Saint Guillaume Firmat

Fête le 24 avril


Chanoine et soldat

La vie de saint Guillaume Firmat a été écrite par Etienne de Fougères, évêque de Rennes, son contemporain. C’est de son récit, reproduit par l’abbé Darras, que nous tirons cet abrégé.

Guillaume Firmat naquit à Tours, de parents nobles et pieux. Dès qu’il fut en âge d’être appliqué aux études, il y montra tant de rectitude de jugement et de vivacité d’esprit, qu’il faisait l’admiration de ses maîtres. Ces qualités, jointes à une admirable modestie et à une tendre piété, le faisaient citer comme le modèle des jeunes gens.

A peine sorti de l’adolescence, les chanoines de Saint-Venant de Tours demandèrent à inscrire son nom sur la liste de leur collège canonial. Il resta quelque temps parmi eux, puis cédant peut-être à la volonté de sa famille, il dut embrasser la carrière des armes. Mais sous la cuirasse il continua de garder la règle des chanoines. Après avoir suivi quelques années la milice du siècle, libre enfin de suivre son attrait, il revint à la collégiale de Saint-Venant, et reçut l’ordination sacerdotale.

Le trésor du diable. – Guillaume se retire du monde

Parmi les sciences qu’il avait étudiées, il possédait la médecine à un degré éminent. Les cures extraordinaires qu’il opérait lui attiraient l’admiration des hommes, et les malades guéris apportaient souvent à ses pieds des sommes considérables. Guillaume laissa prendre son cœur à l’appât de l’or. Mais Dieu ne permit pas que son serviteur pérît dans cette tentation.

Une nuit, comme il rentrait de chanter matines au chœur avec les chanoines, il aperçut un monstre hideux accroupi sur le coffre où il renfermait son argent : « Qui est là ? » s’écria-t-il. Et une voix terrible répondit : « C’est mon trésor que je garde ; il est à moi et non à toi, c’est le trésor du démon. »

Guillaume comprit. Il traça sur son cœur le signe de la croix, s’agenouilla et passa la nuit à déplorer sa faute.

Trois jours après, il vint trouver sa mère qui habitait avec lui, et lui dit : « Vous savez, ma mère, que la figure de ce monde passe. S’appuyer sur lui, c’est s’appuyer sur un roseau fragile. Faisons donc un échange des biens de la terre pour les biens du ciel, des richesses périssables pour celles de l’éternité. De tous les trésors que la bonté divine m’a départis, choisissez la part qu’il vous conviendra de réserver à votre usage, nous donnerons le reste à Dieu dans la personne des pauvres. Pour moi, je me dispose, si vous y consentez, à embrasser la vie érémitique. »

- Me quittez-vous ainsi, mon fils ? répondit sa mère. Quel appui restera à ma vieillesse ? quelle consolation à ma viduité ? Vous voulez servir le roi du ciel ; moi aussi, je veux le servir. Permettez à celle qui vous a nourri de son lait de vous suivre au désert comme une humble servante. Du reste, faites de vos biens l’usage qu’il vous plaira.

A cette réponse, le fils et la mère versèrent des larmes de joie. Tous les biens furent vendus, et le prix fut distribué aux pauvres. Ensuite tous deux sortirent de Tours et allèrent se fixer dans une solitude, au lieu dit les Sept-Frères. Ils s’y construisirent une cabane et y vécurent ensemble, la mère préparant au fils la nourriture corporelle, et le fils donnant à sa mère l’aliment spirituel de l’âme.

Saint Guillaume Firmat fait un pèlerinage de pénitence à Jérusalem

La sainteté de sa vie et sa réputation si connues dans le pays de Tours lui attiraient de nombreux visiteurs. Son humilité s’en effrayait ; cependant, par amour pour sa mère, il resta dans ce lieu tant qu’elle vécut.

Mais quand la sainte femme se fut endormie dans la paix du Seigneur, il quitta secrètement les Sept-Frères, se dirigea du côté de Laval, et trouva dans la forêt de Coneise une solitude nouvelle. Il y fut bientôt découvert, sans toutefois être reconnu. La vue de ce prêtre ermite, célébrant la messe au fond des bois, les cheveux longs, la barbe touffue, causa un grand émoi aux bûcherons des villages environnants. Les outrages ne lui manquèrent pas, et il s’estimait heureux de les souffrir pour Jésus-Christ.

