Saint Maur

Fête le 15 janvier

Abbé


Légende de la gravure

Saint Benoît averti par révélation du danger que court saint Placide, un de ses disciples, tombé dans un étang, ordonne à saint Maur d’aller le retirer de l’eau. L’obéissance de saint Maur opère ce prodige.


Ses premières années avec saint Benoît

Né de parents nobles, Maur fut appelé de bonne heure à quitter le monde et à mettre à couvert son innocence derrière le rempart de la vie religieuse. Il fut présenté à saint Benoît, dont les vertus héroïques attiraient alors de toutes parts les hommes à la solitude et bientôt on le vit marcher à pas de géant à la suite de son maître dans le chemin de la perfection. Fort jeune encore il était l’émule de tous, et saint Benoît prenait plaisir, tout en évitant de le nommer, à le donner comme modèle aux autres religieux.

Ingénieux dans l’art de se mortifier, plusieurs fois il essaya de dormir debout appuyé contre le mur de sa cellule ; mais après plusieurs heures de lutte, vaincu par le sommeil et la fatigue, il dut céder. Alors il s’asseyait ou bien encore se couchait, dit son historien, sur un amas de sable ou de chaux.

Il marche sur l’eau sans le savoir

Un jour pendant que le vénérable Benoît était en prière dans sa cellule, Placide ami et compagnon de Maur sortit pour aller au lac puiser de l’eau. En voulant retirer la cruche pleine, il glissa et tomba la tête la première. Le courant l’eut bientôt entraîné loin du bord.

Cependant l’homme de Dieu connut à ce moment même la chute et le danger de Placide, et appelant aussitôt Maur : « Frère, lui dit-il, cours au lac, Placide vient d’y tomber et l’eau l’entraîne. » En parlant ainsi, il avait béni le messager qui prit sa course, arriva au bord du lac, et sans s’apercevoir qu’il n’était plus sur la terre ferme, continua d’avancer sur l’onde. Il atteignit l’enfant, le prit par les cheveux et le ramena au rivage. Alors seulement, tant son obéissance avait été prompte, Maur se retournant comprit qu’il venait, comme autrefois saint Pierre, de marcher sur les eaux.

Il fait un miracle à la place de saint Benoît

Bientôt saint Benoît émerveillé de la grande sainteté et des rares qualités de son disciple, l’associa à ses travaux et le fit prieur claustral.

Un jour que, pendant l’absence du saint abbé, il revenait du bois avec plusieurs de ses frères, il rencontra à la porte du monastère une femme toute en larmes, portant dans ses bras un enfant muet et boiteux. Dès qu’elle voit notre saint, elle se jette à ses pieds, et le prie en sanglotant de guérir son enfant. Maur, pour la première fois de sa vie, eut à combattre un mouvement de colère ; il faillit s’emporter en invectives contre cette femme qui lui demandait de faire un miracle, à lui le plus pécheur des hommes. Il lui jeta un regard sévère et s’éloigna.

Mais comme cette femme continuait de le supplier au nom de Benoît, un des frères fit remarquer à Maur que leur bienheureux père avait ordonné de le remplacer en tout pendant son absence, et qu’il ne pouvait en conscience renvoyer ainsi cet enfant malade pour qui on invoquait le secours de Benoît. L’obéissance parle, Maur n’hésite pas un instant, il retourne vers l’enfant, prie quelques minutes et se levant : « Au nom de la Très Sainte Trinité, dit-il, et par les mérites de mon maître Benoît, je t’ordonne de te lever en parfaite santé. » Et l’enfant fut entièrement guéri !

Les moines bénédictins viennent en France. – Adieux au Mont-Cassin

Mais il convenait que ce disciple formé avec tant de soins par le patriarche de la vie religieuse, devînt lui-même fondateur et commençât à répandre cet esprit qui devait pénétrer par toute la terre pour y porter le germe de la vie monastique.

Saint Innocent, évêque du Mans, envoya vers le saint abbé du Mont-Cassin deux de ses principaux officiers, afin de lui demander quelques-uns de ses plus parfaits disciples, parce qu’il avait dessein de fonder un monastère dans son diocèse.

Benoît, après avoir prié le Seigneur de l’éclairer, jeta les yeux sur Maur et le choisit pour l’envoyer en France. En faisant un tel choix, Benoît dut se faire violence, car « il aimait ce fils comme son âme », et les religieux se plaisaient à le considérer comme le successeur naturel de leur saint fondateur.

Il lui remit un exemplaire de la règle, écrit de sa main, et portant pour signature ces paroles pleines d’humilité : Codex peccatoris Benedicti, code du pécheur Benoît. Quatre religieux furent désignés pour le suivre dans sa mission lointaine.

