Saint Grégoire de Tours

Fête le 17 novembre


Premières années et études de saint Grégoire

Le 30 novembre 539, en la fête de saint André, Georgius, Florentius Grégoire, commençait en Auvergne le cours de sa vie mortelle. Sa famille, illustre déjà par sa noblesse et par ses richesses, l’était encore plus par sa sainteté. Grégoire était neveu de saint Gal de Clermont, arrière petit-fils de saint Grégoire de Langres, petit neveu de saint Nicetus de Lyon, et comptait parmi ses ancêtres saint Vettius Epagathus qui subit le martyre avec sainte Blandine et saint Pothin. Ainsi, écrit saint Odon de Cluny, rose plus gracieuse que sa tige, Grégoire devait un jour renvoyer sur ses ancêtres son propre éclat augmenté de la noblesse qu’ils lui avaient transmise.

Ce fils des saints commença vers l’âge de huit ans ses études, sous la direction de son oncle S. Nicetus. Ses premières lectures furent les livres de Josué et de Tobie. Cet attrait pour la littérature sacrée fut développé d’abord par saint Gal de Clermont et, plus tard, par saint Avit son successeur. Descendant d’une race de saints, disciple de saints, nourri par l’étude des livres sacrés, Grégoire ne pouvait qu’avancer vers la sainteté. Grâce aux maîtres de mon adolescence, dit-il, et au goût qu’ils m’inspirèrent pour les études chrétiennes, j’eus l’insigne bonheur de connaître la Rédemption du monde par Notre-Seigneur Jésus-Christ et les grâces ineffables réservées à ceux qui suivent l’époux en portant sa croix. « Ainsi fidèle aux premières inspirations de son enfance, Grégoire de Tours ne concevait pas qu’un disciple de Jésus-Christ pût s’attarder dans les sentiers de la mythologie et préférer les fables des auteurs païens aux merveilleux récits de l’hagiographie. La merveille des merveilles, dit-il, n’est-elle pas pour nous la prédication évangélique qui se continue par les miracles des saints ?

Il guérit miraculeusement son père

Bien jeune encore, Grégoire donna des signes de sa future sainteté. Une première fois il guérit son père d’une grave maladie en plaçant sous son chevet une tablette où était écrit le nom de Jésus. Peu de temps après la maladie revint jeter le trouble dans la famille. Une nuit, un ange apparut au fils de Florentius : - As-tu le livre de Tobie ? lui demanda-t-il. – Non, répond Grégoire, pas encore. – Alors lis-le et tu verras comment le jeune Tobie guérit son père ; suis son exemple et le tien sera sauvé. A son réveil l’enfant suit le conseil céleste, prend du fiel de poisson et son père recouvre la santé.

Grégoire est guéri plusieurs fois par des pèlerinages

Dans sa jeunesse, Grégoire fut atteint par la maladie. On recourut pour le sauver aux grands remèdes de cette époque de foi. C’était auprès des tombeaux des martyrs et des confesseurs qu’on allait demander une guérison que la science humaine ne pouvait procurer. Grégoire se fit porter au tombeau de saint Allyre. Il avait confiance. Il se soumet à la volonté divine, et, dans un élan d’amour, il promet à Dieu d’entrer à son service si sa prière est exaucée. Dieu lui rend la santé, et Grégoire, fidèle à son vœu se présente à saint Avitus qui l’admet au nombre de ses clercs en lui donnant la tonsure. Une autre fois le jeune Arverne vit encore ses jours en danger : « J’étais presque à l’agonie, dit-il, lorsque j’invoquai le bienheureux Martin, son nom sortit avec une prière de mes lèvres mourantes ». L’amélioration se fait sentir et Grégoire demande à être porter à Tours, au tombeau du protecteur des Gaules. Ses parents, ses amis, veulent le dissuader d’un projet qui paraît insensé, mais ne pouvant triompher de sa résistance, ils veulent du moins l’accompagner. Dieu qui voulait éprouver la foi du malade, et la rapprocher par une guérison plus éclatante du but prédestiné de sa vie, permit que pendant le trajet, Grégoire fût réduit à la dernière extrémité. Ses amis veulent retourner.

