Sainte Notburge
Fête le 4 septembre
Vierge et servante. – Quatorzième siècle
Légende de la gravure
Un soir, comme son maître la voulait contraindre à moissonner après le son de l’Angelus, contrairement aux conventions qu’il avait faites avec elle, la Bienheureuse enfant levant sa faux en l’air, lui dit : « Que ma faux soit juge entre vous et moi ! »
Tandis que le vieillard et les moissonneurs regardaient avec étonnement sa faux suspendue miraculeusement en l’air, Notburge s’en alla, suivant sa pieuse coutume, prier à la chapelle voisine.
De la naissance et des premières années de la bienheureuse sainte
C’est au village de Rotembourg, en Tyrol, dans la vallée inférieure de l’Inn, que naquit la bienheureuse vierge Notburge.
Il y avait jadis près du village, sur la montagne qui le domine, un château somptueux, où la bienheureuse enfant fut placée par son père en qualité de servante, dès qu’elle eut atteint sa dix-huitième année.
En ce lieu s’écoulèrent dans l’obscurité, les premières années de sa vie, mais Dieu était témoin de la piété avec laquelle elle unissait son âme à lui tout en accomplissant avec grand soin chacun des devoirs de son état.
Chaque soir les pauvres qui l’attendaient à la porte du château la voyait accourir après le dîner de ses maîtres apportant, avec de pieuses exhortations pour chacun, les restes de la table qu’elle leur partageait.
Elle put, durant plusieurs années, continuer sans obstacles les pieuses libéralités qui lui permettaient de faire accepter le pain spirituel de l’âme, au moyen de l’aliment plus grossier du corps.
Mais, à quelques temps de là, Odile, la dame du château, vint arrêter l’élan de son cœur en lui défendant de donner ainsi son bien aux indigents.
La pieuse Notburge accepta cette épreuve avec grande résignation d’âme et ne toucha plus désormais aux restes de la table pour ne pas désobéir à sa maîtresse. Mais, afin de satisfaire le grand désir qu’elle ressentait de se montrer charitable, elle eut soin de partager chaque jour une partie des mets, qui lui étaient donnés pour sa nourriture, entre ses anciens amis les pauvres qui n’avaient cessé de venir chaque jour à la porte du château implorer sa charité selon leur coutume.
Le vendredi, elle faisait plus : leur distribuant tout ce qui lui était destiné, ainsi que son vin, auquel elle ne touchait en aucun des jours de l’année.
Ces actes de charité excitaient à un tel point le dépit de sa maîtresse que celle-ci jetait souvent dans la porcherie, pour en faire la nourriture des pourceaux, les mets que la pieuse servante destinait à ses pauvres. Elle fit plus et manda à son mari de la guetter au passage afin de la pouvoir fortement molester.
Un jour donc qu’elle se rendait, suivant sa coutume, à la porte du château, portant dans les plis de sa robe une portion de son dîner, la bienheureuse Notburge se trouva subitement en face du comte de Rotembourg qui lui demanda à quelle fin on la voyait cheminer ainsi.
La bienheureuse sainte, dissimulant autant que possible la frayeur qui trahissait son visage, expliqua à son maître en toute sincérité ce qu’elle avait l’intention de faire.
Montrez-moi ce que vous célez ainsi ? lui dit le comte, fortement courroucé.
Celle-ci ne voulut point désobéir, mais le seigneur de Rotembourg fut fort étonné quand elle laissa tomber avec les plis de sa robe une poignée de copeaux qui avaient été miraculeusement substitués aux mets qu’elle y avait cachés.
Henri lui demanda ensuite de goûter à ce qu’elle portait dans la cruche ; Notburge n’hésita pas un instant et lui présenta le vase qu’elle croyait rempli de vin, mais elle fut très fort étonnée de le voir rejeter avec dégoût après y avoir trempé ses lèvres. Qu’était-il donc advenu ?
Dieu pour châtier le comte avait changé le vin que Notburge destinait aux pauvres, en eau de lessive, boisson qu’il ne trouva pas à son goût.
