Saint Jean l'Evangéliste

Fête le 27 décembre


La première rencontre de Jésus

Jean-Baptiste s’était fixé sur les bords du Jourdain, non loin du lac de Génésareth, pour baptiser les foules qui se pressaient autour de lui. Un jour, comme il se trouvait sur la rive du fleuve avec deux de ses disciples, Notre-Seigneur vint à passer. Jean, le désignant de la main, dit : « Voilà l’agneau de Dieu. » Les deux disciples l’entendirent, et ils suivirent Jésus. Le Seigneur se retournant, vit qu’ils marchaient derrière lui, il leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » - Et ils lui dirent : « Maître, où demeurez-vous ? » - Il leur répondit : « Venez et voyez. » Ils allèrent, virent où il demeurait, et ils passèrent avec lui le reste du jour et la nuit suivante.

Bienheureuse journée, bienheureuse nuit, s’écrie saint Augustin, et qui nous répéta les célestes entretiens dont vous fûtes témoins !

Si un des deux disciples s’appelait André, l’Evangile tait le nom de l’autre, car la modestie de Jean l’Evangéliste ne lui a pas permis d’inscrire son propre nom dans le récit de la première entrevue qu’il eut avec le Fils de Dieu.

Jean avait à cette époque, environ vingt-cinq ans, l’âge où l’homme entre définitivement dans la carrière qu’il poursuivra jusqu’au bout de sa vie. Il était né à Bethsaïde, bourgade située au bord de la mer de Galilée, et habitée par une rude population de mariniers et de pêcheurs. Zébédée, son père, était patron d’une barque ; il exerçait son industrie sur ce lac, en compagnie de ses deux fils, Jean et Jacques, un peu plus âgé que son frère.

Salomé, leur mère, apparaît deux fois dans le cours de l’histoire évangélique. D’abord, elle s’y montre comme la femme juive, avec les idées charnelles qui étaient répandues au milieu de sa nation. C’est une mère que l’amour maternel rend ambitieuse ; elle désire pour ses enfants les deux premières places dans le royaume terrestre d’Israël. Plus tard, nous la rencontrons sur la voie douloureuse, à côté de Marie et de Jean, son fils. La Galiléenne, mieux éclairée à cette heure, comprenait que le trône du Messie sur la terre devait être l’infâme gibet où il allait bientôt expirer.

Un lien étroit de parenté l’unissait à la famille de Jésus, et Jean avait l’honneur d’être, selon la chair, le cousin de Notre-Seigneur. C’est une opinion qui a été admise par la plupart des Pères.

Le fils de Zébédée s’attacha de bonne heure à Jean-Baptiste, lorsque celui-ci, quittant son désert, vint prêcher la pénitence sur les rives du Jourdain. En écoutant les prédications du Précurseur, il acheva de préparer son âme à l’avènement prochain du Messie. La régularité de sa vie, la pureté de ses enseignements du nouvel Elie. Au milieu de la corruption qui débordait dans le pays où il habitait, Jean avait su rester vierge.

Ce miracle de chasteté explique l’amour de prédilection que Notre-Seigneur, l’ami de la Virginité, porta toujours à cet apôtre, appelé dans l’Evangile « le disciple que Jésus aimait. »

La vocation

Après l’entretien que nous avons rapporté, André et Jean avaient quitté le Maître ; ils étaient retournés à leurs barques et à leurs filets. La voix de la vocation n’avait pas encore retenti à leurs oreilles ; ils n’avaient pas encore entendu la parole puissante de Jésus, qui, en appelant les hommes, les rend capables de tout abandonner pour le suivre. Ils l’entendirent bientôt.

A quelque temps de là, Jésus marchant le long de la mer de Galilée vit deux frères, Simon, plus tard surnommé Pierre, et André, qui jetaient leurs filets dans les eaux du lac, car ils étaient pêcheurs : « Suivez-moi, leur dit-il, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt laissant leur barque et leurs filets, ils le suivirent.

