Saint Josaphat Koncévitch

Fête le 21 novembre

Archevêque de Polotsk et martyr


Jean le petit polonais

L’an 1580, dans la ville de Vladimir en Volhynie, pays polonais, on apportait à l’église Sainte-Parascève, vierge et martyre, un petit enfant fils d’un slave, né sujet du roi de Pologne, que l’on désirait faire enfant de la sainte Eglise romaine et fils adoptif de Dieu. Le baptême eut lieu selon le rite gréco-slave et l’enfant reçut le nom du disciple bien-aimé, on l’appela Jean.

Gabriel Koncévitch, son père, était conseiller municipal de Vladimir, il n’était pas des riches de ce monde, mais Dieu lui donnait Jean et Jean valait mieux qu’un trésor. Quelques auteurs rattachent les Koncévitch de Vladimir à une famille noble dont le blason représentait une rose dans un écusson ; mais il n’est pas de plus grande noblesse et de plus belle fleur que la sainteté, et Jean sera un saint.

Sa mère, Marine, était digne de former la première le cœur du futur évêque de Polotsk, elle y déposa les germes d’une vertu précoce, et veilla avec une intelligente sollicitude sur leur développement. Jean était encore bien jeune, et déjà lorsque sa mère inquiète de ses absences le voulait retrouver, elle allait droit à l’église de Sainte-Parascève, elle était sûre de trouver l’enfant en prière. Il était doux et modeste, tous l’aimaient, son exemple attirait au bien les autres enfants. Le culte des images est très répandu dans l’église gréco-russe, Jean apprit à les peindre, et ce travail devint l’une de ses plus chères distractions.

Il fit des progrès rapides dans l’étude des langues russe et polonaise ; l’instruction religieuse avait ses préférences, il apprit par cœur une grande partie de l’office divin, il commença dès lors à le réciter chaque jour et garda cette pieuse coutume tout le reste de sa vie.

Jean entre dans le négoce

Ainsi se passèrent, et passèrent vite l’enfance et la première jeunesse. Koncévitch fut alors placé par ses parents chez un riche négociant de Vilna. Le voilà dans une ville nouvelle, sur le chemin des biens terrestres, plein d’ardeur, loin de sa famille, menacé dans ses mœurs et dans sa foi. Jean fut fidèle à la grâce : énergique à fuir la dissipation, il s’applique à des lectures pieuses et à l’étude autant que ses occupations le lui permettent ; il est surtout constant dans ses prières. Son âme sembla grandir et sa vertu se fortifia.

Le schisme gréco-russe et le protestantisme étaient là, qui travaillaient de concert à éloigner les fidèles du bercail de saint Pierre, pour les faire tomber dans les filets de Satan. Jean n’hésita pas et s’attacha de toute l’énergie de son âme à l’Eglise catholique ; il avait à peine vingt ans, que déjà sa plus grande peine était de voir les ravages du schisme et de l’hérésie. Il y avait à Vilna un couvent de Basiliens soumis au Saint-Siège, c’était le couvent de la Trinité, Koncévitch aimait à s’y rendre, à chanter avec les religieux, à servir à l’autel ou à sonner la cloche. Il fut aussi l’élève intelligent de deux Jésuites célèbres, qui enseignaient en langue slave la philosophie et la théologie.

Appel du monde et appel de Dieu

Les relations du jeune homme avec ces religieux et d’autres catholiques éminents, ses études sérieuses, et surtout sa vie loyalement chrétienne, avaient élevé peu à peu son cœur au-dessus des choses de ce monde, et il sentit grandir en son âme le désir de ne chercher que le seul bien véritable et parfait, le bien suprême, c’est-à-dire Dieu, et de se donner tout à lui. Mais en même temps le monde essayait de lui sourire ; son patron, qui était très riche et n’avait pas d’enfants, charmé moins de l’habileté commerciale de Koncévitch, qui était fort ordinaire, que de ses rares vertus, résolut de l’attacher à sa maison ; il lui offrit de le faire son fils adoptif et de le constituer l’héritier de sa fortune.

Dieu réservait de grandes grâces à son serviteur, mais attendait là sa générosité. Entre Dieu et le monde, Koncévitch, préféra Dieu seul ; il remercia son maître, reçut l’habit religieux au couvent de la Trinité, des mains de Pociey, métropolitain de Kiev et prit le nom de Josaphat.

