.

Schisme de Cadaloüs

L’illustre Légat vint rendre compte de sa mission au Pape, et se retira ensuite dans sa ville épiscopale pour y reprendre les soins du ministère, qu’il remplissait avec tout le succès dont il était capable.

Un nouvel incident le ramena bientôt à Rome. Nicolas II venait d’être enlevé à l’amour des fidèles défenseurs de l’Eglise. Les troubles recommencèrent, mais saint Pierre Damien, mêlé à l’élection du Souverain Pontife en sa qualité de cardinal, ne négligea rien pour soutenir Alexandre II légitimement élu.

Quelques mois s’étaient à peine écoulés, que l’audacieux évêque de Parme levait l’étendard de la révolte, et se faisait proclamer Pape dans une diète. Il s’appelait Cadaloüs, et son nom est resté attaché à sa révolte. Saint Pierre lui écrit deux lettres extrêmement fortes, pour lui reprocher son ambition. Il le menaçait avec une fermeté toute apostolique, des foudres prochaines de la vengeance divine : « Je ne vous trompe point, vous mourrez avant un an. » L’intrus ne se laissa pas émouvoir, et il osa même se diriger à la tête d’une armée sur la ville de Rome. « Des torrents de larmes, écrivait saint Pierre Damien, s’échappent de mes yeux. Je sèche de douleur au spectacle des calamités de la sainte Eglise. Prions pour ces furieux afin qu’ils se convertissent ! »

La prière du saint cardinal fut entendue. Les mêmes Evêques qui avaient élu Cadaloüs peu de mois auparavant, se repentirent de ce qu’ils avaient fait, et le déposèrent dans une assemblée solennelle. Ainsi se réalisait la prophétie de saint Pierre Damien, car, dit le saint docteur, s’il ne mourut pas véritablement, son honneur du moins était ruiné et subissait une sorte de trépas.

Mais comprenant que tôt ou tard il relèverait la tête, le courageux défenseur des droits du Saint-Siège, voulut que l’erreur fût solennellement anathématisée. Il s’occupa de réunir un concile à Mantoue, et là, de concert avec Alexandre II, Hildebrand, et tous les cardinaux, il fit condamner Cadaloüs, et le pape légitime fut confirmé dans la possession de son siège.

Saint Pierre Damien retourne dans son désert

Mais au milieu de ces luttes et de ces triomphes, l’humble cardinal soupirait après la solitude et le repos dont il jouissait jadis à Fontavellane. Vingt fois il avait demandé à se décharger du poids de l’épiscopat, et toujours ses propositions avaient été repoussées. Il avait beau alléguer son grand âge et ses infirmités, Hildebrand comprenait trop bien que sa présence était encore utile à l’Eglise. Cependant pour lui permettre de mieux reprendre la lutte, il le laissa libre enfin de prendre quelque repos.

Pendant le court moment de répit dont l’Eglise jouit alors, Pierre put aller retrouver ses religieux au désert. Il leur demanda la plus pauvre des cellules. A Rome et à Ostie, sauf les jours de fêtes, où il se permettait un peu de poisson, sa nourriture quotidienne consistait en un morceau de pain noir : jamais il ne voulait boire que de l’eau tirée de la veille et qui avait perdu toute sa fraîcheur. Au désert il renchérit encore sur ses pénitences passées : ses jeûnes devinrent plus rigoureux. Jusqu’à la mort il porta sur sa chair nue une ceinture de fer armée d’aiguillons. Le bassin dans lequel il lavait les pieds aux pauvres lui servait parfois à détremper son pain : son lit était une natte de jonc. Il inventait des raffinements dans sa pénitence : « Il est plus difficile et plus méritoire, disait-il, de renoncer à l’usage du sel, qu’à celui de la viande. »

Cette effrayante austérité était cependant assaisonnée d’une franche gaîté, que l’on peut saisir dans ses rapports intimes avec Alexandre II et Hildebrand. Un jour, ce dernier ayant reçu en cadeau un poisson, en envoya une moitié au saint cardinal, qui lui répondit par ce distique : « Je ne m’étonne plus que Pierre soit réduit à une telle pauvreté : les fleuves ne produisent plus que des demi poissons. »

Une autre fois, dit saint Pierre Damien, le Pape ayant engagé sans moi une affaire épineuse, me demanda d’intervenir pour la terminer. On avait ainsi entonné Gloria Patri, et l’on m’appelait pour dire Sicut erat. J’en fis l’observation en ces vers : « Je n’aime guère le Sicut erat, moi qui ne chante jamais le Gloria Patri, qui a déjà mangé la tête devrait en bon droit avaler aussi la queue ; qui a sucé la moëlle, peut bien risquer ses dents à casser les os. »

Saint Pierre Damien, Légat de France

L’homme de Dieu qui avait toujours toute la confiance du Pape, fut rappelé à Rome, et chargé en qualité de légat apostolique, d’aller réprimer des abus criants dont certains évêques de France s’étaient rendus coupables. Pierre partit aussitôt pour Cluny, afin de rétablir dans leur monastère saint Hugues et ses religieux, que l’Evêque de Mâcon en avait violemment expulsés. Malgré sa vieillesse et ses infirmités, l’illustre Légat n’interrompit pas un seul jour l’abstinence monastique ; il psalmodiait l’office divin aux heures accoutumées, comme s’il eut été à Fontavellane. A son approche, l’Evêque de Mâcon se retira, sans vouloir affronter le courroux du Saint, et celui-ci eut le bonheur de voir l’observance monastique rétablie dans le célèbre monastère de Cluny. Sa légation ne se borna pas à cet acte de justice : elle fut même très laborieuse.