Un peu plus loin il aperçut Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui raccommodaient leurs filaient dans leur barque. Jésus les appela. Et ils le suivirent, laissant dans leur barque leur père avec ses ouvriers.

Telle est l’histoire de la première vocation apostolique, type de toutes celles qui auront lieu dans la suite des âges.

En choisissant ses apôtres, Jésus leur demandera toujours, comme aux pêcheurs galiléens, de renoncer aux possessions de la terre et de le suivre.

Jean à l’école de Jésus

Cependant, Jean et ses compagnons n’étaient pas arrivés, tant s’en faut, au sommet de la perfection lorsqu’ils répondirent à l’appel de Jésus-Christ. Du reste, le Sauveur ne les séparait du monde que pour mieux les préparer à l’apostolat. Il fallait élever l’esprit et les pensées de ces hommes grossiers, élargir leur cœur étroit, corriger leur ambition, réprimer leur zèle mal réglé, en un mot, transformer ces humbles pêcheurs de poissons en sublimes pêcheurs d’hommes. Ce fut la principale occupation de Notre-Seigneur durant les trois années de sa vie publique. Dans le même espace de temps, il aurait pu, s’il l’eût voulu, convertir le monde entier ; il préféra faire coopérer les hommes à l’œuvre de la Rédemption, et il se contenta de former ceux qui devaient renouveler la face de la terre.

Un jour, le fils de Zébédée vit quelques disciples qui, n’étant pas du collège apostolique, se permettaient de chasser les démons au nom de Jésus-Christ ; son cœur s’en offensa comme d’une usurpation : « Maître, dit-il à Jésus, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en votre nom, mais comme il n’est pas des nôtres, nous l’en avons empêché. » Et Jésus lui répondit : « Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est point contre vous est pour vous. » Grandes paroles qui proclament la liberté du bien, et ouvrent un champ libre à l’initiative personnelle des disciples du Christ !

Une autre fois, Jésus se rendant à la Ville Sainte voulut passer par la Samarie, mais les habitants de la contrée, ennemis des Juifs, refusèrent de le recevoir parce qu’il allait à Jérusalem. Indignés de ce refus, Jean et Jacques son frère demandèrent au Seigneur de faire descendre le feu du ciel sur la tête des coupables. « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes, répondit le Maître. » Vous ne vivez plus au temps d’Elie, sous la loi de justice et de crainte ; les jours du Messie sont arrivés et avec lui la grâce et la miséricorde règnent sur la terre.

Les deux frères ne comprirent pas sur-le-champ, la parole du Sauveur, ils continuèrent d’ignorer de quel esprit ils étaient. Salomé leur mère, qui suivait le cortège apostolique avec les autres saintes femmes pour subvenir aux besoins de Jésus, partageait l’ignorance de ses fils.

S’étant concertée avec eux, elle vint trouver le Seigneur et lui parla en ces termes : « Maître, nous voudrions que vous fissiez pour nous tout ce que nous vous demanderons. » - « Que voulez-vous, dit Jésus ? » - Et Salomé : « Ordonnez que mes deux fils que voici soient l’un à votre droite l’autre à votre gauche dans votre royaume. » Jésus connaissant les inspirateurs de la requête, ne répondit rien à la femme ; mais se retournant vers les deux disciples, il dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire ? »

Les deux frères, sans entendre parfaitement le sens de l’interrogation divine, mais soupçonnant que Jésus demandait quelque sacrifice à leur générosité, répondirent : « Nous le pouvons. » Et le Sauveur dévoilant l’avenir leur prédit le martyre qui les attendait : « Vous boirez, leur dit-il, mon calice. Mais ce n’est pas à moi de conférer l’honneur d’être assis à ma droite ou à ma gauche. C’est le partage de ceux à qui mon Père l’a destiné. »

Telle fut la dernière leçon que Jean et Jacques reçurent du Maître ; il n’y a pas d’enseignement plus élevé, puisqu’elle contient la science de l’immolation complète et absolue, la science du martyre.

