Saint Jean de Matha

Fête le 8 février


Euphrème de Matha et sa pieuse épouse, Marthe de Marsa s’affligeaient grandement en leur manoir de Faucon, de n’avoir pas d’héritier. La Sainte Vierge, un jour, sécha les larmes de Marthe en lui révélant qu’elle serait mère d’un enfant pur comme un ange, et qui rendrait la liberté à un grand nombre de ses frères.

L’enfant vint au monde le 23 juin 1154 et reçut le lendemain, au baptême, le nom de Jean-Baptiste dont c’était la fête.

A dix ans, le petit Jean, instruit par les anges, fit dans la chapelle du Mateau le vœu de virginité.

Ses parents s’étant rendus à Marseille, on rapporte que sa mère voulut, par une inspiration du ciel, exercer la charité de celui qui serait le rédempteur des captifs, en lui faisant visiter les pauvres galériens ; il les aimait et les consolait déjà par ses paroles encore enfantines.

A l’âge de faire ses humanités, il fut envoyé à Aix, où il brilla par ses succès comme par la pureté de ses mœurs, et c’est là que, fuyant les faux plaisirs de ses compagnons, il songea à se retirer au désert de la Sainte-Baume, illustré par Marie-Madeleine ; il fit un assez long séjour, adoptant la coutume qu’il s’efforça de conserver ensuite, de jeûner quatre fois la semaine et de s’infliger de rudes pénitences. C’est au milieu de ces austérités qu’il reçut du ciel le don d’une pureté parfaite et la faveur de n’être plus jamais tourmenté par l’esprit mauvais.

Cependant son père, confiant dans la promesse de la Sainte-Vierge, que son fils délivrerait beaucoup de ses frères, se représentait le brillant héritier de son nom, ceignant l’épée, battant les Musulmans et revenant couvert de gloire. Jean écoutait son père en silence. Une voix intérieure, d’autant plus certaine qu’elle se faisait entendre sans bruit de parole, lui avait dit qu’il rachèterait ses frères, mais qu’il ne les rachèterait pas à la pointe de son épée comme les chevaliers de la milice terrestre. Comment donc les rachèterait-il ? - Il ignorait encore lui-même. Rarement Dieu se révèle complètement, car si les saints voyaient toujours, s’ils savaient toujours le pourquoi de Dieu, où serait leur foi aveugle, leur obéissance filiale, leur mérite surnaturel ?

Jean ne savait qu’une chose, mais pour le moment il en savait assez : Dieu voulait qu’il renonçât à la gloire de ce monde pour se consacrer au service de l’Eglise. Il obéit donc et supplia son père de lui faire apprendre, pas le métier des armes, mais la théologie. Son père et sa mère furent atterrés ; mais en parents chrétiens, ils adorèrent les desseins de Dieu sur leur enfant et l’envoyèrent malgré la longueur et les périls du voyage à Paris, où se faisaient alors les plus brillantes études théologiques.

Arrivé à Paris, Jean s’arrêta près du tombeau de sainte Geneviève, patronne de Paris, et lui confia le succès de ses études. C’était l’an de grâce 1180, il avait vingt-six ans.

Les progrès de Jean furent rapides, car il travaillait pour l’amour, et par conséquent avec l’aide de Dieu. Cependant, troublé un jour comme le sont parfois les âmes les plus vaillantes, il fut encouragé par une voix lui disant : « Etudiez la sagesse, ô mon fils et réjouissez mon cœur. »

Il redoubla d’efforts, et un jour qu’il était appelé à soutenir seul une thèse, il résolut toutes les difficultés de la théologie avec une telle vivacité et une telle précision que ses maîtres en furent ravis d’admiration. Il était d’ailleurs vénéré par ces condisciples qui, à leur insu et au sien, se préparaient à être ses premiers auxiliaires dans l’œuvre de la Rédemption des captifs.

Les maîtres de Jean de Matha lui conseillèrent de prendre ses grades et d’enseigner. Il hésita, se demanda si telle était vraiment la volonté de Dieu. Mais quand on lui eut fait entrevoir le bien à accomplir, il céda et se prépara par la prière encore plus que par l’étude, à l’épreuve des examens. Il fut reçut maître èsarts, bachelier, licencié, et enfin docteur.