Au couvent de la Trinité

Frère Josaphat s’était donné à Dieu sans arrière pensée et sans réserve, il embrassa la vie religieuse dans toute sa perfection, il devint bientôt le modèle des frères. C’était commencer son apostolat : les âmes ferventes du couvent se rallièrent autour de lui, le nombre restreint des vocations augmenta rapidement, si bien que l’on peut considérer la maison de Vilna comme le berceau des Basiliens-Unis. Il y avait près de l’église une petite et étroite cellule, Josaphat s’y ensevelit pour mener une vie d’anachorète ; il l’appelait le vestibule du paradis.

Son temps fut partagé entre l’étude, la prière et la pénitence. Cent fois dans la journée vous l’auriez entendu redire l’oraison jaculatoire si familière aux Orientaux : « Seigneur Jésus, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ! » Parfois elle lui échappait au milieu du sommeil. Oubliant le repos de la nuit, il passait des heures entières à s’entretenir affectueusement avec son Dieu, tantôt dans sa cellule, tantôt au cimetière voisin, où il se rendait souvent les pieds nus malgré le froid le plus intense. Que de fois, on l’y trouva agenouillé sur une dalle ou sur la neige glacée, laissant échapper ce cri d’amour : « O mon Dieu ôtez le schisme et donnez la paix à votre Eglise ! » et mêlant à ses larmes son sang innocent… Ses pieds crevassés étaient parfois rivés à une pierre glacée, il s’en apercevait à peine, tant la souffrance physique était absorbée par la douleur que lui causait la rupture de l’Eglise russe avec le centre de l’unité. Son genre de vie et toute sa manière d’être portaient le cachet d’une austérité peu commune, qui rappelait saint Basile, le fondateur de l’Ordre et son grand modèle. Religieux observateur des jeûnes si fréquents dans l’Eglise orientale, il se contentait d’aliments grossiers, s’abstenant de poisson, s’interdisant tout usage de la chair et du vin. Son sommeil était de courte durée, encore le prenait-il sur des planches nues. Outre un rude cilice qu’il ne quitte jamais, il se ceignait les reins d’une ceinture garnie de pointes qui pénétraient dans la chair. La veille des grandes fêtes surtout, ses austérités devenaient plus nombreuses et plus cruelles.

Le loup berger

Les merveilles accomplies par saint Josaphat au couvent de Vilna, sont d’autant plus étonnantes que le supérieur de la communauté, l’archimandrite Samuel Sentchylo, était secrètement vendu au schisme, et ne s’occupait pas plus de la sanctification des frères que de l’entretien matériel du couvent. Les schismatiques brûlaient d’envie d’attirer dans leur parti le jeune et fervent religieux qui avait si heureusement transformé la communauté. Et comme le fidèle religieux refusait avec indignation, l’archimandrite lui donne un soufflet.

Un autre jour il fait mander Josaphat, sous prétexte de religion, dans une maison où l’attendaient secrètement trois schismatiques habiles. Ils reçoivent le Basilien à bras ouverts, lui adressent les discours les plus flatteurs sur sa science et ses vertus, lui montrent tout le monde disposé à le suivre : « Ayez donc pitié de l’Eglise Ruthène, ajoutèrent-ils, sa vie est entre nos mains ; dès que vous serez à notre tête, les divisions cesseront, et il n’y aura plus en ce pays de partisans du Saint-Siège. » En disant cela ils se jetèrent à ses genoux. Vains efforts ! Alors ils changent de tactique : l’un d’eux court à la porte, la ferme à clef et s’en constitue le gardien, tandis que les deux autres se préparent à arracher par les coups ce que les paroles n’ont pu obtenir : « Laissez-moi, dit Josaphat, demain vous aurez ma réponse. »

Rendu à la liberté, il revient au couvent : « Je sors de l’enfer, dit-il aux frères ; j’ai entendu des discours diaboliques qui me sollicitaient à trahir la foi. » Le lendemain il dit aux schismatiques : « Je vous ai promis de consulter Dieu, je l’ai fait, et Dieu m’a dévoilé l’impiété de vos projets. »

Châtiment et vengeance

Le métropolitain de Kiev, informé de ces manœuvres, fit comparaître à son tribunal l’indigne archimandrite, le convainquit de trahison et le déposa. Il nomma pour lui succéder Joseph Roustki, qu’il fit en outre son vicaire général.