Le disciple Bien-aimé

Au sein du collège apostolique, Jean occupe une place à part. Représentant de l’amour, il marche à côté de Pierre qui symbolise la doctrine. Les plus tendres effusions de son cœur, Jésus semble les avoir réservées à Jean dont l’âme pure et virginale était si admirablement préparée à les recevoir. Plus que tout autre, le disciple bien-aimé était capable de rendre à son Maître amour pour amour ; car la rose de la charité ne s’épanouit nulle part aussi belle qu’au milieu des lys de la chasteté.

Le Rédempteur des hommes multiplia les occasions où il pouvait manifester sa tendresse singulière envers son cher disciple. Il en fit le témoin des œuvres mystérieuses qu’il voulut accomplir en dehors de la foule, loin même des regards de la plupart des Apôtres. Il le fit assister avec Pierre et Jacques à la résurrection de la fille de Jaïre, et pour la première fois, Jean vit le Maître en face de la mort lui commander comme commande un souverain et la mort restituer immédiatement sa proie.

A quelque temps de là, Jésus prenant encore à part les trois Apôtres privilégiés, les conduisit sur le Thabor où ils virent la gloire du Verbe, comme l’Evangéliste l’écrivait plus tard.

Mais ce fut surtout la veille de la Passion, à la dernière Cène que l’amour du Cœur de Jésus déborda dans l’âme de Jean. Après avoir participé au banquet eucharistique, le disciple put doucement reposer sa tête contre le sein du divin Maître. A cette source de charité et de science, il puisa la doctrine et l’amour qu’il répandit ensuite sur le monde, il y puisa aussi la fermeté et la constance qu’il allait déployer quelques heures après ; Seul entre les disciples, il eut le courage de suivre Jésus sans défaillir depuis Gethsémani jusqu’à la maison de Caïphe, depuis la maison de Caïphe jusqu’au Calvaire. Il y reste en compagnie de la Vierge des douleurs. « Debout au pied de la croix de Jésus, étaient Marie sa mère, Marie femme de Cléophas et Marie-Madeleine. Jésus ayant vu sa Mère auprès de lui, et le disciple qu’il aimait, dit à sa Mère : « Femme voilà votre fils. » Et après, il dit au disciple : « Voilà votre mère. » Et depuis cette heure-là le disciple reçut Marie chez lui.

Il était juste qu’ayant participé aux souffrances de la Passion Jean goûtât un des premiers, les joies pures de la Résurrection, le troisième jour depuis la mort du Seigneur, Marie-Madeleine vint de grand matin à la maison où se tenaient renfermés Pierre et Jean, et elle leur dit : « Ils ont enlevé le Maître, et je ne sais où ils l’ont mis. » A ces mots les deux apôtres s’émurent, ils sortirent de la maison pour aller au tombeau. Jean courut plus vite que Pierre, il arriva le premier au sépulcre ; mais il n’y entra que le second. Alors il vit et il crut.

Jean n’a pas besoin comme tant d’autres de voir et de toucher le corps glorieux du Christ pour être convaincu du mystère de la Résurrection. Avant d’avoir vu, avant d’avoir touché, il croit, car le plus court chemin pour arriver à croire, c’est d’aimer.

Durant les quarante jours qui séparent la Résurrection de l’Ascension, les apparitions de Jésus se multiplient afin que les disciples demeurent persuadés de la réalité du miracle. Mais ils ont encore une idée bien vague de leur future destinée. A voir leur manière d’agir, on peut supposer qu’ils croyaient leur mission terminée. Ils abandonnent le Cénacle, Jérusalem même et reprennent leur ancien métier sur le lac de Génésareth.

Comme ils pêchaient, Jésus apparut sur le rivage, ils ne le reconnurent pas d’abord. Le Sauveur renouvela en leur faveur le prodige de la pêche miraculeuse ; alors les yeux de Jean furent les premiers ouverts, il dit à Pierre : « C’est le Seigneur », la virginité, remarque saint Ambroise reconnut la première ce corps virginal.