Un de ses biographes dit que, du haut de sa chaire de docteur, Jean fit autant de maîtres et de saints qu’il comptait de disciples. Cependant il n’était pas encore prêtre. Il cherchait sa voie quand l’évêque Maurice lui dit de ne point tarder à entrer dans les ordres, car il voulait employer son zèle à l’apostolat des étudiants. Pour obéir, il se prépara au sacerdoce par un redoublement de piété et quand l’évêque lui imposa les mains, il plut à Dieu de montrer aux hommes la sainteté de son serviteur. Une colonne de feu reposa sur la tête du nouveau prêtre et manifesta l’onction du Saint-Esprit qui opérait dans son âme.

Le bruit de ce prodige s’étant répandu, une nombreuse assemblée se réunit dans la chapelle de l’évêque, pour entendre la première Messe célébrée par Jean de Matha. Les abbés de sainte Geneviève et de saint Victor étaient présents. Tout à coup, au moment de la consécration, lorsque Jean élevait l’hostie et que tout le peuple était en prières, on vit le visage du saint resplendir d’une lumière surnaturelle et ses yeux se fixer au-dessus de l’autel sur un spectacle invisible aux assistants.

L’action se prolongea longtemps, et le visage du saint ayant enfin recouvré son calme, il continua le sacrifice. Dès qu’il eut achevé, on l’interrogea. Il dut obéir et parler, mais il le fit avec d’autant plus de peine que ce qu’il avait à révéler anéantissait les espérances fondées sur lui pour la sanctification des étudiants de Paris.

« J’ai vu, dit-il, quand j’élevais l’hostie, un ange tout blanc, avec un vêtement brillant, portant sur la poitrine une croix de couleur rouge et bleue ; ses bras se croisaient, et il présentait les mains à deux captifs, l’un chrétien l’autre maure. Ils étaient à ses pieds dans la posture de suppliants. »

Jean se souvint des attraits de son enfance et des promesses de la Vierge avant sa naissance. Il comprit quelle était la destinée glorieuse à laquelle Jésus le préparait depuis tant d’années, mais il ignorait encore comment il pourrait correspondre à cette grâce, et accomplir les prodiges que lui annonçait cette vision. Sur le conseil de l’évêque et de l’abbé, il partit donc pour Rome, dans l’intention de chercher auprès du vicaire de Jésus-Christ la lumière que Dieu ne donne dans toute sa plénitude qu’à son représentant sur la terre.

Pendant que ces prodiges s’accomplissaient à Paris, en faveur de Jean de Matha, Dominique de Guzman, à Palentia en Espagne, était l’objet de faveurs semblables, car le regard de Dieu se reposait avec une égale complaisance sur ces deux âmes pures et dociles.

Dominique était tout proche de la domination des Maures, quand une femme affligée du malheur de son frère tombé entre les mains des infidèles vint un jour se jeter à ses pieds :

« Obtenez de Dieu, disait-elle, la liberté de mon frère, ou procurez-moi de l’argent pour le racheter. »

Dominique, ému, lui répondit :

« Je ne puis rien pour votre frère, ni par mes prières, ni par mes biens, étant pécheur et pauvre ; mais ce que je puis, je vous le donne, j’irai servir le Maure à sa place ; dites-moi où le trouver. »

« A Dieu ne plaise ! repartit la femme, je ne veux que vos prières. »

Dominique se prosterna devant son crucifix et parla à Dieu du sort des captifs. Je dis qu’il parla, car la prière des saints n’est pas, comme l’est trop souvent la nôtre, une froide nomenclature de mots. Les saints aiment Dieu, ils lui parlent comme on parle à ceux que l’on aime, et Dieu, touché de leur amour, s’abaisse vers eux et répond à leurs prières ardentes. « La prière n’est pas un monologue, » disait Mme Schwetchine, et elle avait raison. Puissent nos prières ne jamais être des monologues ! mais, pour qu’elles ne le soient pas, il faut nous y être préparés par l’effort de la vertu et y apporter surtout la ferme volonté d’écouter docilement les réponses de notre divin Maître.

Dominique était donc agenouillé et son cœur de saint s’épanchait dans une fervente oraison, demandant à Dieu d’être employé au rachat des captifs. Dieu lui répondit :

« Mon fils, j’ai d’autres desseins sur toi, je ne veux point t’employer à racheter les esclaves, mais à convertir les hérétiques. Pour le rachat des captifs j’ai choisi un jeune homme selon mon cœur et dont le zèle s’étendra au loin ; c’est un docteur de Paris appelé Jean, et tu le connaîtras. »

Comme tous les saints, Dominique était un docile instrument entre les mains de Dieu. Il renonça aux ambitions de son dévouement, et son obéissance le prépara mieux que ne l’auraient fait ses vœux les plus ardents et les plus saints à la grande mission que Dieu lui destinait.