Si Dieu vous appelle à lui, disent-ils, vous aurez la consolation de mourir sous le toit paternel ; si vous guérissez, vous aurez le loisir de faire votre pèlerinage plus tard ; de toutes façons nous ne pouvons vous laisser mourir dans ce désert ». Ces paroles, dit saint Grégoire, me perçaient le cœur, je fondis en larmes, et je leur dis : « Je vous adjure, par le Dieu Tout-Puissant et par son jugement, de consentir à ce que je vous demande. Si je mérite de voir la basilique du bienheureux Martin, je rends grâce à Dieu ; si non portez-y mon cadavre pour l’y ensevelir ». Il fallut se laisser fléchir, et Dieu récompensa la foi de Grégoire en lui accordant une guérison complète. Un de ses clercs nommé Armentarius, très versé dans l’Ecriture-Sainte l’avait accompagné. Une maladie l’avait réduit à un état d’idiotisme presque complet. Un matin, Grégoire appelle un de ses domestiques. Armentarius se présente : « Seigneur, dit-il, je préparerai tout, vous n’avez qu’à ordonner ». Grégoire étonné demande des explications. « Ce que je sais, répond le jeune clerc, c’est que je me porte très bien, mais ce que je ne sais pas très bien, c’est comment et d’où je suis venu ici ». En effet une double guérison avait eu lieu, et, depuis, saint Martin n’eut pas d’apôtre plus fervent que Grégoire. Plus tard, lorsqu’il aura pris rang parmi les pontifes, il dira au médecin qui désespère de sa guérison : « Vous avez épuisé tous les secrets de votre art, mais j’ai un excellent remède dont je veux vous donner la recette : allez prendre de la poussière du tombeau de mon Seigneur saint Martin, et faites m’en une potion ». C’est par de semblables moyens que Grégoire triomphait de la maladie et recouvrait assez de forces pour combattre encore longtemps le bon combat.

Il est nommé évêque de Tours

Le siège de Tours était alors occupé par le bienheureux Euphrone. Chargé d’ans et de mérites, le saint pontife s’endormit dans le Seigneur. Lorsqu’il fallut lui choisir un successeur, le nom de Grégoire sortit de toutes les bouches. Une députation fut envoyée à Metz, à la cour du roi Sigebert où Grégoire se trouvait alors. Son humilité repoussa le fardeau qu’on voulut lui imposer, mais la volonté de Dieu était manifeste, il fallut consentir. Quelques jours après, Œgidius, successeur de saint Remy, lui conférait l’onction épiscopale.

L’entrée du nouvel évêque dans sa ville fut un triomphe. Saint Fortunat, que les Gaules et l’Italie appelaient le prêtre de Poitiers, le Virgile chrétien, écrivait aux habitants de Tours : « Applaudissez, peuples heureux, qui possédez enfin le nouvel objet de vos désirs. Votre pontife est arrivé. Il se nomme Grégoire, nom prédestiné qui signifie bon pasteur. Désormais les agneaux du Christ seront à l’abri de l’invasion ennemie, il les gouvernera dans la joie du Seigneur sous l’autorité des clefs de Pierre. Une auréole de lumière entoure son front, c’est un rayonnement nouveau émané des sphères supérieures où brillent l’héroïque Athanase, l’illustre Hilaire, la riche pauvreté de Martin, la douceur d’Ambroise, la resplendissante figure d’Augustin ».

Au moment où Grégoire prenait la houlette de saint Martin, la Gaule était déchirée par les rivalités des descendants de Clovis. Alors l’évêque était non seulement le père spirituel de son diocèse, mais le défenseur né de son troupeau, son protecteur le plus puissant même dans l’ordre civil. Alors comme aujourd’hui, les grands voulaient dominer les évêques et, en la personne des évêques, c’était l’Eglise qu’ils voulaient abaisser, soit en contestant ses droits, soit en voulant la faire entrer dans leurs voies coupables. Grégoire est évêque, il sera donc le pasteur et le défenseur de son peuple ; malgré tout il saura maintenir les droits de l’Eglise et faire entendre aux rois des paroles de justice et d’équité. Aussi la conduite de tels pasteurs a-t-elle fait dire que la France avait été formée par ses évêques.

En 575 Chilpéric s’étant emparé de la Touraine demande à l’évêque de lui livrer le duc Boson qui s’était réfugié dans l’église de Saint-Martin jouissant du droit d’asile. Grégoire résiste aux menaces et a recours à ses armes habituelles, à la prière. Dieu pour l’encourager guérit sur-le-champ une femme infirme depuis douze ans. Les ministres du roi insistent et l’évêque leur répond que saint Martin saura bien défendre sa basilique. On voulut passer outre, mais la prédiction de l’homme de Dieu se vérifia, l’envoyé de Chilpéric succomba bientôt à une maladie soudaine. Ainsi la vertu de saint Martin et l’énergie des évêques forçaient les rois francs à respecter la justice et l’humanité au milieu de leurs guerres civiles.

