Saint Patrice
Fête le 17 mars
Apôtre d’Irlande
Au moment où l’ancienne Ile des Saints est si cruellement éprouvée, nous voudrions exciter dans le cœur des Français qui nous liront quelque sympathie pour ce pays, où Dieu semble avoir voulu conserver une foi d’autant plus inébranlable qu’elle a été horriblement persécutée.
S. Patrice fut l’apôtre de la verte Erin, et les prodigieux et presques innombrables miracles qui furent les grands arguments de sa prédication soulèvent d’étranges scandales parmi les descendants des réformés. On a cherché des raisonnements explicatifs du fait. On a dit : Les bardes furent les premiers historiens de S. Patrice et ils ont créé des légendes. Oui, les bardes ont beaucoup parlé de S. Patrice, mais pour l’attaquer, le persifler, l’accuser, bouleverser son autorité; les récentes publications des admirateurs d’Ossian sont là pour le constater. On dit encore, et des évêques anglicans surtout, que S. Patrice a été le précurseur de la réforme. Singulier précurseur que celui qui prêche le contraire de ce que la réforme affiche. Patrice affirme, la Réforme nie, donc Patrice a préparé la Réforme. Admirable logique du protestantisme, troublé par les miracles du propagateur de la foi au milieu d’un peuple païen et qui s’est fait catholique pour être plus près à devenir protestant !
Cela dit, nous acceptons franchement les miracles de S. Patrice racontés par ses contemporains ou ses successeurs immédiats, et nous ne pouvons nous expliquer l’action de ce gardeur de moutons si Dieu ne lui a donné le pouvoir de prouver ses paroles par des actes divins. Mais les actes divins, c’est ce dont ne veut pas la science moderne, et c’est pourquoi il faut les lui jeter à la face malgré toutes ces dénégations. Si Voltaire disait : Mentez, mentez, il en reste toujours quelque chose, nous ne craindrons pas de dire : il restera toujours quelque chose de la vérité annoncée. Nous l’annoncerons donc toujours, même quand il s’agira de miracles.
Quant à notre saint, il en eut le don dès ses premières années. Né de parents nobles et probablement romains, il pouvait se glorifier d’être neveu de S. Martin de Tours par sa mère. Il guérit tout enfant une de ses sœurs d’une blessure très grave qu’elle s’était faite en tombant. Il ressuscita un oncle qui l’avait conduit à une assemblée publique et qui tomba mort subitement. A seize ans, il est amené captif des côtes de la Bretagne française en Irlande ; c’était vers l’an 390. Le maître à qui il fut vendu était dur et l’envoyait passer les jours et les nuits à garder les troupeaux dans les bois et sur les collines. Patrice en profitait pour faire de plus grands progrès dans la prière et apprendre la langue du pays. Son maître le vit en songe s’approcher de lui tout environné de flammes ; celui-ci les repoussait, mais elles consumèrent ses deux jeunes filles endormies dans un même berceau. Leurs cendres se répandirent au loin, et les flammes, portées par le vent, atteignirent l’extrémité de l’île. A son réveil, Milcho (c’était le nom du maître) demanda à son esclave l’interprétation d’un songe si bizarre. Patrice répondit que la flamme était la vraie foi dont son intelligence et son cœur étaient embrasés, que ses deux filles se feraient chrétiennes et que leurs reliques portées au loin aideraient à l’expansion de la vérité ; que du reste l’Irlande l’accepterait dans toute l’étendue de son territoire.
Après six ans, Patrice, averti par une voix céleste, prit la fuite, et, conduit d’une façon prodigieuse, demanda place sur un vaisseau qui mettait à la voile. D’abord repoussé, il fut, sans qu’il insistât, invité à monter à bord. Il débarqua sur les côtes de l’Armorique, fut une seconde fois fait prisonnier, mais sa captivité fut courte ; rendu à la liberté, il se prépara au sacerdoce, moine pendant quelque temps à l’abbaye de Marmoutiers. S. Martin lui avait même conféré la tonsure. A partir de ce moment, il prit la résolution de ne plus manger de viande, et il y fut fidèle. Déjà des signes surnaturelles l’avertissaient de sa mission. Ainsi il vit un étranger apporter des lettres sans nombre. Le messager en prit une qu’il lui remit et ses premiers mots étaient ceux-ci : Les voix de l’Irlande. Lorsque S. Celestin envoya S. Germain d’Auxerre combattre le pélagianisme en Angleterre et que les évêques des Gaules lui adjoignirent S. Loup de Trois, S. Patrice fut leur compagnon. On raconte que les deux évêques, ayant prêché sans succès dans une ville, tinrent conseil avec leurs auxiliaires. Quand vint le tour de Patrice de donner son avis, il proposa un jeûne de trois jours, après lequel on verrait ce qu’il serait opportun de faire. Au bout de trois jours, la ville se convertit.