Le matin du samedi, cinquième jour des fêtes de l’Epiphanie, Maur et ses compagnons, le bâton de voyage à la main, s’agenouillèrent devant le vénérable abbé. La communauté fondait en larmes : « Mes chers frères, dit Benoît, si quelqu’un a le droit de s’attrister en cette circonstance, c’est moi, pauvre pécheur, qui vais être privé de consolations précieuses et de secours bien chers. Mais l’apôtre nous dit que la charité est bienfaisante. Nous devons donc chercher moins notre consolation que celle d’autrui. Ecoutez la voix de mon amour paternel, cessez vos gémissements et vos pleurs ! Dieu est assez puissant pour rendre à cette sainte congrégation des ouvriers qui remplaceront ceux qui vont partir. La distance ne brise pas les liens de la sainte charité. »

Puis s’adressant à Maur et à ses compagnons :

« Pour vous, frères très chéris, dit-il, vous que nous envoyons dans ces contrées lointaines travailler à l’œuvre du Seigneur, agissez virilement. Ne vous attristez pas quand vous apprendrez la dissolution de ce corps fragile qui va me quitter. Lorsque j’aurai déposé le fardeau de cette chair mortelle, je serai plus présent au milieu de vous, et par la grâce de Dieu, je ne cesserai d’être votre coopérateur assidu. »

Après ces paroles si tendre, dit Fauste, il nous donna à tous un baiser, et nous conduisit avec bonté jusqu’à la porte du monastère, et nous ayant tous embrassés de nouveau, il nous donna sa bénédiction. Puis il nous laissa aller.

A leur première halte, dans une dépendance du monastère, nos saints voyageurs furent reçus par deux de leurs frères que saint Benoît avait envoyés d’avance pour leur préparer un gîte. Cette même nuit ils reçurent un nouveau gage de l’amour de leur vénérable Père. Deux frères vinrent les rejoindre. Ils apportaient une petite châsse d’ivoire pleine de reliques, et une lettre adressée par saint Benoît à son cher fils Maur.

« Reçois, mon bien-aimé, disait cette lettre, reçois ces derniers présents de la main qui dirigea ta jeunesse. Ils seront le gage de notre longue amitié. Aujourd’hui même, après ton départ, le Seigneur a daigné me révéler l’avenir qui vous attend. Quand viendra la soixantième année de ta profession monastique, tu seras introduit dans la joie de ton Sauveur. Le but de votre voyage ne sera pas atteint sans peine ; vous trouverez difficilement un asile où vous fixer. Mais la miséricorde de Dieu ne vous fera défaut nulle part ; après de longs retards, elle vous fera trouver dans un lieu différent de celui que nous espérions, un séjour parfaitement convenable. Adieu ! sois heureux dans ta profession sainte, plus heureux encore dans le terme qui doit la couronner. »

Cette lettre de Benoît, Maur ne s’en sépara jamais. Toute sa vie il la porta sur sa poitrine ; mort, elle fut déposée dans son tombeau.

Miracles du voyage. – Une vision

Le voyage, comme l’avait prédit saint Benoît, éprouva de longs retards. Halderalde, envoyé de l’évêque du Mans, tomba d’une galerie où il se promenait, et se blessa si dangereusement qu’après quatorze jours de soins inutiles, les médecins résolurent de lui couper le bras. Mais Maur, touché de compassion, se mit en prière, et prenant une relique de la vraie croix fit, sur le malade, des signes de croix depuis l’épaule jusqu’au bout des doigts ; et le malade fut entièrement guéri et put continuer sa route le lendemain.

En passant les Alpes, notre saint s’arrêta dans l’Eglise des Martyrs de la Légion thébaine. Il trouva à la porte, un aveugle-né qui demandait l’aumône.

- Combien y a-t-il de temps, lui dit-il, que tu es ainsi à cette porte ?

- Il y a bientôt onze ans.

- Est-ce que ces saints, qui ont versé leur sang pour Jésus-Christ, n’auraient pas pu lui demander de te guérir ? Assurément c’est que tu ne les pries pas bien. Prions ensemble, et tu verras qu’ils t’exauceront.

Pendant qu’ils priaient, un flux de sang sortit des yeux de l’aveugle, et il fut guéri. Mais sachant que la reconnaissance est la première des vertus, il se consacra dès lors au service de Dieu, dans une vie humble et pénitente.

