Saint Guillaume d'Aquitaine

Fête le 10 février


Guillaume naquit en Poitou. Son père, duc de Guyenne et comte de Poitiers, voulait avant tout pour héritier un garçon fort et robuste : il se préoccupait fort peu des autres avantages. Son succès dépassa tous ses désirs. Son fils devint un géant ; à chaque repas il mangeait à lui seul plus que huit hommes des plus robustes ; malheureusement ses passions et ses vices l’emportaient encore sur son appétit. Tout en lui était tourné vers la matière. Pour comble de malheur, il hérita de tous les biens et titres de ses parents, au moment où les ardeurs de la jeunesse rendent plus terribles les impétuosités et les violences de la nature.

Maître de son duché, Guillaume ne mit aucun frein à ses déportements il devint bientôt la terreur, non seulement de ses ennemis, mais de ses amis et de ses proches.

La satisfaction de ses caprices et de ses plaisirs, telle était son unique loi. Disputes, batailles, guerres, assassinats, rien ne l’arrêtait, lorsqu’il s’agissait d’assouvir sa colère ou de poursuivre sa vengeance. L’Eglise seule ne redoutera pas ses fureurs ; aussi, Guillaume, ne l’épargna-t’il pas. Le schisme fournira prétexte à ses attaques.

Un parti factieux venait d’élever sur le trône pontifical un anti-pape du nom d’Anaclet, et de chasser de Rome le véritable pape, Innocent II. L’évêque d’Angoulème, ambitieux déçu, prit parti pour Anaclet ; le duc d’Aquitaine l’imita, et lorsque Innocent II, réfugié en France, rassembla un concile à Etampes, deux hommes seuls résistèrent à l’évidence du droit et à l’éloquence de S. Bernard, l’évêque Gérard et le duc Guillaume. Rien ne put vaincre leur opiniâtreté. Il fallut lancer contre eux l’excommunication. La fureur du duc ne connut plus de bornes. Habitué à voir tous les hommes courbés devant ses caprices, il ne pouvait supporter un pareil affront, il fulmina les plus terribles peines contre les amis d’Innocent, dépouilla les églises, chassa les pasteurs et mit de sa propre main l’évêque de Poitiers hors de sa ville épiscopale. S. Bernard député par le Pape, essaya de toucher le cœur de Guillaume. Vains efforts ! L’humble abbé de clairveaux comprit que la prière seule pouvait apprivoiser cette bête féroce, et s’enferma dans un monastère de son ordre établi en Guyenne. Le duc vint enfin le trouver. Le moine crut le jour de la grâce arrivé ; pendant sept heures, il exhorta le prince avec cette éloquence à laquelle rien n’avait résisté jusque-là, il parla de la brièveté de cette vie, des châtiments terribles réservés aux ennemis de Dieu et de son église ; il pria, il supplia, il menaça ; pour tout succès, il reçut l’ordre d’évacuer la province, s’il ne voulait pas subir la peine de mort.

Ce fut sur ces entrefaites que Godefroi, évêques de Chartres, et plusieurs autres prélats remarquables par la doctrine et la sainteté, vinrent, sur l’ordre du pape, se joindre à S. Bernard. Contre toute espérance, la conférence proposée par eux fut acceptée, elle eut lieu à Parthenay, mais on s’aperçut encore que tous les pourparlers étaient inutiles.

Alors, le saint, inspiré de Dieu, convoque les fidèles. Tous entrent dans l’église. Le duc et ses partisans excommuniés restent seuls à la porte, attendant l’issue de la cérémonie.

Après la consécration, S. Bernard prend le corps du Sauveur dans ses mains et sort de l’église, à la stupéfaction générale ; le visage étincelant, l’œil en feu, il va droit au duc et lui crie d’une voix effrayante : « nous t’avons prié, tu as méprisé nos prières ; tous ces serviteurs de Dieu t’ont supplié, tu as dédaigné leurs supplications. Voici maintenant le fils de la Vierge, le Seigneur et le chef de l’église que tu persécutes, voici le Dieu, voici le juge dans les mains duquel tombera ton âme, le respecteras-tu ? ou le traiteras-tu comme tu as traité ses serviteurs ?.»