Désireux de se préparer par l’étude de la science ecclésiastique à son attrait pour l’évangélisation de l’Irlande, il se mit à l’école célèbre alors des moines de Lérins, ce séminaire des saints évêques de l’époque. Une certaine incertitude plane sur la date où il reçut l’onction épiscopale. On peut croire qu’il fit deux fois le voyage de Rome, reçut la bénédiction du pape Célestin 1er, fut consacré dans la petite ville d’Yvrie au pied des Alpes et partit pour l’Irlande à l’âge de 55 ou 60 ans.
Il paraît que S. Patrice a eu des relations avec S. Grégoire le Grand ; ce qui est certain c’est que son apostolat coïncide avec l’époque où le grand pontife occupa la chaire de S. Pierre.
Jamais, excepté sous l’occupation de la Bretagne par Agricola, Rome n’avait songé à envahir l’Irlande. L’Irlande au contraire envahissait l’Angleterre par ses colonies, qui d’Ecosse pénétraient jusqu’aux environs de Londres. Plus tard ces colonies furent repoussées, mais la terreur des Irlandais effraya longtemps les Bretons. L’Irlande alors était soumise à trois classes supérieures : les druides, les juges et les bardes. Les druides avaient longtemps à l’avance annoncé l’arrivée de S. Patrice, ils en avaient dépeint le costume, la tonsure, les mœurs. Aussi quand il débarqua vers 432 à l’embouchure de la rivière appelée Vartry, il fut repoussé par les mêmes hommes qui avaient refusé d’écouter la prédication de S. Palladius. Il dut songer à aborder la côte de Méath aux lieux où s’était écoulée la captivité de son enfance. C’est au commencement de ses travaux qu’il faut placer l’histoire de Bénigne, un enfant qui, voyant le saint endormi au bord d’une rivière, alla cueillir les plus belles fleurs qu’il trouva et, malgré les compagnons de Patrice qui craignaient de le réveiller, les plaça dans son sein. Et lui, se réveillant prédit la future grandeur de l’enfant et dit : Voilà l’héritier de mon royaume. Un autre historien ajoute que Patrice, ayant passé la nuit dans la maison des parents de Bénigne, l’enfant voulut rester tout le temps à ses pieds. Le matin, quand le saint dut partir, Bénigne le conjura avec de telles instances de lui permettre de l’accompagner que Patrice le permit, et à partir de ce moment Bénigne ne le quitta plus et fut son successeur sur le siège d’Armagh.
Patrice eût voulu convertir son ancien maître Milcho. Il lui envoya de l’or, mais le vieil avare, rendu furieux par l’approche de son ancien esclave, ramassa autour de lui ses richesses et se brûla avec elles, en mettant le feu à sa maison.
S’éloignant de Meath, Patrice arriva à Stranzford, où il séjourna.
La contrée était gouvernée par Dichu, vassal de Laeghaire roi de Tara. Les druides, qui se doutaient de l’arrivée de l’apôtre, mirent tout en œuvre pour le repousser. Ici commencent les prodiges de Patrice. On était aux fêtes de Pâques ; défense fut faite aux païens d’allumer du feu avant l’apparition du feu royal. Patrice ne tint aucun compte de la défense et alluma le sien. Le roi informé envoya des soldats tuer Patrice ; il voulut lui-même lever son épée sur sa tête. Vains efforts, la main était paralysée. On envoya des émissaires pour l’assassiner dans les chemins où il devait passer. Patrice bénit ses huit compagnons et le petit Bénigne, lui-même se rendit invisible, et les gardes ne virent passer que huit daims et un faon. Le lendemain le roi donnait un festin ; les portes fermées, Patrice entra tout de même. On lui présente une coupe empoisonnée ; Patrice fait le signe de la croix, il renverse la coupe et le poison seul en tombe. Un druide veut entrer en lutte avec lui : ce druide fait tomber de la neige et couvre le pays de ténèbres, mais quand il veut dissiper les ténèbres et faire fondre la neige, impossible ; la lumière ne revint pas et la neige ne fondit qu’aux prières de Patrice. Beaucoup d’autres prodiges dont un coûta la vie au druide furent opérés. La reine se convertit, mais Laeghaire non. Plusieurs chrétiens pourtant reçurent le baptême ; Laeghaire le refusa absolument, probablement par politique. Patrice lui annonça que ces fils mourraient sans régner, excepté le plus jeune parce qu’il se ferait chrétien ; l’évènement justifia la prophétie.