Dans cette apparition, Jésus après avoir confié à Pierre le soin de son troupeau lui prédit sa mort sur la croix. Puis il annonce que Jean, tout en buvant le calice du Christ, mourrait doucement et sans violence, c’est du moins le sens attribué aux paroles mystérieuses qui terminent l’Evangile et qui se rapporte au disciple bien-aimé : «  Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne. »

Après l’Ascension

Après l’Ascension et la Pentecôte, Jean ne s’éloigna pas de Jérusalem aussi promptement que les autres apôtres. Il y resta pour veiller sur le précieux trésor que Notre-Seigneur lui avait confié avant de quitter la terre. Il vivait, dit la tradition, dans sa maison du mont Sion, en compagnie de la bienheureuse Vierge Marie dont il était le fils tendrement aimé. Il accompagnait cette mère désolée dans le pèlerinage qu’elle accomplissait tous les jours aux diverses stations sanctifiées par les souffrances de Jésus. Il s’entretenait avec elle des sublimes mystères dont ils avaient été l’un et l’autre et témoins et ministres. Chaque matin, Jean offrait le sacrifice, et Marie, pour tromper les douleurs de l’exil, participait au corps et au sang de son fils en attendant l’heureux moment où elle pourrait s’unir à lui, dans la gloire du paradis.

Sous la direction de sa mère, Jean travaillait à la conversion des enfants de la maison d’Israël.

Un jour Pierre et Jean se rendaient au temple pour la prière de la neuvième heure. Ils rencontrèrent, à la porte, un pauvre boiteux qui leur demanda l’aumône. Pierre et Jean jetant les yeux sur lui, dirent : Regarde-nous. Et Pierre ajouta : « Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai je te le donne : au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche » le boiteux fut guéri sur le champ.

Le peuple s’étonna du miracle, il entoura les apôtres et écouta leur doctrine : les princes de la Synagogue s’en alarmèrent, ils se saisirent des deux prédicateurs et les jetèrent en prison, probablement dans le cachot de la maison de Caïphe, où Jésus fut garrotté une partie de la nuit qui précéda sa mort. Le lendemain les apôtres comparurent devant le tribunal ; on leur défendit, avec des menaces de prêcher au nom du crucifié. Mais Pierre et Jean répondirent : « Jugez s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu. » On les remit en liberté, par crainte du peuple.

L’Evangile selon saint Jean

A la mort de la sainte Vierge, Jean quitta définitivement Jérusalem ; il vint s’établir dans la partie de l’Asie qui lui était échue lors du partage du monde entre les apôtres. Saint Paul l’avait précédé dans ces contrées, il les avait parcourues en y répandant la semence de la parole divine. Jean acheva l’œuvre du docteur des gentils ; il fonda et organisa des églises dans les principales villes de ce florissant pays. Il fixa sa résidence à Ephèse où il dirigeait tous les fidèles orientaux.

Or, les disciples pressaient leur père dans la foi, avec de longues instances pour qu’il voulut laisser par écrit ce qu’il leur avait enseigné touchant la personne de Notre-Seigneur. L’apôtre les invita à un jeûne et à une prière de trois jours. Durant ce temps une vision l’ordonna d’accéder aux vœux des frères. Il écrivit alors son Evangile, le dernier selon l’ordre chronologique, le premier par la grandeur et la sublimité du récit.