La fureur fut grande dans le camp des schismatiques ; ils formèrent le complot d’envahir par la force le couvent et l’église. Mais les autorités locales, averties à temps, firent échouer le projet. La rage ne fit qu’augmenter ; dès que Josaphat paraissait dans la rue, les insultes, les pierres et la boue pleuvaient sur lui. Enfin l’archevêque faillit être assassiné : il traversait un jour la place publique, quand un sicaire se précipita sur lui un poignard à la main, l’archevêque ayant levé la main pour se défendre, eut deux doigts tranchés, la chaîne de sa croix et le col de sa soutane furent coupés. Heureusement la blessure ne fut pas mortelle. L’assassin jugé et condamné, mourut dans les sentiments du plus sincère repentir.

Le moine prêtre

Cependant Josaphat n’était encore que diacre ; il s’appliqua avec ardeur à l’étude de la théologie sous la direction du père Fabricius, fut ordonné prêtre et devint l’apôtre de la contrée ; son temps était partagé entre les exercices de la vie religieuse, la prédication et la confession. Les schismatiques le représentèrent dans leurs caricatures sous la forme du diable, avec cette inscription : Duchokhrat, c’est-à-dire le ravisseur d’âmes. « Plût à Dieu, leur répondit Josaphat, que je puisse ravir vos âmes pour les lui présenter. »

Dieu semblait avoir accordé à son serviteur un attrait particulier pour assister les condamnés à mort. Il aimait surtout à visiter les pauvres malades dans les réduits les plus obscurs et les plus repoussants. Ils leur administrait les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie, leur procurait des remèdes et de la nourriture, souvent même il leur lavait les pieds, parfois couverts d’ulcères.

Ravis de son zèle et de ses vertus, les seigneurs russes et polonais l’attiraient à l’envi dans leurs domaines ; plusieurs lui offrirent des monastères. Josaphat accepta celui de Bytène et y établit une communauté ; puis celui de Notre-Dame de Girovitzi où il mit un noviciat.

Appelé à Vilna par le nouvel archevêque de Kiev, Vélamine Boutski, il fut nommé archimandrite du couvent de la Trinité ; la communauté se composait presque uniquement de jeunes religieux, au nombre de soixante, de sorte que la sollicitude des différentes charges retombait sur le supérieur. Josaphat se multiplia. Ferme et doux, il savait plier les volontés sans les brusquer et les briser.

Il continuait à travailler à la conversion des schismatiques : l’une de ses plus belles conquêtes fut le palatin de Novogrodek, Théodore Tychkéwitch, le plus puissant seigneur de Lithuanie.

Josaphat archevêque

Josaphat avait trente-huit ans quand, le 12 novembre 1617, il fut sacré, à Vilna, archevêque de la ville de Polotsk. Il fut reçu avec enthousiasme par ses diocésains, heureux d’avoir pour pasteur un homme de si grand mérite.

Deux choses sont nécessaires au clergé : la sainteté et la science. Le nouvel archevêque donne à ses prêtres des Règles excellentes, dont nous avons encore le texte, et que Sa Sainteté Léon XIII recommandait naguère aux Basiliens-Unis. Il appela en outre les Jésuites pour enseigner la théologie morale.

Son attention se porta également sur les églises et sur le culte divin. Les cérémonies du rite gréco-slave reprirent toute leur splendeur dans la cathédrale de Polotsk, complètement restaurée. Le zélé pontife fit réparer de même les cathédrales de Vitebsk, d’Orcha, de Mohilev et de Mstislavl ; agrandit et dota le couvent des Basiliennes de Polotsk. Pour subvenir aux frais du culte et aux besoins des pauvres il fut énergique à conserver intacts les biens de l’Eglise et veilla à leur sage administration. Il ne se passait pas de jour sans qu’il admît quelques pauvres à sa table ; une fois il alla jusqu’à engager son homophore (étole épiscopale) pour emprunter de l’argent en faveur d’une pauvre veuve qui avait besoin de secours dans un moment où la caisse épiscopale était vide. Au reste lui qui était si libéral envers les pauvres et les églises était parcimonieux pour lui-même, et la plus stricte pauvreté présidait à sa table.