Il dut se transporter à Limoges au milieu de mille dangers, puis à Châlons-sur-Marne. Il y présida un concile dans lequel il termina heureusement les différends dont il était juge. La paix rétablie, il revint à Rome auprès du Pape ; il ne devait plus rester longtemps à ses côtés. Pierre allait bientôt cueillir la palme de la victoire, qu’il avait si bien méritée par ses luttes.

Saint Pierre Damien empêche le divorce de Henri IV d’Allemagne

En effet, à quelque temps de là, un fait monstrueux et sans précédent dans les anales du peuple chrétien, réclama l’action du Saint-Siège en Allemagne. Après les fêtes de la Pentecôte de l’an 1069, dans une diète tenue à Worms, le jeune roi Henri IV, déjà livré aux plus honteux excès, avait ouvertement déclaré sa résolution de répudier la jeune reine Berthe, qu’il avait conduite à l’autel peu de mois auparavant. Il n’avait d’autre raison que la passion. Cette déclaration fut accueillie par un sentiment d’horreur et de mépris général, mais nul n’osa affronter le courroux du jeune libertin couronné. Il y eut même un évêque vendu d’avance, qui réussit à faire prendre cette résolution en considération, et l’on fixa la réunion d’un synode à Mayence, pour la fête de saint Michel.

Saint Pierre Damien fut chargé d’aller le présider. Le jeune prince furieux de voir ses plans déconcertés, refusa de se rendre à Mayence, et les évêques du concile durent venir à Francfort, où s’ouvrit au jour fixé l’assemblée synodale.

Pierre prit le premier la parole au nom du Pape. Il flétrit le projet indigne et détestable dont il avait à l’accuser, menaça le prince de sanctions canoniques, s’il refusait d’écouter les ordres du Pontife Romain. En terminant, il déclara que s’il donnait ce scandale au peuple chrétien, jamais le Pape ne prêterait ses mains pour ceindre de la couronne impériale le front d’un adultère. Henri IV voyait ses criminels desseins évanouis. D’un ton de rage concentrée : « J’essaierai, dit-il, de me faire violence, et de porter comme je pourrai un joug dont je ne puis m’affranchir. » Il consentit à conserver la jeune Berthe, et lui rendit bientôt son amour. En 1071 Berthe lui donnait un fils.

Saint Pierre Damien avait pu entrevoir les malheurs dont le règne de ce roi allait être le signal pour l’Eglise. De retour à Rome, il communiqua au Pape ses tristes pressentiments. Pour lui, sa laborieuse carrière touchait à son terme, car il était déjà plus qu’octogénaire. « Pleins de jours et de saintes œuvres, dit l’hagiographe, l’athlète du Christ se préparait à la suprême récompense. »

Sa dernière mission à Ravenne. – Sa mort

Mais il dut encore accepter auparavant une mission pour Ravenne, sa ville natale. L’archevêque schismatique venait de mourir dans l’impénitence. Le Pape désireux de mettre un terme au schisme, chargea Pierre Damien de rétablir cette ville dans l’unité catholique. C’était l’un des vœux les plus ardents du Saint. Il supporta les fatigues du voyage avec un courage merveilleux, et son titre de concitoyen lui fut très utile pour étouffer le schisme. Il leva l’excommunication et ce jour-là l’allégresse fut grande dans Ravenne.

Mais le serviteur de Dieu avait hâte de rentrer à Rome : le Seigneur avait disposé qu’il ne devait plus revoir la ville éternelle. A une demi-journée de Ravenne, à Faënza, où s’était passée une partie de sa jeunesse, il fut pris d’une fièvre violente qui se prolongea sans amélioration durant huit jours.

Le neuvième jour on célébrait la fête de la Chaire de saint Pierre. Vers le milieu de la nuit, sentant qu’il allait quitter ce monde, Pierre fit ranger ses compagnons autour de son lit, leur ordonna de réciter, comme à l’ordinaire, l’office du matin, « voulant, disait-il, célébrer l’office du Prince des Apôtres, comme s’il eût été à Fontavellane. » Les Nocturnes furent suivis de la Messe. Le Bienheureux communia au corps et au sang du Seigneur. « Nous le vîmes alors, dit un de ses compagnons, se recueillir dans une méditation qui ressemblait à l’extase : son âme se détacha doucement des liens du corps, et il cessa de vivre sur la terre. » Ainsi, le jour où l’Eglise célèbre l’avènement de Pierre à la charge pastorale, la cour céleste recevait dans les splendeurs des saints un des plus fervents disciples de saint Pierre. – (18 janvier 1072.)

On se disputa l’honneur de donner la sépulture aux restes de l’homme de Dieu. Mais Faënza ne voulut jamais se défaire de son précieux trésor. Les funérailles ressemblèrent à une pompe triomphale. Une foule de miracles s’accomplissaient sur le passage du corps, et la cathédrale de Faënza fut témoin dans la suite de nombreux prodiges.