Saint Hugues Abbé
Fête le 29 avril
Abbé
Légende de la gravure
Saint Hugues chasse le démon du corps d’un possédé.
Naissance et premières années de saint Hugues
Saint Hugues naquit en 1024 d’une noble et riche famille de la Bourgogne. Dalmatius son père, comte de Semur, éprouva une grande joie à la naissance de cet enfant. Il espérait trouver en lui un digne héritier de ses richesses et de sa vaillance sur les champs de batailles. Aussi chercha-t-il, dès ses plus tendres années, à l’enthousiasmer pour les exploits guerriers. Mais tels n’étaient pas les desseins de sa pieuse mère, Aremberga de Vergy. Avant la naissance de son fils, elle avait recommandé aux prières d’un saint prêtre le fruit qu’elle portait en son sein. L’homme de Dieu, en offrant le saint sacrifice à la Messe, aperçut dans le calice la rayonnante image d’un enfant d’une admirable beauté. La vision fut rapportée à la pieuse mère, et lui fit espérer que son fils serait un jour ministre du Seigneur.
Cependant Dalmatius lui fit donner une éducation noble et militaire. Mais, les chevaux, les armes et la chasse, tout ce qui séduit si facilement le jeune homme, n’avaient aucun charme pour Hugues. Il aimait au contraire à se retirer à l’écart pour prier, il aimait à visiter les églises et se plaisait à la lecture des saints Livres. A l’âge de dix ans, grâce à l’intervention de la comtesse sa mère, il obtint de son père la permission de passer sous la direction de son grand oncle, Hugues, évêque d’Auxerre. Il fut admis à l’école épiscopale et se distingua bientôt par l’élévation de son esprit et la vivacité de son intelligence. Il surpassa en peu de temps tous les clercs. L’étude des lettres humaines et divines ravissait son âme : la prière et la contemplation seules avaient pour lui un charme supérieur. Ses progrès étaient plus rapides dans la vertu que dans la science.
Saint Hugues entre au monastère de Cluny
Après avoir passé cinq ans sous la direction de l’évêque d’Auxerre, Hugues quitta l’école épiscopale, et s’en alla frapper à la porte du monastère de Cluny. Saint Odilon y exerçait alors la charge abbatiale ; il ne tarda pas à donner l’habit monastique au vaillant jeune homme. La cérémonie fut belle et touchante. « Quel trésor reçoit en ce jour l’église de Cluny ! » s’écria l’un des vénérables vieillards qui assistait l’abbé, pendant que celui-ci remettait l’habit de saint Benoît au nouveau soldat du Christ. A partir de ce jour, Hugues redoubla de ferveur ; en quittant les vêtements du siècle, il avait vraiment dépouillé le vieil homme. Une grâce céleste, une modestie angélique rayonnaient sur son visage. Bientôt, purifié au creuset de la discipline, nous dit l’hagiographe, sa vertu brilla d’un éclat resplendissant. A peine eut-il prononcé ses vux, que saint Odilon le fit prieur du monastère de Cluny. Il n’avait que vingt-cinq ans, et sa charge, loin d’être un écueil pour sa vertu, ne fit que l’accroître.
Saint Hugues à la cour de l’empereur Henri III
L’empereur Henri III, croyant avoir à se plaindre d’un manque d’égards, de la part du prieur d’un monastère qui dépendait de Cluny, fit parvenir ses plaintes et son mécontentement à saint Odilon. Le vénérable abbé se confiant aux lumières et à la sainteté de son jeune collaborateur, envoya saint Hugues en Germanie, afin de calmer le courroux du prince. Dans cette épineuse négociation, le disciple de saint Odilon donna des preuves éclatantes de sa sagesse. Sans blesser les droits de l’empereur, il sauvegarda toutes les prérogatives du monastère, réconcilia Henri III et le prieur, et rétablit la paix la plus grande. Toute la cour, charmée de ses vertus et de la noblesse de son caractère, l’entourait d’égards et le vénérait comme un Saint. L’empereur lui fit décerner les plus grands honneurs, lui remit de riches offrandes pour le monastère de Cluny et pour le vénérable Odilon. Mais, pendant que la cour impériale se livrait à la joie, et pendant que la négociation de saint Hugues produisait ses fruits les plus doux et les plus consolants, les moines de Cluny étaient dans la douleur. Ils pleuraient leur Père, saint Odilon était monté au ciel. A cette nouvelle, le cur de saint Hugues fut brisé de douleur. Il se hâta de retourner à Cluny afin de rendre les derniers devoirs au saint abbé, et de mêler ses larmes à celles de ses frères.