C’était toujours l’austère Basilien du couvent de la Trinité. Dans une cérémonie pontificale, la chaîne de fer qu’il portait sur lui l’étreignit tellement qu’il se trouva mal, et put à peine se tenir debout. Rentré dans ses appartements, il dut appeler l’archidiacre Dorothée pour l’aider à la desserrer, et lui fit défense d’en dire mot à personne.

L’émissaire de Satan

Josaphat était archevêque depuis trois ans quand il fut convoqué avec plusieurs autres évêques à la Diète qui s’ouvrit à Varsovie en 1620. Le diable profita de l’absence des pasteurs pour envoyer les loups dévaster le bercail. Théophane, patriarche schismatique de Jérusalem, revenant de Moscou, où le sultan l’avait envoyé pour une négociation politique, passa par l’Ukraine et arriva à Kiev. Sur les instances des Cosaques il consacra autant d’évêques schismatiques qu’il y avait de prélats catholiques du rit gréco-uni. Le siège de Polotsk fut donné à Mélèce Smotriski, esprit cultivé, mais surtout ambitieux et intrigant.

L’intrus se hâta d’envoyer ses émissaires dans toutes les villes du diocèse, avec des lettres pleines d’invectives contre l’apostat et papiste Josaphat et contre le Saint-Siège. Josaphat s’empressa de revenir, porteur d’un décret de Sigismond roi de Pologne, enjoignant à ses sujets de respecter l’autorité de leur évêque et de cesser toute communication avec le perturbateur et intrus Mélèce.

Mais déjà les masses, poussées par d’habiles meneurs étaient en fermentation ; quand le palatin Sokolinski eut notifié le décret royal à l’hôtel de ville, l’archevêque essaya de prendre la parole et de rappeler les rebelles à l’obéissance due à l’Eglise ; sa voix fut couverte par les vociférations des schismatiques, la foule se rua sur lui, et il aurait été infailliblement massacré, si la force armée n’était venue le dégager et le ramener sous bonne escorte au palais épiscopale.

L’archevêque répondit à ces violences par un redoublement de douceur et de bonté pour ses ennemis ; l’un d’eux fut touché et reconnut sa faute. C’était le conseiller Terlikowski. Quand il se présenta à la cathédrale pour demander pardon à Dieu et à l’évêque, Josaphat le serra contre sa poitrine et le conduisant à l’autel : « Seigneur, dit-il en versant des larmes de joie, voici une brebis égarée que je viens de retrouver et que je vous recommande. » Bolotsk recouvra un peu de calme ; mais ce n’était qu’une trève. Au reste la propagande schismatique continuait activement dans le reste du diocèse.

Le martyre

Dans le courant d’octobre 1623, Josaphat voulut aller faire sa visite pastorale à Vitebsk. Craignant pour sa vie, ses amis le supplièrent de remettre sa visite à plus tard, ou tout au moins d’accepter une escorte. L’archevêque ne voulut pas différer, ni voyager autrement qu’avec la mansuétude épiscopale. Il lui ordonna de préparer un tombeau dans la cathédrale, et partit après avoir fait cette prière au pied de l’autel : « Seigneur, je sais que les ennemis de l’Union en veulent à ma vie ; je vous l’offre de tout mon cœur, et puisse mon sang éteindre l’incendie causé par le schisme. »

On le reçut à Vitebsk avec des démonstrations hypocrites de respect, mais on tramait des complots contre sa vie : « Vous désirez ma perte, leur dit publiquement Josaphat du haut de la chaire ; sur les fleuves, sur les ponts, dans les rues, dans les cités, partout vous me tendez des pièges. Me voici maintenant au milieu de vous ; plaise à Dieu que je puisse donner ma vie pour vous qui êtes mes brebis, pour la sainte Union, pour le siège de Pierre qu’occupent les Souverains Pontifes ses successeurs. »

Le soir du onze novembre, il parlait au souper de sa mort prochaine, comme s’il se fût agi d’un festin. Monseigneur, dit l’archidiacre Dorothée, Vous devriez bien nous laisser un peu manger. – Ne craignez rien, reprit l’archevêque, ce n’est pas de votre mort, mais de la mienne que je parle. »

Le lendemain matin, pendant que Josaphat priait à la chapelle de la sainte Vierge, un prêtre apostat, qui traversait en proférant des menaces et malgré la défense qui lui en avait été faite, la cour du palais épiscopal, fut arrêté par les serviteurs et enfermé à la cuisine. Aussitôt la foule s’ameute autour de l’évêché, envoie sur les serviteurs une grêle de pierres et de bâtons.