Jean de Matha était partit pour Rome rempli du désir de suivre la volonté de la Providence. Cependant, coopérer aux desseins de Dieu, être employé par lui aux œuvres de sa grâce, prendre part avec lui au salut de ses frères, est une faveur si grande, que les saints eux-mêmes n’en sont pas toujours et tout de suite dignes. La sainteté de Jean était grande, mais sans doute elle n’était pas encore parfaite car il dut attendre encore longtemps la réalisation des promesses de Dieu sur lui.

Le château de Faucon était sur la route de Rome. Jean aimait tendrement ses parents, il eut la tentation de les revoir une fois encore sur la terre et y alla. Sans aucun doute, cette action nous paraît bien simple, bien naturelle. Elle le serait pour toute personne appelée seulement à la pratique des commandements, mais il est des âmes plus privilégiées que Dieu a réservées pour lui seul et auxquelles il a adressé ces paroles : « Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. »

A Faucon, le jeune docteur devint hésitant. Son père et sa mère contribuèrent peut-être à l’ébranler, car les parents, même les plus saints, ont parfois un instant de faiblesse quand il s’agit de la perfection de leurs enfants. La perfection ne s’acquiert pas sans l’épreuve de la Très Sainte Vierge Marie, le modèle des mères, et certainement la seule qui ait accepté dans toute la ferveur de l’élan de son cœur le sacrifice et les douleurs de son fils. Elle n’a pas hésité, mais un glaive de douleur a transpercé son âme ... Les pauvres mères ont souvent le tort de ne pas accepter toujours et complètement ce glaive de douleur. Il est possible que Marthe ait eu ce tort et que pour la première fois peut-être elle n’ait pas assez compris que les enfants sont à Dieu avant d’être à leurs parents. Sa générosité n’alla pas probablement jusqu'à vouloir pour son cher enfant les difficultés, les travaux et les dangers inséparables de toutes les grandes œuvres.

Jean reprit donc la route de Paris et renonça au voyage de Rome. Mais bientôt, poursuivi par l’esprit de Dieu, il s’enfuit dans le désert et alla cacher sa vie dans une caverne située dans le diocèse de Meaux et déjà illustrée par la retraite de saint Fiacre. - Il y resta six à sept mois. Ayant alors appris qu’un solitaire rempli des dons de Dieu vivait dans les environs, il se mit à sa recherche brûlant du désir de vivre dans sa dépendance et d’apprendre de lui la volonté du ciel.

Ce solitaire était Félix de Valois, descendant des rois de France. Il avait soixante-dix-sept ans et avait vécu de longues années séparé du monde, quand il entendit une voix lui disant : « Voici celui que tu attends. » Félix qui, depuis quarante ans, attendait dans la prière et les austérités la manifestation de Dieu sur lui, se hâta d’aller au devant de celui que le divin Maître lui annonçait. Les deux saints se rencontrèrent providentiellement et se reconnurent sans s’être jamais vus. Ils entrèrent alors tous deux dans l’ermitage et préludèrent par une fervente oraison aux communications que chacun attendait l’un de l’autre. Chacun, intérieurement, se croyait disciple et était heureux d’avoir trouvé un maître.

Après avoir imploré les lumières de Dieu, les deux saints se racontèrent leur vie. Nous connaissons celle de Jean. Quant à celle de Félix, il la résuma dans ce court récit, qu’il confia à Jean sous le sceau du secret :

« Je suis, lui dit-il, prince du sang royal, j’ai quitté la cour il y a quarante ans ; j’ai vécu à Clairvaux avec saint Bernard, dont les miracles et les œuvres ont remplis l’Eglise ; j’ai eu de terribles assauts du démon, je l’ai vaincu, et j’ai trouvé dans la solitude d’ineffables délices. Une voix m’a annoncé votre venue et m’a dit tout à l’heure : « Le voici. »

Ainsi parla Félix. Les deux saints se demandèrent ce qu’ils devaient entreprendre, et tous deux convinrent qu’il fallait prier et attendre la manifestation de la volonté de Dieu. Mais comme il ne faut jamais attendre pour pratiquer la vertu, ils se mirent aussitôt à l’œuvre de leur perfection et établirent une règle pour l’oraison, l’office, le repas et les entretiens spirituels.