Les trois autres évangélistes semblent marcher sur la terre avec Jésus-Christ homme ; mais Jean comme un aigle puissant vole au-dessus d’eux tous, il s’élève par delà les cieux, les puissances et les principautés, les chérubins et les séraphins, il ne se repose que dans le sein du père, dont il raconte la mystérieuse fécondité. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu. »

Comment l’apôtre saint Jean but le calice du Seigneur

Cependant, tout autour de lui, Jean portait de rudes coups à l’idolâtrie. Le culte de Diane, si répandu en Asie, à Ephèse surtout, paraissait à peu près détruit. Le temple de la déesse, l’une des merveilles de l’ancien monde, demeurait sans adorateurs ; on eût dit un monument en ruines. Les sectateurs des faux dieux s’émurent ; ils dénoncèrent l’évangéliste au proconsul romain qui l’ayant fait saisir l’adressa à Rome, à l’empereur Domitien, sous la triple accusation de magie, de mépris des dieux et de sacrilège.

Nous n’avons plus les actes de l’interrogatoire que le disciple bien-aimé subit au tribunal de César ; mais des témoignages irrécusables nous en apprennent les résultats. D’abord, le prince commença par faire couper la longue chevelure que Jean portait à la Nazaréenne. Il ordonna ensuite que l’apôtre, après avoir été battu de verges, serait conduit en face de la porte Latine, et condamné à périr dans une chaudière remplie d’huile bouillante : Jean ne périt pas au milieu de son supplice, au contraire, il sortit de l’étuve plus fort, et plus vigoureux qu’il n’y était entré.

Domitien attribua le miracle aux artifices de la magie, et il relégua le magicien à Pathmos, petit îlot stérile qui appartient au groupe des Sporades, dans la mer Egée ou l’Archipel.

D’après la tradition, l’apôtre subit dans son exil le supplice des mines. Dans le temps qu’il travaillait à extraire le fer des carrières, il s’efforçait de tirer des ténèbres de l’idolâtrie le peuple qui l’entourait. Il y parvint en accomplissant un grand nombre de prodiges. Le plus célèbre est celui de la coupe empoisonnée que le vénérable Bède raconte de la manière suivante :

Un magistrat de l’île, nommé Aristosdème, se montrait fort irrité contre les prédications de Jean ; désirant se défaire de l’apôtre, il lui dit : « Voulez-vous que moi aussi j’embrasse votre doctrine ? Acceptez cette épreuve : voici du poison, prenez-le. Je croirai s’il n’arrive pas que vous mourriez. Sachez toutefois que le poison est d’une violence extrême. Pour vous le prouver, je vais l’essayer, en votre présence, sur des condamnés à mort. »

Les condamnés burent le breuvage, et leur mort fut instantanée. A son tour, le Saint prit la coupe, s’arma du signe de la croix, et il épuisa lentement ce qu’elle contenait. Puis, avec un sourire, il la remit à un magistrat, et se hâta de ressusciter les deux infortunées victimes de la coupe empoisonnée. A cette vue Aristosdème se déclara converti.

En mémoire de ce fait, les peintres chrétiens aiment à représenter saint Jean tenant à la main une coupe d’où s’échappe un serpent.

Ce fut dans l’exil de Pathmos que le disciple bien-aimé eut les sublimes visions de l’Apocalypse. Il vit en série des événements qui devaient s’accomplir depuis la naissance de l’Eglise jusqu’au jour du jugement. L’Apocalypse, en effet, contient toute l’histoire, mais enveloppée d’une merveilleuse obscurité qu’il est difficile de dissiper. Ces pages, disait saint Jérôme, renferment autant de mystères que de mots. Elles ne livrent leur secret qu’à mesure que le bien de l’humanité le réclame.

Saint Jean et le chef des brigands

Après la mort de Domitien, le Sénat romain ayant annulé les décrets du tyran, Jean quitta le lieu de son bannissement, et revint à Ephèse.

Les contrées voisines se disputaient l’honneur de sa présence. Il y allait pour y constituer des églises, y établir des évêques, et admettre aux fonctions du ministère divin ceux que le signe de l’Esprit-Saint avaient prédestinés.