Informé du tumulte, l’archevêque fait mettre le détenu en liberté et rentre au palais. La foule un moment satisfaite paraît se calmer, mais ce n’est pas ce que voulaient les chefs, bientôt elle revient plus nombreuse, force l’entrée du palais, envahit le vestibule, l’archidiacre Dorothée reçoit dix-huit blessures à la tête ; Cantacuzène, majordome du palais tombe noyé dans son sang et on le croit mort.

Au cris des victimes, Josaphat accourt : « Mes enfants, dit-il aux assassins, pourquoi maltraitez-vous mes serviteurs, qui ne vous ont fait aucun mal ? Si vous en voulez à ma personne, me voici ! » Les sicaires demeurent immobiles et stupéfaits. Tout à coup deux misérables s’élancent à travers la foule en criant : « A bas le suppôt des latins ! à bas le papiste ! » L’un d’eux armé d’une perche frappe le front de l’archevêque, l’autre lui assène un coup de hallebarde qui lui fend la tête. L’archevêque tombe, trouve encore la force de faire le signe de la croix et dit : « O mon Dieu ! » Ce furent ses dernières paroles. Les bourreaux s’acharnaient sur leur victime et lui déchiraient le visage, enfin deux coups de fusil lui percèrent le crâne. Ainsi mourut Josaphat, le 12 novembre 1623 ; il n’avait que quarante-quatre ans.

Les schismatiques envahissent ensuite le palais, le pillent, le dévastent, et vident les celliers. Echauffés par la boisson, ils reviennent au cadavre. Un chien fidèle le défendait ; ils le tuent, et son sang se mêle au sang du martyr. En dépouillant le corps du pontife, ils ne sont pas peu surpris de trouver sur lui sa discipline teinte de sang, son cilice et sa terrible chaîne. Mais leur fureur éloigne vite l’admiration ; les outrages recommencent ; femmes, vieillards, enfants tous veulent être de la partie, on souille ses cheveux et sa barbe, on crache sur son visage, on déchire son corps. Enfin, ils lui attachent une corde aux pieds, le traînent dans les rues, jusqu’au bord de la Dwina et le jettent dans le fleuve. Le corps du martyr reparut sur les flots ; on le retira, on lui attacha au cou son cilice rempli de pierres, on le jeta de nouveau. Cette fois il disparut, et les schismatiques se crurent vainqueurs.

Le triomphe

Le 16 novembre, des pêcheurs catholiques, chargés de cette mission par leurs frères, furent assez heureux pour retrouver la précieuse dépouille de leur Père ; et l’exposèrent dans l’église du château de Vitebsk. « Le visage était riant comme je ne l’avais jamais vu, a dit un converti ; ce spectacle produisit sur moi une telle impression que je renonçai sur le champ au schisme en déplorant le meurtre commis. » Une odeur céleste de lis et de roses remplissait l’église.

Une foule considérable, clergé, noblesse, bourgeois, vint de Polotsk pour escorter le corps, qui fut transporté en grande pompe dans cette ville. A l’arrivée du cortège, tout le peuple se pressa autour du cercueil, les uns sanglotaient, les autres se frappaient la poitrine ; ceux-ci imploraient la miséricorde divine, ceux-là suppliaient Josaphat de leur pardonner ; les sanglots couvraient les chants funèbres. Durant plusieurs mois le corps resta exposé dans la cathédrale de Sainte-Sophie, sans aucune décomposition, le visage beau et souriant, répandant une odeur suave, comme au château de Vitebsk. Ce fut la conversion de bien des âmes.

Beaucoup de miracles se sont opérés par l’intercession du glorieux martyr ; l’un des plus consolants fut la conversion de l’intrus Mélèce. A partir du 12 novembre 1623, son âme n’eut plus de repos jusqu’au jour où, s’armant de courage, il fit le pas décisif ; il consacra le reste de sa vie à la pénitence, à la prière et à la défense de l’Union.

Béatifié par Urbain VIII, saint Josaphat a été canonisé par Pie IX, de glorieuse mémoire, le 29 juin 1867. A cette nouvelle, la Russie a envoyé une commission militaire s’emparer des reliques du martyr pour les emporter à Siedlce, et de là les séquestrer à Saint-Pétersbourg. Mais l’âme de Josaphat, triomphe dans le ciel.