Saint Hugues devient abbé de Cluny
Son retour fut salué avec joie par la communauté de Cluny. Hugues alla se prosterner sur le tombeau de son vénéré Père et maître ; là il se fit raconter les derniers instants de saint Odilon, et sa mort édifiante. Il fallut cependant procéder à une nouvelle élection ; les fils de saint Odilon se rassemblèrent sans retard. Le plus ancien religieux, invité à désigner celui qu’il voyait le plus digne de succéder à saint Odilon, n’hésita pas à dire : « Devant Dieu qui me jugera bientôt, et devant vous tous, mes frères, j’élis pour abbé le prieur Hugues. » Ces paroles furent accueillies avec enthousiasme. Les religieux ne lui donnèrent pas le temps de les consulter, ils étaient déjà aux pieds de l’humble prieur, et malgré ses efforts et ses protestations, le portaient en triomphe sur le trône abbatial. A cette scène attendrissante et solennelle, assistait un sous-diacre de l’Eglise romaine, moine de Cluny, Hildebrand, qui plus tard devait gouverner l’Eglise sous le nom de Grégoire VII. Assis auprès du trône abbatial, au moment où saint Hugues prit la parole, Hildebrand vit apparaître Jésus-Christ, qui se tint à droite du nouvel abbé. Il semblait lui dicter chacune de ses paroles. A cette vue, Hildebrand quitta son siège, et debout, dans l’attitude du plus profond respect, il vint se placer à côté de Jésus. L’assemblée entière remarqua cette particularité. Le nouvel abbé lui demanda pourquoi il avait quitté son siège, Hildebrand révéla la vision dont le ciel l’avait favorisé. Les religieux éclatèrent en actions de grâces et s’applaudirent de l’heureux choix qu’ils avaient fait, en mettant saint Hugues à leur tête.
Saint Hugues lutte contre la simonie
Le onzième siècle est resté célèbre, dans l’histoire ecclésiastique, par les luttes des Souverains Pontifes contre les honteux désordres de la simonie. La France offrait alors le triste spectacle d’un roi qui conférait les investitures, nommait aux évêchés, aux abbayes et autres bénéfices ecclésiastiques. Henri 1er, prince sans énergie, perpétuellement en lutte avec ses grands vassaux, et souvent malheureux dans ses expéditions, remplissait son trésor en trafiquant des choses saintes. La simonie était officiellement pratiquée à la cour. Le Souverain Pontife, Léon IX, voyait avec douleur les progrès du mal et la situation déplorable de l’Eglise des Gaules. Afin d’éviter le fléau, et de faire revivre la discipline religieuse, il vint en France, se rendit à Cluny, où il trouvait, dans la personne de saint Hugues, un auxiliaire vigoureux et puissant, pour seconder ses projets de réforme. Il fut convenu qu’un synode national serait tenu à Reims. Mais le jeune roi Henri 1er opposa une résistance opiniâtre. Le Pape, malgré tous les obstacles, se rendit dans cette ville et ouvrit le concile. Saint Hugues, à peine revêtu de la dignité abbatiale, fut appelé à parler un des premiers, et il inaugurait ainsi une lutte, qui devait se poursuivre jusqu’à sa mort. Quand le Souverain Pontife l’interrogea solennellement sur son élection, il s’écria : « Dieu m’est témoin, que je n’ai rien promis à qui que ce soit pour être élevé à la dignité abbatiale. La chair et le sang l’eussent voulu peut-être, mais l’esprit et la raison y répugnaient. » Le Saint s’éleva ensuite, avec toute l’autorité que lui donnait ses vertus et sa science, contre les honteux désordres de la simonie. La grâce de la persuasion, que Dieu lui donna, fut telle, que l’ignorance des uns, les coupables réticences des autres se changèrent en torrents de lumière et en larmes de repentir. Le succès du concile fut immense et remplit de consolation le cur du Souverain Pontife. Nous retrouvons bientôt saint Hugues au concile de Rome, où il occupe une des premières places parmi les abbés. Tous les conciles et les synodes qui se tinrent dans les Gaules voulaient s’honorer de la présence du saint abbé. Toujours et partout, il attaque vivement la simonie, il inspire son ardeur et son enthousiasme à ses auditeurs, il exhorte les évêques et les abbés à sévir contre les honteux désordres, dont la France offre le triste spectacle. C’est ainsi que, peu à peu, la simonie qui régnait souverainement sous Henri 1er, perdit son empire et disparut presque complètement. Mais nous verrons comment saint Hugues eut encore à lutter contre les rois et les princes.