A partir du drame de Tara, Patrice semble s’être posé en vainqueur qui a conquis le pays en une seule victoire. Il le parcourt de l’orient à l’occident en triomphateur. Il rencontre les deux filles du roi Laeghaire, et, après un dialogue dont nous voudrions reproduire la naïveté, il les baptise, leur donne le voile des vierges, les fait participer aux saints mystères, et elles, dans leur ardent désir de contempler Dieu face à face, s’endorment du soleil de l’extase, pour se réveiller au pied du trône éternel. Mais un plus grand combat attendait Patrice. Parvenu à la montagne qui porte son nom, il entre en lutte avec Dieu : il lui faut des âmes, il en fixe un nombre à l’ange envoyé par le Tout-Puissant, et chaque fois il devient plus exigeant. Dieu semble refuser d’abord, puis il accorde tout ce qui lui a été demandé. Qu’est-ce que Dieu pouvait refuser à un pareil serviteur !
Il serait impossible de suivre l’apôtre dans ses pérégrinations, qui n’avaient rien de régulier. Il avait demandé à un roi nommé Daire la permission de bâtir une église sur une colline. Celui-ci refuse et bientôt tombe malade. Patrice prend de l’eau, la bénit, l’envoie à Daire qui sur-le-champ guérit. Ravi de se voir sur pied, il prend un chaudron de cuivre, l’envoie à Patrice. Patrice répond seulement deo gratias. Ce remerciement déplaît à Daire, qui envoie reprendre son chaudron. « Qu’a dit Patrice ? demande Daire à son messager. - Deo gratias, » répond l’autre. Ce calme touche le roi, qui va lui-même reporter le chaudron, en compagnie de la reine, et accorde la colline refusée d’abord. Patrice y monte avec ses compagnons et trouve un faon avec une biche. Ses compagnons voulaient tuer le faon, Patrice s’y oppose et porte sur ses épaules le faon suivi de sa mère, représentation touchante du bon pasteur.
La construction de l’église semble le point culminant de la vie de saint Patrice. Elle fut mêlée à des tristesses. Un païen dont Patrice avait renversé l’idole avait juré de se venger. Il alla attendre le voyageur apostolique, mais frappa son compagnon ; c’est le seul martyr qu’ait eu l’Irlande pendant ce merveilleux épiscopat.
Un roi nommé Corotic ou Caradoc avait fait massacrer ou emmener en esclavage du côté de l’Ecosse ou du pays de Galles un certain nombre de chrétiens récemment baptisés. Patrice lui adressa une lettre touchante, mais elle resta sans résultat. Patrice n’en avait pas moins témoigné la plus paternelle tendresse pour les âmes que le Christ lui avait confiées.
Cependant la foi se répandait dans la future île des Saints. Patrice en était à peu près l’unique propagateur ; il baptisait les convertis, guérissait les malades, prêchait sans cesse, visitait les rois pour s’en faire aider dans l’œuvre de la conversion des peuples, ne reculant devant aucune fatigue ni aucun péril, et répandant des flots d’amour avec les flots de la lumière évangélique.
Ce qu’il y a, ce semble, de plus aimable dans S. Patrice, c’est sa foi. Pour elle, il subit six ans d’esclavage afin d’apprendre la langue des peuples qu’il devait convertir ; pour elle il se soumit à la vie monastique, pour elle il se prépara à Lérins et ailleurs à la science sacrée dont il devait répandre les bienfaits, pour elle il soutint en Irlande les plus rudes travaux et surtout ce fameux combat contre Dieu, dans lequel comme Jacob il finit par demeurer vainqueur. Elle lui avait mérité d’entendre dans sa jeunesse « Les voix des Irlandais ». Elle lui avait donné la confiance qu’il pouvait tout en celui qui le fortifiait. Elle lui faisait tourner à l’épanouissement de la foi, ce qui semblait devoir la détruire. Un chef de brigands nommé Mac Kile faisait la désolation de la province de l’Ulster ; ses compagnons de pillage et d’assassinat étaient redoutés au loin. Mac Kile apprend que Patrice arrive dans les parages infestés par lui. Un premier mouvement le pousse à fuir ; il revient par je ne sais quel sentiment chevaleresque à l’idée de combattre l’influence de l’apôtre. Il ordonne à l’un des siens de se coucher dans un cercueil ; ses compagnons doivent le porter auprès de Patrice pour implorer un miracle inutile et couvrir le saint de confusion. Mais une lumière divine a tout révélé à S. Patrice, et le secours d’en haut ne lui fait pas défaut, car lorsque les brigands veulent découvrir la figure de leur camarade, ils le trouvent bien mort. La désolation fut grande, on tomba aux genoux de Patrice, qui touché de leur douleur, ressuscita le malheureux. Mac Kile en fut si ému qu’il fit d’effrayantes austérités et devint l’un des plus illustres saints d’Irlande.