Maur et ses compagnons passèrent les fêtes de Pâques à Font-Rouge où s’était retiré le prêtre Romain qui avait assisté saint Benoît dans les commencements de sa solitude. Le soir du Vendredi-Saint, notre religieux avertit le vénérable vieillard et tous ses confrères que le lendemain le bienheureux patriarche, saint Benoît, devait quitter la terre pour aller recevoir la récompense de ses travaux. Ils en furent extrêmement touchés et ne purent retenir leurs larmes ; ils passèrent toutes la nuit en prière pour rendre, en leur absence, à leur saint Père, les mêmes devoirs qu’ils lui eussent rendus s’ils eussent été présents à sa mort. Sur les neuf heures du matin, saint Maur fut transporté en esprit au Mont-Cassin et vit comme une grande rue couverte de tapis précieux, et bordée d’une infinité de flambeaux, qui s’étendaient depuis la cellule de saint Benoît jusqu’au ciel ; et un homme vénérable et resplendissant de lumière lui dit :

- C’est ici la voie par laquelle saint Benoît, le bien-aimé de Dieu, est monté au ciel.

Le saint fit part de sa vision à saint Romain et à ses confrères, et changea ainsi leurs plaintes en des hymnes et des cantiques d’allégresse.

Dieu rend toujours au centuple

Arrivés à Orléans, nos saints voyageurs apprirent que l’évêque du Mans, qui les faisait venir, était décédé. Les compagnons de Maur en furent consternés, mais il releva leur courage, leur rappelant la prophétie et les promesses de leur vénérable Père Benoît.

En effet, Halderalde voyant que le nouvel évêque ne voulait pas les recevoir, et saisissant l’occasion de prouver sa reconnaissance à celui qui l’avait miraculeusement guéri, alla les présenter à un de ses parents nommés Florus, vicomte fort riche, qui n’avait consenti à rester dans le monde que par amour du roi Théodebert, qui l’aimait comme un fils. Ce seigneur les reçut avec une joie inexprimable, et s’empressa de leur offrir un établissement dans ses terres. Le lieu choisi pour cela fut Glanfeuil, au diocèse d’Angers. Mais non content de leur donner l’emplacement, Florus voulut encore avoir l’honneur de bâtir le monastère. Et la première pierre qu’il y mit, fut une pierre vivante, ce fut son fils unique Bertulphe qu’il confia à saint Maur.

Résurrection d’un architecte

Pendant qu’on travaillait à la construction du monastère, un architecte envoyé par Florus pour présider aux travaux, tomba d’un échafaudage sur un tas de pierres et se tua. Maur le fit aussitôt porter dans une chapelle dédiée à saint Martin qui était déjà bâtie ; et après une ardente prière, lui ordonna, au nom de saint Benoît, de se lever et de retourner à l’atelier, exciter au travail les ouvriers encore effrayés. Florus, témoin de ce miracle, porta dès lors au saint abbé tant de respect qu’il n’osait plus s’approcher de lui.

Son bienfaiteur devient son fils

Florus avait donné ses biens et son fils unique à Dieu, mais il n’était pas encore satisfait ; car il lui restait encore quelque chose à donner, c’était lui-même. Le roi Théodebert eut peine à y consentir, mais il céda enfin à ses sollicitations et lui permit de quitter l’épée pour le froc. Il désira même assister à sa vêture et vint pour cela au monastère.

Il s’y rendit, dit Montalembert, avec toute cette pompe, que la race de Clovis avait si longtemps empruntée aux traditions de l’empire abattu ; mais tout revêtu de sa pompe, dès qu’il aperçut Maur, le roi Franc se prosterna devant le moine, en lui demandant de prier pour lui et d’inscrire son nom parmi ceux de ses frères. Il présida son jeune fils à la communauté, se fit désigner spécialement ceux des moines qui étaient venus du Mont-Cassin avec l’abbé, demanda leurs noms, et les embrassa ainsi que leurs frères. Puis il parcourut les lieux réguliers, et mangea avec les moines au réfectoire.

Florus obtint ensuite que le roi servît de témoin à sa prise d’habit. Après de nouvelles donations au monastère, Florus déposa sur l’autel son baudrier militaire, et s’agenouilla devant le roi qui, à la prière de l’abbé, lui coupa une première mèche de cheveux ; les autres seigneurs achevèrent de le tonsurer complètement.

Au moment de quitter le monastère, le roi voulut revoir son ami revêtu du froc ; il l’exhorta à honorer ce nouvel habit comme il avait honoré la vie séculaire, puis se jeta dans ses bras, et y resta longtemps en pleurant, avant de s’éloigner muni de la bénédiction de l’abbé.

L’arbre qu’il a planté grandit

Florus vécut douze ans sous la conduite du saint abbé, et y fit de tels progrès dans la vie spirituelle, qu’il devint un homme consommé en vertu. Au bout de ce temps il mourut en odeur de sainteté.

Un tel exemple ne pouvait manquer d’être imité. Aussi beaucoup de seigneurs Francs abandonnèrent-ils le monde pour venir chercher la paix dans le silence et l’austérité du cloître, et Maur vit jusqu’à cent quarante religieux réunis sous sa direction. Mais comme de nouvelles demandes pressaient chaque jour le saint abbé, il bâtit de tous côtés de nouveaux monastères et on vit la règle de saint Benoît fleurir dans toute la France, pour la transformer et en faire la magnifique France du moyen âge.