L’empereur Henri III n’avait pas oublié les brillantes qualités de saint Hugues ; il s’était réjoui de son élection, et il témoigna en 1051, combien il l’estimait. Dieu venait de combler les vux de l’empereur en lui accordant un fils dont la naissance fut saluée, par les peuples allemands, comme un gage de prospérité et d’avenir. Henri III, au comble de la joie, pria le vénérable abbé de Cluny de venir lever son fils des fonts baptismaux. Saint Hugues accepta l’invitation impériale, et se rendit à la cour. On donna à l’enfant le nom de son père dans l’espoir qu’il en ferait revivre les vertus. L’Eglise et l’empire si étroitement unis, voyaient dans ce berceau un gage de perpétuité pour leur alliance. Mais hélas ! le jeune prince démentit cruellement plus tard tant d’espérances, et malgré les avis et les touchantes exhortations de saint Hugues, devint un persécuteur acharné de l’Eglise et le fléau de l’empire.
Saint Hugues assiste le pape Etienne X à ses derniers moments
Athlète généreux, apôtre infatigable, saint Hugues est mêlé à tous les grands événements. Les Souverains Pontifes trouvaient en lui un auxiliaire puissant. C’est ainsi que nous le voyons accompagner le Pape Etienne X dans un voyage qu’il fit en Toscane. Le Souverain Pontife tomba malade à Florence, et comprit bientôt que l’heure de sa mort allait sonner. Saint Hugues passa des journées entières aux pieds du Souverain Pontife, dans des entretiens pleins de charme et d’onction céleste. Il mérita d’entendre ces belles paroles de la bouche même du Pape : « Je demande au Seigneur de mourir entre vos bras. Aussitôt que vous me quittez, l’ennemi du genre humain m’assiège de visions terribles ; quand vous rentrez, il disparaît. » Le saint abbé ne s’éloigna plus du Souverain Pontife ; il reçut son dernier soupir, lui ferma les yeux, revêtit son corps des insignes pontificaux, et il le déposa de ses propres mains dans le cercueil.
Rapports intimes de Grégoire VII et de saint Hugues
Le dévouement de saint Hugues au Saint-Siège était déjà bien grand, mais il devait augmenter encore, quand la tiare fut placée sur la tête d’Hildebrand ou Grégoire VII. Ce grand Pape n’avait pas oublié le berceau de sa vie religieuse ; et il appelait saint Hugues du doux nom de Père vénéré. Au milieu des luttes qu’il eut à soutenir contre l’empereur Henri IV, au milieu des persécutions qu’il eut à souffrir, quand son âme était brisée de douleur, Grégoire VII aimait à verser dans le cur de saint Hugues ses cruelles angoisses, et à faire du saint abbé le confident de ses plaintes éloquentes sur les maux de l’Eglise. Bien des fois, il eut recours à son intermédiaire, pour rappeler au malheureux prince ses devoirs les plus sacrés. L’empereur, acharné contre l’Eglise, déchirait le sein de sa mère, suscitait des antipapes, et les soutenait de ses armes souvent victorieuses. Frappé des anathèmes de l’Eglise, pressé par les exhortations de saint Hugues, il parut plusieurs fois se réconcilier avec saint Grégoire VII. Mais il ne concluait un traité que pour le rompre bientôt après, il ne signait la paix que pour la violer, et recommencer ses persécutions avec plus de violence. Cependant, quand il sollicita le pardon de ses fautes, l’empereur pria saint Hugues d’intercéder en sa faveur, le vénérable abbé y consentit, et obtint que l’excommunication fut levée. Quand le prince, après plusieurs jours d’une pénitence publique, reçut à Canossa l’absolution, saint Hugues se porta garant de sa bonne foi. Mais la pénitence de l’empereur n’était pas sincère, ce n’était qu’une ruse et une hypocrisie, et il continua bientôt de persécuter Grégoire VII. Fatigué, à la fin, de tant de trahisons, le saint moine rompit courageusement avec son terrible filleul, et lui déclara qu’il n’y aurait plus de rapports entre eux, tout le temps qu’il demeurerait sous les anathèmes de l’Eglise.
Pendant que saint Hugues prodiguait ses sages conseils à l’empereur Henri IV, il soutenait aussi l’âme de son ancien disciple, et se faisait le consolateur et le soutien de Grégoire VII. Jusqu’à sa mort le grand Pape ne cessa de se recommander aux prières du saint abbé, et d’avoir recours à ses lumières.