De retour au château, il s’empressa de raconter à Odile ce qui lui était arrivé. Notburge, cependant, continuant son chemin s’en alla porter aux malheureux les mets et le vin qui avaient été métamorphosés par la main toute puissante de Dieu. Toutefois, lorsque la pieuse servante revint à la maison, elle se vit accabler de reproches et d’injures par sa maîtresse qui l’accusait d’avoir voulu se moquer du comte Henri ; elle lui avait dit à son retour, lorsqu’il s’était plaint des procédés dont la servante avait usé à son égard :
« De choses il faut admettre l’une, seigneur comte : ou cette fille a eu désir de vous tromper, ou bien de se rire en votre présence ; en l’un ou l’autre cas, il nous la faut renvoyer. »
Notburge reçut donc l’ordre de quitter le château.
La sainte qui savait bien n’avoir pas eu de pareilles intentions, recueillit en silence les quelques hardes qu’elle possédait et se prépara à quitter Rotembourg. Mais voici que tout à coup, Odile tomba dans une grave maladie qui la conduisit aux portes du tombeau, avant même que Notburge eut mis le pied hors de sa demeure. Oubliant les mauvais traitements dont elle avait été l’objet de la part de son indigne maîtresse, la bienheureuse sainte, qui voyait l’occasion de gagner une âme à Dieu, s’empressa de lui donner pendant sa courte maladie, tous les soins qui étaient en son pouvoir et c’est à ses prières qu’il faut attribuer le salut de cette femme qui, cependant, ne laissa pas de souffrir après sa mort de terribles châtiments, juste peine de sa dureté envers les pauvres, car on vit, paraît-il, quelques jours après sa mort errer son ombre en poussant des hurlements affreux, dans la porcherie près de ces mêmes pourceaux auxquels Notburge avait reçu l’ordre de donner les mets que sa maîtresse ne voulait point voir distribuer aux malheureux.
La pieuse fille fut aussitôt conduite par la Providence dans la maison d’un cultivateur du nom d’Eben, qui l’admit à son service, lui permettant d’accomplir avec liberté les devoirs de sa religion ; il ajouta entre autres choses à son traité qu’elle serait exemptée de tout travail après le son de l’Angelus du soir, notamment la veille des dimanches et des fêtes, ce qui, sans nul doute, se devait trouver compensé par de fortes brèches que faisait à ses gages ce maître si pieusement généreux.
Notburge, qui voyait que son intérêt spirituel, ne s’arrêta pas un instant à considérer la condition des maîtres qu’elle avait servis primitivement, pour se laisser détourner de la situation qui lui était faite par la volonté divine ; elle se réjouit, au contraire, à la pensée qu’elle pourrait ainsi consacrer plus de temps à la prière et opérer plus facilement le bien qu’elle se proposait de faire en l’âme de ceux qui l’entouraient.
Eben, pendant quelque temps, fut fidèle à tenir la promesse qu’il lui avait faite de la laisser accomplir en toute liberté ses pieux exercices de chaque jour. La jeune fille, de son côté, se gardait bien d’en omettre aucun et profitait des loisirs qui lui étaient donnés après le son de l’Angelus, pour se retirer dans une chapelle voisine où elle avait coutume de demeurer jusqu’à la nuit, heure à laquelle elle revenait à la maison.
Comment un soir après le son de « l’Angelus »
la faux de la bienheureuse sainte refusa de travailler
Cependant, la générosité d’Eben commençait à se ralentir. Un jour qu’il était venu au champ pour surveiller les moissonneurs (c’était alors l’époque de la fauchaison), lorsqu’il vit au son de l’Angelus sa servante mettre sa faux à ses pieds et se préparer à prier Dieu selon sa pieuse coutume, entrant dans une grande colère, il prétexta la nécessité dans laquelle on était de hâter l’ouvrage, pour la contraindre à continuer de travailler.