Il fut sans doute demeuré en ce lieu sans un incident qui fit éclater sa sainteté et lui attira un nouveau concours de peuple. Un soir d’hivers, quelques misérables jeunes gens pénétrèrent jusqu’à la cabane de l’ermite. Ils avaient amené avec eux une malheureuse créature dont ils avaient acheté la complicité. Ils l’envoyèrent tenter le saint homme, tandis qu’eux-mêmes, cachés sous les grands arbres, attendaient l’issue de leur ruse pour faire un scandale. Cette femme vint en pleurant frapper à la porte de l’ermitage. D’une voix entrecoupée de sanglots, elle disait :

« Très saint prêtre, ouvrez-moi, je vous en prie. Je suis une pauvre femme égarée dans les bois. Ne me laissez point exposée à la dent des bêtes sauvages, à la rigueur du froid, à l’horreur de la nuit. » Guillaume ouvrit sans défiance, alluma du feu, et lui donna le seul morceau de pain qui lui restât. Mais il pénétra bientôt les intentions criminelles de l’inconnue. Alors saisissant un tison enflammé, il se l’appliqua sur le bras, et l’y tint si longtemps que le feu, dévorant la chair, atteignit jusqu’à l’os. A la vue de cet acte héroïque du chaste ermite, la malheureuse se prosterna à ses genoux, en poussant des cris de repentir. Les jeunes gens, en entendant ces cris, pénétrèrent dans la cellule. Frappés d’épouvante, ils se jetèrent aussi aux pieds du saint et demandèrent pardon. Ils racontèrent à leur honte et à la gloire du serviteur de Dieu ce qui s’était passé dans la forêt, et bientôt la solitude de l’humble ermite fut envahie par une multitude de pieux fidèles avides de recevoir sa bénédiction.

Guillaume, dont la vie entière se passe à fuir la gloire qui le poursuit toujours, se déroba encore une fois à ces honneurs. Son amour pour la Croix du Sauveur le poussa à entreprendre un pèlerinage à Jérusalem. C’était vers l’an 1094, quelques années avant la première croisade. La Terre-Sainte était encore au pouvoir des infidèles. Le voyage du pèlerin à travers la Syrie et la Palestine fut pénible. Seul au milieu d’un peuple ennemi des chrétiens, sans ressources et sans guide, il souffrit la faim, la soif et la fatigue. Mais Dieu qui avait inspiré son dessein le secourut par des miracles : plusieurs fois il fut nourri par des corbeaux, et des sources d’eau vive jaillirent à ses pieds pour l’empêcher de mourir de soif.

Aux portes de Jérusalem, au moment où il allait atteindre au terme tant désiré, il fut saisi par les mahométans et réduit en esclavage. On le forçait à marcher sur les pieds et sur les mains comme une bête de somme, et à traîner ainsi les plus lourds fardeaux. Ses maîtres barbares le piquaient à coups d’aiguillon pour le faire avancer. La nuit, on le chargeait de fers et on le jetait dans un cachot. Le serviteur de Dieu souffrait tout sans se plaindre, toujours le sourire sur ses lèvres. Sa douceur toucha enfin le cœur des musulmans, qui le rendirent à la liberté. Il put pénétrer dans l’enceinte de Jérusalem, vénérer le Saint Sépulcre et baigner de ses larmes tous les lieux sanctifiés par le sang de l’Homme-Dieu. Il revint ensuite par Rome et l’Italie dans les Gaules.

Guillaume Firmat, élu évêque, se soustrait à cet honneur

Au retour, il passa par une ville de l’Italie, que l’historien ne nomme pas, dont le siège épiscopal était vacant. Tandis qu’il était humblement agenouillé à la porte de l’église, le clergé et le peuple, occupés d’élire un nouvel évêque, par une inspiration du ciel, portèrent sur lui leur suffrage unanime. On le saisit malgré sa résistance, et les évêques de la province le sacrèrent. Mais son clergé voulut ensuite le forcer, selon l'usage de ses prédécesseurs, à recevoir l’investiture des mains du prince laïque du pays. Le saint s’y refusa nettement, et déposa la crosse, l’anneau et les autres insignes de sa dignité, entre les mains des chanoines de son église. Ceux-ci se retirèrent, comptant revenir le lendemain et le trouver plus accommodant. Mais, au milieu de la nuit, le serviteur de Dieu, reprenant son habit de pèlerin, s’échappa sans être aperçu et revint en France.