Un jour ils s’étaient réunis à l’écart pour prendre leur repas commun et arroser les racines dont ils se nourrissaient avec l’eau jaillissant d’une source voisine. Loin du regard des hommes, ils parlaient de Dieu, quand tout à coup ils aperçurent un cerf d’une blancheur éclatante. L’animal buvait l’eau de la source, quand soudain, relevant la tête, il leur montra encadrée dans son bois une croix lumineuse aux couleurs bleue et rouge. C’était la croix inscrite sur la poitrine de l’ange qui avait paru lors de la première messe de jean de Matha.

La même vision se présenta plusieurs fois. Les saints prièrent encore et comprirent qu’il fallait aller au secours des captifs dont l’ange aux deux couleurs avait présenté les chaînes. Et comme, un jour, ils s’en retournaient demandant à Dieu dans une fervente prière s’il ne fallait pas aller à Rome, un ange leur enjoignit de ne point tarder. Ils résolurent donc d’aller soumettre leurs lumières et leurs visions au souverain Pontife et de lui dire : « Nous sommes vos ouvriers, envoyez-nous où il faut aller. »

Avant de partir, ils promirent à leur petite famille monastique de leur rapporter des ordres positifs pour le service de Dieu et nommèrent ce couvent, formé de cavernes et de cabanes, Cerfroid (Cervus frigidus), nom qu’il porte encore aujourd’hui et qui rappelle le prodige du cerf miraculeux.

Les deux pèlerins accomplirent cependant leur voyage. Cependant ils étaient à pied, mais quand Jean s’étonnait que Félix de Valois, malgré ses quatre-vingts ans, supportât si facilement les fatigues du chemin, celui-ci lui répondait : « Je vois l’ange du Seigneur qui nous guide et il me donne la main chaque fois que je vais tomber. »

Ils arrivèrent à Rome le 4 septembre 1198. Ce jour est celui où on célèbre la fête de la Chaire de saint Pierre. Les deux pèlerins prièrent avec ardeur, et le prince des apôtres ne resta pas sourd à leurs supplications, car, la nuit suivante, le Pape, qui était alors Innocent III, vit un ange lui annonçant que des envoyés de Dieu solliciteraient ses faveurs.

En effet, le surlendemain, Jean de Matha et Félix étaient à ses pieds, lui faisant le récit des merveilleux avertissements qu’ils avaient reçus du ciel et lui exposant leurs espérances.

Le Pape, loin de les repousser et reconnaissant d’ailleurs en eux les envoyés annoncés par l’ange, ne voulut cependant rien promettre avant d’avoir pris l’avis des cardinaux. Ceux-ci, émus par le discours du Pape, qui leur montra l’action de la Providence envoyant à chaque grand mal un grand remède, décidèrent que la pensée des deux saints ne pouvait venir que de Dieu, et qu’il fallait demander à Celui qui l’avait inspirée les moyens de la réaliser. Le Pape ordonna aussitôt des prières publiques et célébra lui-même solennellement la messe en présence du Sacré Collège. La foule était immense.

Au moment où le Pontife, après avoir consacré l’hostie, l’éleva pour la faire adorer aux fidèles, il lui sembla être environné d’une grande lumière, et bientôt, au-dessus de l’autel, il distingua un ange, les deux captifs à ses côtés. L’ange portait la croix bleue et rouge et ses bras croisés sur le Maure et le chrétien semblaient signifier qu’il voulait les échanger.

Les prières publiques étaient exaucées, la réponse était venue du ciel.

Innocent dit aux deux pèlerins :

- Maintenant je connais les desseins de Dieu sur vous... Il vous a choisit pour fonder un nouvel ordre. Il sera consacré à l’adorable Trinité et aura pour but de procurer la gloire chez les nations barbares. Vous arracherez de leurs mains les chrétiens, vos frères, qui professent ce divin mystère. Ce n’est que parce qu’ils ont été baptisés, au nom adorable du Dieu trois fois saint qu’ils endurent tant de cruels tourments, et leur constance dans la foi redouble la rage des persécuteurs.

Dès le 22 février, jour de la Purification de la Sainte Vierge, Innocent donna l’habit aux deux nouveaux religieux. D’après l’ordre du Pape, cet habit était de la forme et de la couleur de celui que portait l’ange des apparitions.