Notburge suspendit sa faucille en l’air en disant : « Que ma faucille soit juge entre vous et moi ! »
« Grande fut la stupéfaction du paysan et de ses gens, dit l’historien. Or, pendant que tous étaient encore interdits du prodige, Notburge reprit sa faucille et s’en alla satisfaire sa dévotion à la chapelle ».
Notburge continua à servir son maître comme par le passé, et le céleste père de famille bénissait si abondamment les œuvres de ses mains que toutes choses allaient merveilleusement à la ferme.
Cependant, si la présence de Notburge à la maison du paysan Eben faisait accroître sa fortune spirituelle et matérielle, son départ du château de Rotembourg avait été la cause des malheurs qui y survinrent peu de temps après.
Qu’était-il donc arrivé depuis qu’elle en avait été si indignement chassée par le comte Henri ? – Celui-ci non seulement avait perdu Odile, sa malheureuse épouse, presqu’à l’heure où cette femme, si dure envers les pauvres, l’avait persuadé d’éloigner de sa maison la pieuse Notburge, mais encore l’année suivante, le comte Sigefroi, frère de Henri, envahit avec une troupe armée le district de Rotembourg, ravageant et pillant tout sur son passage.
Comment les alentours de la porte du château de Rotembourg,
déserts depuis le départ de Notburge, se remplissaient un beau matin de tous les pauvres,
ses anciens hôtes.
Un jour que Notburge était assise sur la lisière de la forêt voisine, plongée dans un grand recueillement, qu’elle n’interrompait que pour jeter un regard sur les troupeaux qui paissaient à ses côtés, elle fut tout à coup arrachée à sa méditation par les cris réitérés de chiens qu’il lui semblait entendre courir derrière elle. Attendant un peu, la bienheureuse sainte vit bientôt approcher le comte Henri, son ancien maître, qui s’était montré autrefois si rude à son égard. Les chagrins qu’il avait éprouvés depuis le départ de Notburge l’obligeaient à prendre quelques distractions : c’est ainsi qu’en se livrant à la chasse il avait été amené auprès de la pieuse servante.
Plus d’une fois, le chapelain de sa maison lui avait fait considérer que ces maux n’étaient venus fondre sur sa maison qu’avec le départ de Notburge et l’avait engagé à venir un jour, humblement prosterné à ses pieds, la prier de vouloir bien revenir à son service.
Le comte de Rotembourg, dont les chagrins avaient singulièrement modifié le caractère, crut devoir profiter de l’occasion, et, se jetant à genoux, supplia humblement la servante de lui vouloir bien accorder cette faveur, l’assurant qu’elle pourrait comme par le passé continuer ses pieuses libéralités envers les pauvres.
La bienheureuse sainte, ne considérant rien autre chose que le bien qu’elle allait pouvoir faire désormais et la volonté de la Providence, n’hésita pas à retourner au château de Rotembourg pour y servir le comte Henri, qui venait de remplacer sa malheureuse épouse défunte, par une demoiselle de Hohenech.
Elle put donc, à son grand étonnement, reprendre les œuvres de miséricorde, entreprises autrefois, et si brusquement interrompues ; et dès le lendemain de son arrivée au château, la porterie, déserte pendant son absence, reprenait sa vie accoutumée.
Mettant de côté tous les intérêts terrestres, elle ne songea qu’à travailler à la gloire et au salut éternel de son maître autant qu’à son bonheur temporel ; elle le supplia de se réconcilier avec son frère, ajoutant que s’il ne le faisait pas, elle le quitterait à nouveau.
Non seulement le seigneur de Rotembourg promit à sa sainte servante de proposer la paix à son frère, mais encore il suivit à la lettre tous les conseils qu’elle lui donna pour la meilleure exécution de cette grave affaire.
Notburge demeura chez son maître dix-huit ans encore. Et ce fut un grand bonheur pour lui ; car durant cette longue période, elle ne cessa de travailler avec un zèle infatigable à sa prospérité temporelle et à son bonheur éternel. En peu d’année il se trouva dans un état fort prospère et se fit un devoir d’imiter les vertus de Notburge, particulièrement sa charité. Autant il avait été autrefois dur envers les pauvres, autant il fut désormais charitable et compatissant à leur égard, et ses enfants imitant l’exemple de leur père, se firent aussi remarquer par leur générosité et leur bienfaisance ».