Le lendemain matin, quand on apprit la subite disparition de l’évêque, il y eut un grand émoi parmi le peuple. Des clercs furent expédiés dans toutes les directions. Ils étaient chargés de l’assurer qu’il ne serait plus question d’investiture. Ils allaient s’informant partout de l’homme de Dieu et racontant le malheur qui avait frappé leur ville. Quelques-uns parcoururent les Gaules ; mais Guillaume échappa à toutes les recherches.

L’ermite de Mantilly

L’évêque fugitif traversa toute la Gaule et, après avoir essayé de plusieurs retraites qui ne lui parurent jamais assez sûres pour son humilité, il se fixa enfin dans la forêt de Mantilly, près de Passais, au diocèse du Mans.

Suivi d’un clerc nommé Aubert et de quelques autres disciples, il se construisit une hutte de branchages, et y vécut dans une abstinence incroyable et dans une prière continuelle. Son lit était une natte étendue par terre et attachée par les quatre coins à des troncs d’arbres. Il plaçait dessus un trépied mobile sur lequel il s’asseyait la nuit pour chanter des psaumes et des hymnes. Quand, vaincu par le sommeil, il s’assoupissait un instant, son siège instable se renversait, et l’entraînait dans sa chute. Réveillé, il reprenait sa prière jusqu’à ce qu’enfin sa lassitude fût telle que sa chute même ne suffît plus à triompher du sommeil. Il prenait alors quelques heures de repos.

La forêt où il s’était réfugié appartenait au comte Grimoard de Landivy. Celui-ci ne tarda pas à découvrir sa retraite. Des miracles obtenus par l’intercession de l’ermite firent éclater sa sainteté. Grimoard et sa femme, Délicata, aimaient à venir rendre visite au serviteur de Dieu, et assistaient à la messe qu’il célébrait chaque jour avec une dévotion admirable. La foule les suivit. Tous les matins, on déposait sur le seuil de l’ermite de l’or, de l’argent et d’autres offrandes ; mais il n’en gardait qu’un peu de pain pour lui et pour ses disciples. Le reste était pour les pauvres. Quelquefois même, il ne se réservait rien du tout et attendait d’un miracle son pain quotidien.

Un charpentier du voisinage, par vénération pour le saint, voulut consolider sa cellule, réclamant pour tout salaire l’honneur de partager pendant quelques jours la vie de ses disciples. Une fois, vers midi, Aubert, qui était constitué économe de la petite communauté, dit à Guillaume : « Veuillez, mon seigneur, pourvoir vous-même à la nourriture du charpentier ; car, ce matin, votre distribution aux pauvres a épuisé toute la provision de pain. – Mon fils, répondit le saint, Dieu prendra soin de nourrir ses serviteurs. » Vers le soir, un jeune homme, envoyé par une pieuse chrétienne des environs, apporta quatre pains frais à l’ermitage. Mais au même instant, un pauvre se présentait demandant l’aumône. Guillaume prit les quatre pains et les lui donna. Aubert, à cette vue, éclata en reproches : « Nous voici à la onzième heure, dit-il ; le charpentier a porté tout le poids du jour et de la chaleur ; il est encore à jeun, et cet étranger s’en va emportant les quatre pains, sans que vous en ayez réservé une miette. Qu’allons-nous faire ? – N’avez-vous pas lu dans l’Evangile, répondit Guillaume : Ne soyez point inquiet, et ne dites point : Que mangerons-nous et que boirons-nous ? Car votre Père céleste sait ce dont vous avez besoin. Dressez la table et appelez le charpentier pour le repas du soir. » Aubert obéit, l’ouvrier se mit à table, mais il n’y avait rien à lui servir. En ce moment, on frappa à la porte, Aubert y courut et vint dire à son maître : « Il y a là un adolescent d’une figure noble, vêtu d’un riche costume, qui porte dans un linge trois pains frais. – Allez recevoir cet adolescent et son offrande, dit Guillaume. Mais quand Aubert revint à la porte, l’adolescent avait disparu, laissant les trois pains sur le seuil. Leur saveur était si suave que le charpentier et les frères ne doutèrent pas que ce fût du pain angélique. Guillaume, qui mangeait toujours seul pour mieux dissimuler ses jeûnes, rompit un peu de ce pain, l’emporta dans sa cellule, et, après une longue action de grâces, il goûta de cet aliment miraculeux.