Chargés ensuite par le Pape de rédiger les constitutions du nouvel ordre, Jean et Félix partirent pour Paris afin de s’aider des lumières de ceux qui avaient été témoins des premiers prodiges. Et comme ils racontaient les merveilles qui avaient suivi, deux des anciens compagnons de Jean voulurent s’enrôler dans le nouvel ordre de la Trinité. Roger Déès, un illustre docteur, un sage selon le monde, sourit de leur pensée et tourna en dérision les nouveaux moines et leur habit à la croix rouge et bleue. Et soudain il s’aperçut qu’un singulier habit se formait sur sa peau. C’était la lèpre.

Déès comprit sa faute, alla se jeter aux pieds de saint Jean de Matha qui le guérit, puis, sans perdre de temps, entra dans l’ordre de la Trinité où il sollicita la faveur d’être appelé Roger le Lépreux, nom qu’il garda jusqu'à sa mort. A sa suite un grand nombre de docteurs s’offrirent à Jean de Matha qui les envoya à Cerfroid apprendre, sous la conduite de Félix de Valois, l’humble pratique des vertus religieuses. Lui-même acheva de rédiger les constitutions et alla ensuite à Rome les soumettre au souverain Pontife, puis il revint à Paris demander à Philippe-Auguste, roi de France, l’approbation royale. Cette approbation n’était pas ce que l’on a cherché à la rendre depuis. Elle n’octroyait pas aux ordres religieux le droit d’existence, droit dont le Pape seul est dépositaire, mais elle conférait des privilèges que Philippe-Auguste fut heureux d’accorder à cette famille religieuse.

Jean, après avoir fondé plusieurs maisons en France, fut appelé à Rome par le Pape qui lui donna l’église et la maison de saint Thomas de Formis, dite la Nacelle. Cette communauté devint bientôt florissante. Jean aurait voulu alors partir pour l’Afrique et se donner lui-même en échange pour quelque esclave chrétien, mais le souverain Pontife lui commanda de rester auprès de lui pour le plus grand bien de l’Eglise.

Jean envoya deux de ses religieux au Maroc. Ils rachetèrent cent quatre-vingt-six esclaves chrétiens. Ils s’apprêtaient une seconde fois à partir pour l’Afrique, quand le Pape l’envoya en Dalmatie en qualité de légat. Dans cette dignité il s’employa avec zèle à la conversion de la cour, au rétablissement de la discipline ecclésiastique, à la réformation des mœurs. Les fruits du salut furent immenses. Le Pape voulut récompenser par le cardinalat tant de services rendus à l’Eglise mais l’humble Jean refusa cette dignité et sollicita seulement la faveur d’aller enfin en Afrique. Le Pape y consentit, et Jean, au comble de ses vœux et dévoré de la soif du martyre, faillit se faire égorger par les barbares. On le trouva dans la ville de Tunis, brisé de coups et nageant dans son sang. Et lui était comme saint Paul surabondant de joie dans ses tribulations, n’ayant qu’un regret celui de n’être ni mort ni esclave, pour l’amour de Jésus-Christ son maître.

Après bien des fatigues, Jean partit pour Tunis, avec tous les esclaves qu’il avait rachetés. Mais à peine s’était-il embarqué que les barbares, résolus à le faire périr, entrent dans le navire, enlèvent le gouvernail, brisent les mâts et laissent le vaisseau aller au gré des vents. Plein de confiance en Dieu, Jean mit son manteau et ceux des frères à la place des voiles, se jette à genoux le crucifix à la main, et supplie le Seigneur d’être lui-même le pilote. En effet, peu de jours après, ils arrivaient à Costie.

Jean entreprit encore de nombreux voyages et accomplit un grand nombre d’œuvres pour la plus grande gloire de Dieu. Il fonda des monastères, établit l’adoration perpétuelle de la Sainte-Trinité, délivra, en Espagne, un grand nombre de fidèles qui gémissaient sous le joug des Sarrasins et prêcha la pénitence tant par la parole que par la force de l’exemple, car, pendant plusieurs années, il ne vécut que de pain et d’eau, et son oraison était continuelle. Les travaux étaient bénis par la Très Sainte Vierge Marie, en qui il avait toujours eu une dévotion filiale, voulant que son ordre fût placé sous sa protection spéciale. - Comblé de mérites, et doué du don de prophétie et de miracles, il rendit son âme à Dieu le 21 décembre 1214. Ce jour étant destiné à célébrer la fête de saint Thomas, celle de saint Jean de Matha fut fixée par Innocent XI au 8 février.