Urbain II et saint Hugues
Le monastère de Cluny était devenu comme le noviciat du Sacré Collège, et du Souverain Pontificat. Saint Hugues vit monter sur le trône de saint Pierre, trois de ses disciples et fils spirituels presque successivement. Grégoire VII, Urbain II et Pascal II. Dès les premières années, dans un langage noble et délicat, Urbain II se plaignait à saint Hugues de ne l’avoir pas encore vu au tombeau des saints apôtres : « Je vous en conjure, disait-il, ô le plus regretté des pères, si vous n’avez point perdu le souvenir de votre fils et disciple, s’il vous reste encore pour moi des entrailles de charité, répondez au plus ardent de mes vux, venez me consoler par votre présence, et apportez à la sainte Eglise romaine, votre mère, la joie si désirée de votre visite. » Quelque temps après, quand Urbain II vint en France présider le concile de Clermont, exhorter les chevaliers chrétiens à voler au secours de la Terre-Sainte, exciter l’enthousiasme universel des Croisades, saint Hugues se trouvait à côté de lui. Il unit sa voix à celles des chevaliers pour pousser ce cri enthousiaste qui retentit au loin : Dieu le veut, Dieu le veut.
Avant de quitter le sol français, le Souverain Pontife voulut revoir le berceau de sa jeunesse cléricale et religieuse. Depuis dix ans, saint Hugues travaillait avec une ardeur incroyable, à la construction d’une église, qui serait encore aujourd’hui, si elle eut échappé à la fureur révolutionnaire, un monument unique en Europe. Des masses énormes de pierre furent employées à cette uvre. Un jour, il s’en trouva une si lourde, que, ni les ouvriers, ni leurs machines ne parvinrent à la hisser. Le lendemain, on fut étonné de la trouver en place et de voir la main du saint abbé empreinte sur le bloc qu’il avait miraculeusement remué pendant la nuit. Malgré les offrandes recueillies dans toutes les contrées de l’Europe, malgré les sommes fort considérables envoyées d’Espagne par le roi Alphonse VI le Vaillant, les travaux étaient loin d’être terminés à l’arrivée d’Urbain II. Mais saint Hugues avait fait tout disposer, pour qu’au moins le maître-autel pût être consacré sous l’invocation du prince des apôtres, par un Pape légitime, successeur de saint Pierre et fils spirituel de Cluny. Urbain consacra le maître-autel, et encore un autre appelé : Matutinal. Ce Saint, pour perpétuer le souvenir de cette magnifique solennité, décréta que, durant la vie du Pontife Urbain II, on chanterait, à toutes les messes conventuelles, les oraisons pro papa Urbano, et qu’après sa mort, les religieux de Cluny célébreraient à perpétuité, un service anniversaire pour le repos de son âme.
Jusqu’à son dernier soupir, Urbain II porta la plus tendre affection à saint Hugues, et ne cessa de l’appeler : Père vénéré. Il était digne d’un tel amour ; et dans toutes les circonstances il se montra l’humble serviteur du Saint-Siège, en même temps que son plus ardent défenseur contre les rois et les princes qui ne craignaient pas de violer les droits les plus sacrés.
Ainsi, il désapprouva hautement la conduite de Guillaume le Conquérant, lors de la conquête de l’Angleterre. Le prince victorieux voulut l’attirer en Angleterre, et lui confier la direction de tous les monastères de ce royaume. Mais saint Hugues refusa l’offre de Guillaume, ne voulant, en aucune façon, s’associer aux violences du roi contre le clergé anglo-saxon.
Cependant, d’autres seigneurs lui confiaient les monastères de leurs domaines, en le priant de rétablir partout la discipline religieuse. Saint Hugues acceptait avec joie, quand ces offres et ces donations ne blessaient pas les droits de l’Eglise. Heureux d’étendre le règne du Christ, et d’affaiblir ainsi partout les désordres de la simonie, il secondait avec une ardeur tout apostolique, les projets et les vues des princes et des seigneurs. Ceux-ci ne se contentaient pas de donner à saint Hugues leurs monastères et leurs abbayes, plusieurs se donnèrent eux-mêmes. Sa sainteté et ses vertus lui attiraient tous les curs. Le duc de Bourgogne, le comte de Mâcon avec trente de ses chevaliers, renoncèrent à la milice du siècle, pour s’enrôler sous l’étendard de Jésus-Christ, et vivre sous la direction de saint Hugues. Il y eut à cette époque comme une sainte contagion de vertu qui portait toutes les âmes à la pénitence.