La femme du comte Grimoard, Délicata, était aussi avare et dure aux pauvres, que son époux était large et généreux. Guillaume quitta un jour son ermitage et se rendit au château de Landivy, pour la ramener à de meilleurs sentiments. Il lui représenta avec beaucoup de force la vanité des richesses qui passent avec le temps, et termina par cette prophétie : « En ce moment, vous méprisez les pauvres. Un jour, vous-même irez chercher le pain de l’aumône pour soutenir votre vieillesse. Mais, réjouissez-vous, ma fille, car, au prix de cette punition temporelle, le Seigneur vous épargnera ses vengeances dans l’éternité. » La comtesse, consternée de cette prédiction, conçut un repentir sincère, et désormais rivalisa de charité avec son mari.

Nouvelle fuite de saint Guillaume Firmat

Le baron Arthur de Champeaux, qui avait la garde de la forêt de Landivy, au nom de Grimoard, et Guillaume d’Espéchel vinrent un jour trouver l’homme de Dieu : « Père saint, lui dirent-ils, permettez-nous, pour l’utilité de vos solitaires et des pèlerins, de faire creuser ici un étang, où l’on pourra entretenir du poisson. – Mon petit ruisseau me suffit, répondit le saint. A quoi bon des travaux semblables pour des hommes qui ne cherchent que la cité future ? »

Cependant on passa outre, et l’on fit commencer les terrassements. Un jour, Aubert travaillait avec les ouvriers ; il crut pouvoir prendre la pioche de l’un d’eux, mais cet homme entra dans une grande colère, le renversa brutalement d’un coup de poing et ressaisit son instrument.

Guillaume fut fort attristé de cet incident. La nuit suivante, il partit seul dans le plus grand secret, et abandonna son ermitage. Il traversa toutes les Gaules, et vint se fixer, près de Yenne, en Savoie, dans un îlot désert formé par le cours du Rhône. Il passa là plusieurs années dans une solitude absolue. Puis il entreprit un nouveau pèlerinage à Jérusalem, alors délivrée des musulmans par l’épée de Godefroy de Bouillon, et revint sur son île.

Cependant, depuis le départ du saint ermite, la contrée de Mantilly était désolée par la guerre et la famine. On attribuait ces fléaux à l’absence de l’homme de Dieu. Les barons Arthur de Champeaux et Guillaume d’Espéchel résolurent de se mettre à sa recherche. Ils voulaient, pour attirer la faveur du ciel, entreprendre la route nu-pieds, mais on les força à prendre des chaussures, afin de pouvoir résister aux fatigues d’un voyage dont ils ne connaissaient pas l’issue. Leur foi fut exaucée.

Dieu dirigea leurs pas vers l’Italie. Arrivés au pied des Alpes, comme ils longeaient le Rhône en récitant leurs prières accoutumées, ils rencontrèrent un pêcheur qui abordait à la rive. Ils eurent la pensée de lui demander s’il ne connaissait pas dans le pays un vénérable ermite nommé Firmat : « Je viens de lui rendre visite, » répondit le pêcheur ; et les prenant dans sa barque, il les conduisit à l’homme de Dieu. Les deux barons tombèrent à ses genoux en fondant en larmes : « Pourquoi, lui dirent-ils, nous avez-vous abandonné, vous le meilleur des pères ? Le peuple que nourrissait votre charité s’est vu, depuis votre départ, en proie à la guerre, à la famine, à l’exil et à la mort. Nous vous en conjurons, venez le consoler par votre présence. Vive Dieu ! nous mourrons de douleur à vos pieds, si vous n’avez pitié de nous. »

A ces mots, Guillaume lui-même ne put retenir ses larmes, il embrassa tendrement ses nobles visiteurs, et leur dit : « Cessez, mes fils, vos lamentations et vos plaintes. La volonté de Dieu a seule déterminé mon départ ; elle permet aujourd’hui mon retour. » Puis il leur marqua l’époque précise où il reviendrait à Mantilly : « Retournez-y vous-mêmes, ajouta-t-il, ensemencez mon petit jardin dans la forêt, et au jour fixé je serai au milieu de vous. »

Histoire d’un rayon de miel. – Pénitence d’un sanglier

La nouvelle du retour prochain de Guillaume ramena la joie parmi le peuple désolé de Mantilly. Au jour dit, il se retrouva dans sa cellule, au milieu de ses disciples, sans que personne l’eût rencontré dans la forêt. – Il sembla qu’il avait rendu la vie à ce bon peuple. Les foules accoururent de nouveau auprès du pontife ermite, qui reprit le cours de ses saintes œuvres.