Un jour il vint dans une ville, non loin d’Ephèse. En adressant la parole aux fidèles assemblés, il aperçut dans la foule un homme d’une taille élégante, d’un maintien noble et de mœurs irréprochables. Il le prit par la main et le présentant à l’évêque : « Je vous confie ce jeune homme, dit-il, devant l’Eglise et Jésus-Christ que j’invoque comme témoin. »

L’évêque reçut le jeune homme dans sa propre maison, il l’éleva, forma son cœur et son esprit, et enfin lui conféra le baptême.

Quand il l’eut marqué du sceau divin du sacrement, l’évêque crut pouvoir se relâcher de sa vigilance première ; ce nouveau chrétien trop émancipé ne tarda pas à se voir entouré de jeunes garçons de son âge qui l’entraînèrent avec eux dans une société oisive, dissolue et habituée à tous les crimes.

Il se jeta dans le vice avec l’ardeur impétueuse de sa nature ; aussi dépassa-t-il bientôt en perversion ceux qui d’abord l’avaient séduit. Il se mit à leur tête, organisa leur brigandage et se fit un renom de violences, de cruautés et de meurtres.

Quelque temps s’écoula, et Jean fut de nouveau appelé dans la même ville.

Après avoir réglé les affaires qui avaient nécessité sa venue, il se tourna vers l’Evêque et lui dit : « Rendez le dépôt que le Christ et moi nous vous avons confié en présence de l’Eglise dont vous êtes le pasteur. » - L’Evêque s’étonna ; il crut qu’il était question d’une somme d’argent qu’il n’avait jamais reçue. Mais Jean reprit : « C’est le jeune homme que j’avais commis à votre garde, c’est l’âme de notre frère que je réclame. – Il est mort, répondit l’Evêque en soupirant. Comment ? et de quelle mort ? – Il est mort à Dieu. Ce n’est plus qu’un méchant et un perdu ; car, à la tête d’une troupe de scélérats comme lui, il exerce le brigandage dans la montagne voisine. »

A quel gardien j’avais confié l’âme de mon frère, dit l’apôtre en déchirant ses vêtements ! Qu’on me donne un cheval et un guide ! Puis quittant l’assemblée, il partit à l’instant.

Arrivé à la montagne les gardes s’emparent de lui, Jean leur dit : « Menez-moi à votre chef c’est pour cela que je suis venu. » Le chef était en armes attendant son prisonnier. Mais à peine eut-il reconnu l’apôtre qu’il fut saisi de honte et qu’il s’enfuit en toute hâte.

Oubliant son grand âge, Jean se mit à le poursuivre en lui criant : « Mon fils pourquoi fuis-tu ton père, un homme désarmé, un vieillard : Ne crains rien, ton salut n’est pas désespéré. Je répondrai pour toi au Christ, et s’il le faut, je donnerai ma vie pour toi comme le Seigneur a donné la sienne pour nous. »

Le jeune homme ému de ces paroles, s’arrêta, jeta ses armes se mit à trembler et à pleurer amèrement. Quand l’apôtre l’aborda il se précipita à ses genoux avec des gémissements et des sanglots. Mais il tenait cachée sa main droite souillée de tant de crimes. Le Saint lui prit cette main purifiée par le repentir et la couvrit de baisers.

Il ramena ensuite le pénitent dans l’assemblée des fidèles. Il jeûna et il pria avec lui, et ne le quitta qu’après l’avoir réconcilié avec l’Eglise.

Le testament de saint Jean

L’apôtre aimait à présider les réunions chrétiennes. Lorsque son grand âge ne lui permit plus de s’y rendre de lui-même, il s’y faisait transporter par la main des disciples, et là, il ne cessait de répéter ces mots : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. » Les frères, fatigués d’entendre toujours la même chose, lui dirent : « Maître, pourquoi toujours les mêmes paroles ? » - « Parce que c’est le précepte du Seigneur ; si vous l’accomplissez, il ne faut rien de plus. »

Cette réponse fut comme le testament du disciple bien-aimé. Il s’endormit doucement dans la paix du Seigneur, le dernier des apôtres, âgé de plus de cent ans.