Cependant la bienheureuse sainte touchait à sa quarante-septième année et encore qu’elle ne fût pas très avancée en âge, Dieu la trouvait assez mûre pour le ciel. Elle allait donc quitter pour un autre palais le château de Rotembourg, dans lequel elle n’avait cessé de répandre, tout en menant une vie humble et ignorée, les effets de sa puissante édification.
Le 4 septembre de l’année 1360, Notburge était couronnée au ciel.
Comment deux bœufs se chargèrent des funérailles de la bienheureuse sainte
après qu’elle eût rendu son âme à Dieu
et de la sépulture qui lui fut donnée par les anges.
Le comte Henri avait promis à sa pieuse servante qu’il se chargerait lui-même de ses funérailles et l’avait consultée à ce sujet pour se conformer plus entièrement à ses dernières volontés.
La sainte lui ayant dit qu’elle désirait être placée sur un char traîné par deux bœufs en liberté et qu’elle choisirait pour lieu de sa sépulture l’endroit où ses deux animaux suspendraient leur course, le comte fit préparer toutes choses conformément à ses désirs.
Les restes de Notburge furent déposées sur le char, que suivait Henri de Rotembourg, accompagné de tous les serviteurs de sa maison.
A la sortie du château, la précieuse dépouille fut reçue par une foule considérable composée d’hommes de tous rangs, mais principalement des pauvres de Rotembourg qui versaient d’abondantes larmes. Le cortège, qui grossissait à chaque instant, continua lentement sa route jusqu’à ce que, arrivant sur les bords de l’Inn, il se vit obligé de suspendre sa marche, car il n’y avait aucun pont, qui permît de gagner la rive opposée de la rivière.
Mais voici que tout à coup, tandis que les uns et les autres se demandaient de quelle façon ils parviendraient à se tirer d’embarras, on vit se renouveler le miracle que Dieu fit autrefois en faveur des Israélites qui se trouvaient arrêtés dans leur fuite par les flots de la mer Rouge : les eaux, se séparant à droite et à gauche, laissèrent un libre passage aux bœufs et au cortège qui parvinrent ainsi facilement jusqu’à l’autre rive.
On pensait alors déposer en ce lieu les restes de la Bienheureuse, quand les bœufs attelés au char, poussés par une force invisible, prirent la fuite vers le champ d’Eben, où ils s’arrêtèrent sous un noyer, près de la muraille qui servait de clôture à la petite chapelle de saint Rupert et attendirent que l’on enfermât le corps de la sainte dans son cercueil.
Lorsqu’ils virent qu’on l’y avait placé, ils pénétrèrent dans l’intérieur de la chapelle, d’où on les vit sortir quelques instants après, avec le char vide qu’ils traînaient après eux. Les assistants, étonnés, se précipitèrent alors dans l’église, où ils virent, enseveli au pied de l’autel, le corps de la Bienheureuse qui, certainement, n’y avait pu être déposé par d’autres mains que celles des Anges.
*
**
La chambre du château dans laquelle s’était écoulée une partie considérable de sa vie et qui avait reçu son dernier soupir fut convertie en oratoire, aussitôt après sa mort, par les soins de son maître le comte Henri de Rotembourg. Quant à la petite chapelle de Saint-Rupert, dans laquelle le corps de la Bienheureuse sainte avait été miraculeusement conduit par des bœufs et enseveli par les Anges, elle fut bientôt dédiée à l’humble servante qui l’avait visitée tant de fois le soir, après son travail, alors qu’elle entendait le son de l’Angelus.
La foule des pèlerins qui furent attirés en ce lieu par les nombreux miracles opérés à son tombeau nécessita la construction d’une vaste église qui en occupa l’emplacement.