Délicata, la comtesse de Landivy, avait été réduite à la misère. Son époux Grimoard avait péri durant les guerres, et tous ses biens étaient confisqués ; mais préparée par les exhortations de Guillaume, elle supportait son malheur avec une foi résignée. Elle vint saluer le saint et lui parla de sa misérable situation actuelle et de l’espérance céleste qui la soutenait. Puis elle lui demanda : « Accepteriez-vous comme autrefois, vénérable père, un présent de votre servante, un mets offert de sa main ? – Retournez à votre demeure, répondit Guillaume, et apportez-moi un peu de miel. » Délicata chercha donc quelques rayons de miel ; mais elle ne pouvait en rencontrer. Enfin, un laboureur qu’elle ne connaissait pas vint lui en proposer. Comme elle n’avait point d’argent pour le payer, elle offrit en échange une vache, l’unique bien qui lui restait de sa fortune d’autrefois. Le laboureur accepta avec joie. La comtesse l’offrit à l’homme de Dieu : « Ma fille, lui dit Guillaume, pour vous procurer ce rayon de miel, vous avez vendu la vache qui vous faisait vivre. Que Dieu vous donne en échange les rayons de sa gloire éternelle. » Mais un lépreux étant venu à ce moment lui demander l’aumône, le saint lui donna le miel sans en réserver une seule goutte. Délicata s’en offensa ; mais le saint ermite lui dit : « Ma fille, votre acte de charité a été pour mon âme plus doux que le miel, il l’a nourri surabondamment. Voilà pourquoi j’ai voulu consacré ce miel lui-même à la nourriture du lépreux. » En retournant à sa demeure, Délicata rencontra le laboureur qui lui avait vendu le miel. Touché de repentir, il dit : « J’ai péché en vous prenant cette vache pour un peu de miel. Je vous la rends en vous demandant une part au mérite de l’aumône que vous avez faite. » - Ainsi, ajoute l’historien, le miel avait profité à l’âme de quatre personnes : pour Délicata et le laboureur, il avait été un gage de charité ; pour Firmat, un moyen d’aumône, et pour le lépreux, un aliment presque céleste.

L’homme de Dieu exerçait un empire souverain sur les animaux. Les oiseaux venaient voltiger autour de lui, et se poser sur sa main ; les poissons de l’étang accouraient à sa voix ; il les caressait et leur rendait leur liberté.

Un jour, Aubert accourut tout effrayé lui dire qu’un énorme sanglier ravageait le jardin, et avait déjà bouleversé la plantation de choux. Guillaume vint au sanglier, qui resta immobile à son approche. Il le prit doucement par l’oreille. Le farouche animal se laissa docilement conduire. L’ermite l’amena dans sa cellule, et le menaça de lui imposer un long jeûne s’il dévastait encore les jardins. Il le garda toute la nuit dans sa cellule, et le lendemain matin le mit en liberté, le menaçant de peines plus graves s’il recommençait ses méfaits.

Les jeunes chevreaux, les lapins, les lièvres de la forêt accouraient de même à sa voix. Il les appelait, leur faisait quelques caresses, et en les renvoyant, les frappait légèrement sur le dos, avec défense d’entrer dans l’enceinte cultivée.

Mort de saint Guillaume Firmat

Le saint, arrivé à un âge avancé, sentit que le jour de sa mort approchait. Il se coucha sur sa natte qui lui servait de lit. Le cœur plein d’allégresse, le visage serein, il fit une dernière exhortation aux solitaires, et son âme s’en alla doucement à Dieu. C’était le 24 avril 1143.

La mort du serviteur de Dieu fut un deuil pour toutes les provinces voisines. Les villes de Mortain, de Mayenne et de Domfront se disputèrent les précieuses reliques. Durant les onze jours que dura le débat, le corps du saint demeura sans corruption, exhalant un parfum céleste, exposé à la vénération des fidèles. Enfin, Mortain l’emporta. Saint Guillaume fut enseveli dans l’église de Saint-Evroul, où il aimait aller prier lorsqu’il se rendait à Mortain.