Surpris, épouvantés, tous les assistants fondent en larmes. Guillaume veut se raidir, ses membres sont saisis d’un tremblement soudain, il tombe et se roule par terre comme un insensé. Ses soldats essaient de le relever, mais il retombe en se tordant sous une étreinte invisible. L’écume qui souille sa barbe, les gémissements, les cris inarticulés qui sortent de sa poitrine rappellent le châtiment du profanateur du temple, l’impie Héliodore. Il reste ainsi cloué au sol jusqu’à ce que le saint, le touchant du pied, lui dit : « lève-toi, avoue tes crimes, réconcilie-toi avec l’évêque que tu as maltraité, mets fin aux discordes qui désolent tes Etats, reconnais le pape Innocent, et, comme l’Eglise obéit, obéis-lui aussi comme à l’élu de Dieu. »

Sous le coup de cette violente émotion, Guillaume ne peut proférer une seule parole, mais il va se jeter en sanglotant dans les bras de l’évêque de Poitiers et donne des gages d’une sincère conversion au milieu des cris et des chants d’allégresse.

La foi avait repris son empire, mais les passions n’avaient pas encore perdu le leur, et nous entendrons bientôt S. Bernard lui écrire dans la douleur de son âme : « Qui vous a donc fasciné, que vous avez si promptement abandonné la voie du salut ? Certes, quelqu’il soit, il portera le poids de la sentence divine. » Menace terrible qui ne devait pas tarder à se réaliser. Bientôt en effet le légat de l’anti-pape se fracassa la tête en tombant de cheval. Anaclet tomba frappé d’apoplexie ; Gérard d’Angoulème fut trouvé mort dans son lit, le corps déjà en pourriture, et tous ses parents furent expulsés par les habitants de la ville, qui voulaient ainsi extirper jusqu’à la racine cette race sacrilège.

Comment résister à ces coups foudroyants de la vengeance divine ? Le duc d’Aquitaine en fut épouvanté ; lui, toujours à la recherche du plaisir, il fuit ses compagnons de débauches ; on le voit errer comme un corps sans âme ; on l’entend s’écrier sans cesse : « N’entrez pas, Seigneur, en jugement avec votre serviteur, car tous les vivants ne pourront se justifier devant vous. » En vain les courtisans inventent-ils de nouveaux plaisirs pour distraire l’attention de leur maître, Guillaume reste tout absorbé dans ses sombres pensées.

Enfin, il éclata en sanglots, et, seul, de grand matin, il s’enfonça dans la forêt pour consulter un pauvre ermite. A sa vue, l’homme de Dieu ferma la porte de sa cabane ; il craignit qu’après avoir persécuté les pasteurs, le tyran voulut aussi poursuivre les solitaires jusque dans leurs déserts. Les cris et les supplications du prince ne faisait qu’augmenter ses craintes. Enfin, il se laissa fléchir ; il reçut le pauvre pécheur, le consola, mais, se trouvant incapable de diriger les âmes, il l’adressa à un ermite plus docte et plus capable que lui.

Celui-ci avait été prévenu d’en haut et venait au devant du pauvre égaré. Il courut à son approche, le pressa sur son cœur, pleura avec lui, versa dans son âme les paroles de la miséricorde divine, puis, après l’avoir embrasé d’amour de Dieu, il lui conseilla de quitter la terre pour le ciel et de renoncer à ses Etats pour suivre Jésus crucifié.

Le loup était changé en agneau ; il accueillit avec docilité les paroles du pasteur et partit, bien résolu de sauver son âme à tout prix. Rentré en son palais, il se hâta de mettre ordre à ses affaires publiques et privées, distribua tous ses trésors, puis, au milieu de la nuit, il s’évada comme un larron et vint au désert demander les ordres de Dieu.

« Vous n’ignorez pas vos forfaits, lui dit l’humble moine avec une grande tendresse ; sans doute Dieu est miséricordieux, il pardonne toujours au repentir, mais il faut que la pénitence soit proportionnée à la grandeur et à la multitude des crimes ; ne trouvez donc pas étrange la pénitence que je vais vous demander. - Pour expier vos sensualités, voici une haire, portez-la sur la chair nue et jeûnez tout le reste de votre vie ; - pour les vols et brigandages de vos soldats, vendez tout ce que vous avez et ne gardez pour vous que la divine providence. - Enfin, que de guerres injustes, que de sang versé pendant votre règne ! placer votre armure sur la haire qui mortifie votre chair, faites la river à votre corps et portez-la sous vos vêtements. - Allez ensuite vous prosterner aux pieds du pape et lui demander pardon. »

Guillaume obéit aussitôt, et, le corps chargé de grosses chaînes comme un grand criminel, il s’achemina en mendiant vers la ville de Reims, où se trouvait alors le successeur d’Innocent, le pape Eugène.