Comment saint Hugues apprend sa mort prochaine
Un jour, l’un des laboureurs des domaines de Cluny vint demander à parler au saint abbé : « Père, lui dit-il, je faisais ces jours derniers une plantation de jeunes vignes dans mon champ, lorsque je vis apparaître plusieurs personnages dont la gloire et la majesté semblaient au-dessus de la condition mortelle. Devant eux marchait une dame dont je ne pus voir le visage, mais un vénérable vieillard, s’arrêta près de moi : « A qui appartient le champ que tu cultives ? » me demanda-t-il, - « Seigneur, répondis-je, c’est un domaine du bienheureux Père et seigneur Hugues, abbé de Cluny. » - « Alors, reprit l’inconnu, et le champ et son propriétaire sont à moi. Je suis l’apôtre Pierre. La dame qui me précède est la bienheureuse Marie, mère de Dieu, escortée du chur des âmes saintes. Hâte-toi d’aller trouver l’abbé de Cluny, pour lui dire : « Mettez ordre à votre maison, car vous allez entrer dans la voie de toute chair. – Telle est la mission que j’ai reçue, ajouta l’homme des champs. Je n’osai point d’abord m’en acquitter. Mais la vision m’est de nouveau apparue, me reprochant ma négligence, et je n’ai pas voulu différer davantage. » Saint Hugues accepta cet avis avec humilité, et redoubla d’austérités et de ferveur pour se préparer à la mort, ne doutant pas de la véracité des paroles du laboureur.
Mort de saint Hugues
Malgré son âge avancé et le déclin de ses forces pendant le carême de 1109, saint Hugues porta jusqu’au bout le poids du travail et des austérités monastiques. Le jeudi saint, le vénérable abbé se rendit au chapitre et ordonna de distribuer aux pauvres les aumônes accoutumées. On le pria ensuite de donner l’absoute générale à la communauté. A ces mots il fondit en larmes, et d’une voie entrecoupée par les sanglots : « Comment pourrais-je vous absoudre, s’écria-t-il, moi, misérable pécheur, chargé devant Dieu du poids de tant de fautes ? Tout indigne que j’en suis, je vais pourtant accomplir le devoir de ma charge. Que le Seigneur, le Dieu qui délivre les captifs et relève les curs brisés, daigne opérer dans vos curs l’uvre de sa grâce et de sa miséricorde. » Elevant ensuite les yeux au ciel, il bénit ses enfants. Il lava encore les pieds de ses frères, à l’heure du Mandatum, et leur adressa sur l’Evangile du jour une exhortation qui fit couler bien des larmes. Il assista à tous les offices du vendredi et du samedi saint. Il eut encore assez de force pour célébrer les offices de la solennité de Pâques. Mais après vêpres, on dut le mettre au lit : « Je suis, disait-il, un soldat inutile. Le divin maître daignera-t-il m’accorder la récompense ? » Ses yeux se couvrirent bientôt comme d’un nuage, sa langue pouvait à peine articuler quelques sons, tous ses membres devinrent rigides. On lui apporta le corps sacré du Sauveur, en lui demandant : « Le reconnaissez-vous ? » - « Oui, dit-il ; je le reconnais, et je l’adore. » On lui présenta le crucifix, et il le baisa avec une tendre vénération. Il se fit encore apporter la châsse renfermant les reliques du pape saint Marcel, et il implora, avec effusion de larmes, l’intercession de ce glorieux martyr pour conduire son âme au ciel. Il perdit ensuite la parole. Les religieux le transportèrent, vers la fin du jour, dans la chapelle de la Vierge Marie, où ils l’étendirent sur la cendre et le cilice. « Lorsque les derniers rayons du soleil s’éteignirent à l’horizon, nous dit Hildebert, son biographe, s’éteignit aussi ce grand soleil de l’ordre monastique. L’exilé entrait dans la patrie. » Saint Hugues mourut donc le 29 avril 1109 ; il avait quatre-vingt-cinq ans. Digne successeur de saint Odon, saint Mayeul et saint Odilon, il avait continué, agrandi, consolidé leur uvre. On peut dire que sous sa direction, elle était parvenue à son apogée. Lié avec tous les grands personnages qui illustrèrent cette époque, Hugues fut l’ami de saint Uldaric, de saint Pierre Damien, de saint Bruno et d’une foule d’autres saints. Il se vit père de plus de trente mille cénobites qui furent de puissants auxiliaires pour le Saint Siège, dans sa lutte contre la simonie.
La mort de saint Hugues fut révélée à plusieurs saints personnages. Fulgence, abbé d’Affigny, vit les anges porter au ciel deux lits magnifiquement ornés ; et crier d’une voix suave : « En ces lits reposeront bientôt deux illustres prélats, Enselme de Cantorbéry et Hugues de Cluny. »
Une religieuse vit la Reine des cieux, assistée d’un grand nombre de saints, préparer un trône splendide, qu’on lui dit être pour le grand Hugues, abbé de Cluny.