Un autre pénitent merveilleux fut Assicus. Il était évêque d’Elphin et eut le malheur de mentir. Revenu à lui, sa douleur fut si grande qu’il alla se cacher dans une caverne au fond d’une vallée ignorée. Pourtant on l’y découvrit. Ses moines (les évêques alors vivaient entourés de moines) vinrent le chercher ; jamais il ne consentit à quitter sa solitude et à cesser sa pénitence. Ses moines vinrent résider auprès de lui et après sa mort ils entourèrent son tombeau d’un monastère.
Sa charité n’avait pas de bornes. Voyageant un jour le long d’un bois, il rencontra des bûcherons dont les mains étaient en sang ; il leur en demanda la cause. « Nous sommes, répondirent-ils, esclaves de Trion, il est si cruel qu’il ne nous permet pas d’aiguiser nos haches pour nous rendre le travail plus pénible. » Patrice bénit les haches avec lesquelles le travail n’eut plus de difficultés. Puis il se rendit chez Trion pour implorer sa miséricorde. Tout fut inutile, même un long jeûne. Patrice se retira en lui prédisant une mort qui le châtierait de sa dureté. Trion repris ses mauvais traitements, mais un jour voyageant le long d’un lac son cheval l’y précipita, et depuis le lac a porté son nom.
Les visions de Patrice étaient incessantes, surtout quand il célébrait la messe ou qu’il lisait l’Apocalypse. L’ange Victor le visitait souvent. Dans la première partie de la nuit il récitait cent psaumes, il faisait en même temps cent génuflexions. Dans la seconde partie de la nuit, il se plongeait dans l’eau glacée, le cœur, les yeux, les mains tournés vers le ciel, jusqu’à ce qu’il eut fini les derniers cinquante psaumes. Enfin il donnait au sommeil un temps très court, étendu sur un roc avec une pierre pour oreiller et couvert d’un cilice pour macérer son corps, même en dormant. Est-il étonnant qu’à une pareille austérité Dieu accorde des dons surnaturels, qu’au nom de la sainte Trinité il ait ressuscité trente trois morts, et que sa prédication, enflammée par sa prière, ait produit de si merveilleux effets ?
Ainsi que S. Elphin, Patrice renonça à l’épiscopat, mais il avait consacré plus de trois cents évêques. On explique ce nombre par la quantité de pontifes qui renoncèrent à leur siège.
Après avoir eu la révélation de l’avenir de l’Irlande, Patrice fut averti que l’heure de sa fin était proche. Un jour que l’homme de Dieu était, assis avec quelques-uns de ses compagnons, à un certain endroit près de la ville de Down, il se mit à parler de la gloire des saints. Pendant qu’il discourait, une grande lumière brilla sur un point dans le cimetière voisin. Ses compagnons lui firent remarquer le prodige et il chargea Ste. Brigid de l’expliquer. La vierge répondit que c’était la place où reposerait quelque grand serviteur de Dieu. Ste Ethumbria, la première vierge consacrée à Dieu, demanda à Ste Brigid de lui dire le nom de ce grand serviteur. Elle lui répondit que c’était le père et l’apôtre de l’Irlande.
S. Patrice se dirigea alors vers le monastère de Saul et aussitôt se mit au lit, sachant que la fin de sa vie approchait. De son côté, Ste Brigid, arrivée à son monastère de Curragh, pris le suaire qu’elle avait depuis longtemps préparé pour Patrice, et avec quatre de ses sœurs retourna à Saul ; mais à jeun et écrasées de fatigues, ni elle ni ses compagnes ne purent poursuivre leur route. Leur détresse fut révélée au saint sur son lit de mort ; il envoya cinq chariots à leur rencontre et elles purent arriver à temps pour présenter leur offrande. Elles baisèrent ses pieds et ses mains et reçurent une dernière fois sa bénédiction. L’heure de sa mort approchait. Il reçut le corps de N. S. des mains de l’évêque de Tassach d’après l’avertissement de l’ange Victor, il rendit le dernier soupir dans la cent vingtième année de son âge.
On l’enveloppa dans le linceul préparé par Ste Brigid. Les miracles éclatèrent à ses funérailles, ses chairs exhalaient une odeur suave. Les habitants d’Armagh prétendaient avoir droit à ses reliques. Les Ulidiens les réclamaient. Le corps fut posé sur un char funèbre traîné par deux bœufs. Les hommes d’Armagh le suivait à ce qu’il leur semblait, marchant du côté de leur ville, quand ils s’aperçurent qu’ils avaient été victimes d’une illusion et qu’ils n’avaient suivi qu’un fantôme ; tandis que les Ulidiens, maîtres du précieux dépôt, le portèrent chez eux et l’enterrèrent comme il avait été prédit parmi les enfants de Dichu à Down-Patrick.