- Qui êtes-vous ? lui dit le pape.

- Je suis l’adultère, répondit-il, l’assassin, le sacrilège, le schismatique ; pour tout dire en un mot, je suis Guillaume, le comte de Poitou.

Comment reconnaître le fier comte sous cet étrange accoutrement ? Le pape le prit pour un imposteur et le repoussa.

Loin de s’irriter, Guillaume s’humilia. Longtemps il avait méprisé les choses et les hommes de Dieu, à son tour de subir les dédains et les mépris. Il se retira en se frappant la poitrine, confessant publiquement ses péchés, criant vers Dieu miséricorde, et suppliant avec tant de larmes les assistants de prier pour lui que tous en étaient attendris jusqu’au fond de l’âme. Cependant le pape ne se laissait point fléchir. Ce n’est qu’après plusieurs jours d’épreuve qu’il consentit à donner au prince un bref pour le patriarche de Jérusalem, avec pleins pouvoir de l’absoudre de toute censure et de tout péché.

Le grand pécheur reçut ce bref avec des transports de joie. Que lui importait la longueur de la pénitence, pourvu qu’il fut réconcilié avec son Dieu et sa mère la sainte Eglise ! Il partit aussitôt pour Jérusalem, et là, prosterné aux pieds du patriarche, il lui fit la confession de toute sa vie et en reçut l’absolution.

Celui-ci avait pour père un ancien domestique de la cour de Guyenne ; il fut touché de compassion à la vue de son suzerain et maître, et mit tout en œuvre pour le retenir en son palais ; mais le seigneur-duc n’avait point abandonné ses Etats en France pour habiter un palais en Terre Sainte ; il alla se réfugier dans un trou de muraille qui ressemblait à la cabane d’un lépreux et y vécut neuf années consécutives, ayant pour toute nourriture du pain noir avec de l’eau, pour vêtement, sa haire et son habit de fer, pour lit la terre nue et pour oreiller un gros caillou. Bientôt les chairs, froissées par cette armure étroitement rivée au corps, tombaient comme en putréfaction et devaient occasionner des douleurs indicibles, mais rien ne paraissait au dehors ; une joie surnaturelle illuminait le visage du saint, même au travers les larmes qu’il versait sans cesse pour laver ses fautes. Pendant la nuit il priait et pendant le jour il ne cessait d’exhorter les pèlerins à la pénitence et à l’humilité.

Cependant, ses officiers le recherchaient de toutes parts. Avertis enfin que leur maître était à Jérusalem, ils vinrent avec le plan bien arrêté de le ramener dans ses Etats, de gré ou de force. Prières, raisonnements, affections, remontrances, ils mirent tout en œuvre pour l’entraîner. Il resta inébranlable. Désespérant de le vaincre par la persuasion, ils résolurent de l’enlever ; mais Guillaume devina leur dessein et s’enfuit.

Après les avoir dépistés, il quitta la Palestine et vint débarquer en Italie près de Lucques.

Le diable l’attendait là. Il fut assez habile pour l’amener en face d’un château-fort, qui depuis de longs mois, résistait à toute une armée. A cette vue, le pèlerin sentit se réveiller en lui tous ses instincts guerriers et ne put résister à la tentation d’examiner les travaux du siège. Indigné de l’inexpérience des assaillants, il s’écria sans même sans apercevoir : « Jamais ils n’en viendront à bout ! et pourtant il me suffirait d’un jour pour forcer cette place. » Cette parole fut entendue et répétée aux chefs de l’armée. Piqués dans leur orgueil, ceux-ci mandent cet étrange personnage ; mais à la vue de cet homme, qui unissait à la stature d’un géant le port d’un roi, ils ne doutent pas qu’ils ont devant eux un fier chevalier et lui jette ce défi : « Puisque tu es si fort, prends le commandement et tiens parole. »

Guillaume accepte : il dépouille ses vêtements de pénitence et reprend avec orgueil l’armure du guerrier ; mais Dieu veille sur lui, et l’humiliation sera à la hauteur de l’infidélité. Le lendemain de grand matin, les soldats sont debout, les chefs attentifs, tout est prêt pour l’assaut ; le nouveau général n’apparaît pas. On le trouve se traînant par terre pour essayer de retrouver ses armes ; il venait d’être frappé de cécité. Le pauvre aveugle devint la risée de tous, mais il comprit la miséricorde de Dieu , et, se prosternant la face contre terre, il confessa publiquement son péché et repartit aussitôt pour Jérusalem, afin d’y expier ses nouvelles fautes.