Retraite de saint Maur

Il y avait trente-huit ans qu’il dirigeait sa sainte communauté. Il la voyait féconde en vertus non moins qu’en sujets, et il rendait grâces à Dieu des progrès de ses chers disciples.

Se souvenant alors de la prophétie du bienheureux Benoît, il comprit que sa mort était proche et voulut s’y préparer par une retraite absolue dans la cellule qu’il s’était construite près de l’oratoire de saint Martin. Il convoqua les frères, leur communiqua son dessein et les pria de choisir un abbé qui les gouvernerait à sa place.

Non, répondirent-ils en pleurant, nous ne le choisirons pas. Puisque nous avons la douleur de vous perdre, désignez vous-même celui qui doit vous remplacer.

Le bienheureux se laissa toucher par leurs prières ; il choisit un noble et parfait religieux, Bertulphe son disciple bien aimé, et fils de Florus.

Ce choix fut ratifié par les acclamations de la communauté toute entière.

L’homme de Dieu fit asseoir Bertulphe sur la chaire abbatiale et lui rappela avec une effusion paternelle la tendresse et la sollicitude qu’il devait apporter à sa nouvelle charge. Puis il se retira dans sa cellule, retenant seulement auprès de lui deux frères.

Libre enfin de jouir de la solitude qu’il s’était préparée, saint Maur y passa deux ans et demi dans la contemplation des choses du ciel.

La peste à Glanfeuil. – Mort du saint

Durant cet intervalle, la peste qui ravageait alors le monde entier, sévissait cruellement en Gaule, et le terrible fléau ne devait pas épargner le monastère de Glanfeuil. Saint Maur fut miraculeusement prévenu de son approche.

Une nuit, comme il voulait, selon sa coutume, entrer dans l’oratoire de saint Martin, pour y répandre devant Dieu ses supplications et ses larmes, il se vit arrêter par une légion d’esprits infernaux.

Leur chef lui dit : Tu es venu d’une région étrangère, tu as entrepris de longs voyages pour nous chasser de ces lieux où notre empire était florissant. Bientôt tu verras jusqu’où s’étend notre puissance de destruction. Je vais sévir contre les religieux et les décimer par la mort. Je triompherai de toi, et ta communauté sera anéantie.

- Dieu te confonde, satan, répondit le saint ; tu es menteur dès l’origine ; tu es le père du mensonge.

A ces mots la vision disparut. Le solitaire pénétra dans l’oratoire et demanda à Dieu dans une fervente prière de lui révéler ce que signifiait la menace du démon. Alors un ange éclatant de blancheur lui apparut.

- Pourquoi te troubler, âme bénie, à propos d’événement que le Seigneur a permis dans sa sagesse ? Le diable est le père du mensonge, néanmoins, par ses conjectures il peut annoncer quelquefois la vérité. Ce qu’il t’a prédit ne vient pas de lui-même ; c’est l’ordre de Dieu. Les paroles qu’il a prononcées sont vraies dans une certaine limite. Il est certain que la plus grande partie de cette congrégation sainte sera appelée à paraître devant le Seigneur. Tel est le décret de la providence. Mais il est faux que l’ennemi des âmes doive y trouver aucun sujet de triomphe. Car tous les moines, fidèles à tes enseignements, attendront avec joie le moment de l’appel divin. Tu auras la consolation de les voir te précéder au ciel, où tu ne tarderas pas à les rejoindre.

Après avoir parlé ainsi l’ange disparut. L’homme de Dieu se rendit au monastère, convoqua tous les religieux, et leur apprit ce qui venait de se passer. Il les exhorta à se préparer à la visite du Seigneur. Tous se préparèrent joyeusement au dernier combat.

La mort frappa bientôt, et dans l’espace de cinq mois, cent-seize religieux moururent. D’une congrégation naguère si nombreuse, il ne restait plus que vingt-quatre religieux.

Le bienheureux Maur à son tour fut atteint d’une pleurésie. Voyant sa fin approcher, il se fit porter devant l’autel de saint Martin. Là, étendu sur un cilice, entouré des vingt-quatre disciples qui lui restaient, il reçut les derniers sacrements, bénit encore une fois ses religieux et émigra heureusement vers le Seigneur.

Il avait soixante-douze ans, dont il en avait passé vingt tant à Subbiaco qu’au Mont-Cassin et quarante à Glanfeuil. Saint Benoît lui avait prédit qu’il mourrait dans la soixantième année de sa profession monastique. Cette prophétie se trouva donc exactement accomplie.

Maur fut enseveli dans l’oratoire de saint Martin, et de nombreux miracles ne tardèrent pas à glorifier son tombeau.