La mer était alors infestée de pirates. Le fugitif tomba en leurs mains et fut fort maltraité ; il réussit pourtant à s’évader au jour du débarquement, et, après avoir erré quelque temps au milieu des dangers, il reprit de nouveau la mer et se dirigea vers Compostelle en Galice, pour y vénérer les reliques de S. Jacques. Après avoir prié longtemps au tombeau de ce grand patron de la prière, il fit voile de nouveau pour l’Italie et alla s’enfoncer dans la forêt de Livatie, forêt déserte, tout infestée de serpents et de bêtes venimeuses.

Des bêtes plus cruelles vinrent l’y assaillir. On aurait dit que tous les diables l’y avaient suivi pour le tourmenter. Ils prenaient toutes les formes, se présentaient sous tous les déguisements pour le séduire ou l’épouvanter. L’un lui apparaissait comme son père et lui reprochait son oisiveté, tandis que les Etats du Poitou étaient dans la désolation ; un autre rappelait tous les plaisirs du monde et faisait appel à ses instincts pervers ; ceux-ci hennissaient comme des chevaux ; ceux-là rugissaient comme des lions, ou sifflaient comme les serpents ; enfin toutes les hordes déchaînées ébranlaient les plus grands arbres par la violence de leurs assauts ou l’éclat effroyable de leurs hurlements et de leurs cris. Le sol même tremblait ; mais l’athlète du désert, appuyé sur son Dieu, se riait de ces efforts impuissants.

Dans leur rage, ils voulurent au moins se venger. Par la permission de Dieu qui voulait parfaire la vertu de son serviteur, ils se précipitèrent un jour sur la cabane de Guillaume, enfoncèrent la porte, le frappèrent à coups redoublés, le traînèrent à travers les ronces, et, après lui avoir infligé mille supplices, le laissèrent à demi-mort. Pas une plainte n’effleura les lèvres de l’ermite ; il avait les regards fixés vers le ciel et invoquait avec confiance la bienheureuse Vierge Marie, la reine victorieuse des Enfers. La sainte Vierge répondit à son appel. Elle lui apparut plus resplendissante que le soleil et escortée de deux autres saints, toucha doucement ses plaies, les guérit, et, le relevant avec tendresse, elle lui dit : « Courage mon fils, continue ; toutes ces gouttes de sang et de sueur sont recueillies par les anges et se changeront en couronne étincelante au jour du triomphe. »

Tant de vertus ne pouvaient rester ignorées. Le parfum s’en répandit au loin, et un grand nombre d’ermites vinrent se ranger sous la conduite du saint et lui promettre obéissance. Guillaume accueillit leur demande, et bientôt s’élevèrent dans la forêt un vaste monastère et une multitude d’ermitages. L’ordre des Ermites de Saint-Augustin venait de prendre là une nouvelle forme et allait refleurir dans tout l’univers. Les disciples écoutaient avec amour les paroles du maître et marchaient résolument sur ses traces ; c’était à qui inventerait les meilleurs supplices pour mâter la chair ou humilier l’orgueil ; la joie était universelle comme la ferveur, et cet enfer de Livatie était un paradis véritable, où retentissaient jour et nuit la louange et la prière. Mais l’antique serpent était encore là ; vaincu par le maître, il trouva accès auprès de quelques-uns des disciples. Plus Guillaume tonnait contre ces ermites dégénérés, qui, après avoir émerveillés le monde par leurs macérations et leurs jeûnes, marchaient à grands pas vers l’enfer par la voie qui devait les conduire au ciel, plus ces esprits s’indignaient contre les exagérations de leur supérieur. Ils en vinrent enfin à la révolte ouverte, aux moqueries, aux coups et aux tourments les plus odieux. Après avoir épuisé toutes les ressources de la patience et de la vertu, Guillaume dut quitter le monastère qu’il venait de fonder. Il se rendit en Toscane.

Aux environs de Burriane, il rencontra quatre paysannes qui venaient chercher de l’eau dans de petits barils : « Appelez vos compatriotes, leur dit-il, annoncez-leur qu’un étranger à des choses intéressantes à leur apprendre. » Pour preuve de sa mission, il ôta la bomde de leurs barils et leur ordonna de les porter l’ouverture en bas. Pas une goutte d’eau ne tomba par terre. Frappés de ce miracle, appelé dans le pays le miracle des barrillets, les habitants accoururent en foule. L’ermite leur retraça avec véhémence la brièveté de la vie et les supplices réservés aux pécheurs ; et, après avoir obtenu d’eux la promesse de se convertir et de faire pénitence, il leur révéla la vertu de l’agrimoine, qui s’appelle l’herbe de Saint-Guillaume. En échange, les paysans lui indiquèrent dans le voisinage le mont Prunier, où il pourrait vaquer à l’oraison. Après avoir séjourné quelque temps en ce lieu, il chercha une solitude plus profonde sur une montagne appelée Perrette. Le trouble l’attendait encore là. C’étaient les bergers, c’étaient les visiteurs... Il fallut fuir plus loin et descendre vers Castiglione.

En arrivant au village, Guillaume, exténué de fatigue et mourant de faim, fut inspiré d’entrer dans la maison d’un brave paysan nommé Mico, demanda à la femme de Mico de le secourir dans son extrême misère. La pauvre femme ne pouvait pas bouger ; elle était étendue sur son lit, près de rendre le dernier soupir ; mais à la voix de Guillaume, elle sentit la vie circuler dans ses membres, et, se levant aussitôt, elle alla publier par tout le village la sainteté de son hôte. Le noble mendiant, fort attrapé, dut se dérober à l’enthousiasme et alla se cacher dans une vallée obscure appelée l’étable de Rhodes, ou la vallée de Maleval, qui était pour lors infestée de bêtes féroces et dans laquelle personne n’osait s’exposer.

Au lieu de se débarrasser de cet hôte importun, les bêtes féroces reconnurent leur maître, vinrent le caresser et se mettre humblement à son service.

C’est en cette étrange compagnie que le vieux duc d’Aquitaine poursuivit ses prières et ses pénitences, vivant des légumes qu’il cultivait de ses mains. Le jour ne tarda pas à venir, où, exténué de vieillesse, de fatigues, de jeûnes, d’austérités, il lui devint impossible de suffire à sa subsistance. Dieu eut pitié de son serviteur et lui envoya pour disciple Albert, son ancien secrétaire et confident. Guillaume enseignait la vertu au disciple ; Albert allait chercher chez le reconnaissant Mico la nourriture du maître. Le soir, maître et disciple se mettaient en prières et poursuivaient leur oraison bien avant dans la nuit ; les grâces les plus extraordinaires venaient récompenser leur fidélité. Un soir, la lampe se renversa et l’huile se répandit par terre. Sans se troubler aucunement, Guillaume poursuivit son oraison, la lampe se releva d’elle-même, l’huile se retrouva en son lieu et la lumière s’empressa de venir éclairer les deux ermites.

Les miracles manifestaient sans cesse que le serviteur avait trouvé grâce devant son maître, et que la pénitence avait effacé toutes ses fautes. L’heure de la récompense sonna. Cette heure fut révélée au pauvre ermite qui rentra dans des transports de joie et de reconnaissance. Il reçut le viatique avec le plus ardent amour, et comme son pauvre frère éclatait en sanglots, il lui révéla, pour le consoler, que Dieu lui destinait un religieux et fidèle compagnon. Ce compagnon entra pendant que le malade parlait encore ; c’était Reinald, un sage et riche homme de bien, qui venait promettre de renoncer au monde et de vivre en ce désert jusqu’à la fin de ses jours.

En présence de ses deux frères en larmes, le 10 février de l’an 1166, le grand serviteur de Dieu, le très haut et très puissant seigneur Guillaume, levant les bras au ciel, remercia son Sauveur et Maître des grâces dont il avait daigné le combler, et, fermant les yeux à la lumière d’ici-bas, il les ouvrit à la lumière du ciel.

Son corps fut enterré dans le petit jardin qu’il cultivait de ses mains, et l’éclat de ses miracles attira bientôt, dans cette vallée de Maleval, désormais la vallée de Saint-Guillaume, les multitudes avides d’imiter ses vertus ou de recourir à son intercession.