Saint Grégoire et saint Prétextat

Ce fut surtout au comité réuni pour juger saint Prétextat que Grégoire montra qu’il était évêque. Chilpéric et Frédégonde avaient tout mis en œuvre pour faire condamner et déposer le prélat. On avait trouvé de faux témoins et même des évêques courtisans avaient promis leurs voix. Seul Grégoire se montra juste et indépendant : « Souvenez-vous, seigneurs et frères dans le sacerdoce, dit-il, souvenez-vous des paroles du prophète : si le guetteur voyant venir l’ennemi ne sonne point la trompette, il répondra de l’âme des victimes. Ne restez pas muets, parlez haut, mettez devant les yeux du roi son injustice de peur qu’il n’arrive quelque catastrophe dont vous seriez responsable. » Deux évêques ambitieux rapportèrent au roi les paroles de l’évêque de Tours qui fut aussitôt mandé devant Chilpéric. Les promesses et les menaces ne purent rien sur l’indépendance du saint, et il parvint même à ramener pour un moment le roi dans les voies de la justice. La nuit suivante on viendra lui offrir honneurs et richesses s’il veut, avec les autres évêques, parler en faveur du roi contre l’évêque de Rouen : « Je ferai ce que le seigneur me commande, répondra-t-il, et je parlerai conformément aux saints canons. »

Cependant l’injustice triompha, Prétextat fut relégué en exil. Peu de temps après il fut rappelé dans sa ville épiscopale, mais ce fut pour y tomber martyr sous les coups des meurtriers armés par Frédégonde. Après cette triste séance, Grégoire quittait le palais royal pour retourner en sa province. Son compagnon de route, saint Salvius d’Albi, l’arrête et lui montrant la demeure du roi : « Ne voyez-vous rien sur le palais, lui demande-t-il. J’y vois, dit Grégoire, le nouveau belvédère que Chilpéric y a fait construire. Moi, continua Salvius, j’y vois le glaive du Seigneur prêt à frapper cette maison. » Terrible menace qui devait bientôt s’accomplir.

Lorsqu’il monta sur le siège de Poitiers, saint Hilaire voulant donner à son troupeau la ligne de conduite, avait dit : Je suis évêque. Grégoire s’inspirant de la conduite du grand docteur, avait dit, lui aussi « Je suis évêque. » Pour sauvegarder les droits de la justice, pour conserver à l’Eglise sa liberté, il avait résisté à Chilpéric et à Frédégonde. Son langage apostolique lui avait attiré la colère de la reine qui avait dès lors juré sa perte.

Une odieuse calomnie fut portée contre lui et un concile fut convoqué pour juger l’évêque de Tours. De faux amis envoyés par Frédégonde, lui conseillèrent de fuir en emportant ce qu’il avait de plus précieux. Mais le saint découvrit l’artifice, et loin d’y succomber il fut un des premiers à se rendre au concile. Son innocence fut prouvée et il rentra dans les bonnes grâces de Chilpéric. Il n’usa de cette faveur que pour demander la grâce du clerc qui l’avait calomnié.

Saint Grégoire avait pour ami saint Fortunat de Poitiers qui a chanté sa consécration et son entrée dans la ville de Tours ; la vie de notre saint se trouve mêlée à celle de sainte Radegonde, et c’est à sa plume que nous devons le récit de ses funérailles.

Sa dévotion aux saints

Saint Grégoire avait une grande dévotion aux saints et il portait toujours suspendues à son cou des reliques de Notre-Dame et de son seigneur saint Martin. Ce culte des saints lui avait été transmis par sa famille. C’est par leur protection que son père arraché à sa patrie pour suivre le roi Théodebert, comme otage, avait échappé aux dangers des éléments et des hommes de guerre.

Grégoire n’était encore que diacre lorsque le ciel se servit de lui pour faire rendre plus d’honneur aux saints. Un de ses concitoyens gardait avec beaucoup de négligence quelques parcelles du tombeau de saint Martin. Il tomba dangereusement malade, et une nuit, un personnage au visage terrible lui apparut : « Si tu veux guérir, dit-il, porte au diacre Grégoire les reliques que tu gardes avec tant de négligence. »

Allant un jour de Bourgogne en Auvergne, le diacre devenu évêque fut surpris par une épouvantable tempête. Prenant alors ses reliques, il les présenta à la nuée qui venait de fondre sur lui et aussitôt la sérénité de l’atmosphère se rétablit. A ce prodige Grégoire eut une pensée de vaine gloire, mais son cheval trébucha et le saint ayant reconnu à ce signe une punition divine, en demanda aussitôt pardon à Dieu.

Il avait donc une confiance sans borne en saint Martin. Le démon fit tous ses efforts pour le détourner de cette dévotion. C’était le jour de Noël ; Grégoire avec son clergé se rendait à la Basilique du bienheureux confesseur pour y célébrer les saints mystères. Un possédé furieux se jette au-devant de la procession : « C’est en vain, dit-il, que vous implorez le secours de Martin, il vous a abandonnés à cause de vos péchés. Ce n’est plus à Tours c’est à Rome qu’il fait des miracles. » Ces paroles jettent les assistants dans la douleur et tous vont prier avec larmes devant le tombeau de leur apôtre et protecteur. Dieu par un miracle découvrit les impostures de l’esprit de mensonge. Un malade paralysé depuis trois ans, s’étant approché du tombeau du saint, recouvra tout à coup l’usage de ses membres. Aussitôt le peuple fait retentir les actions de grâces : « Chassez la crainte de vos cœurs, dit l’évêque, le bienheureux confesseur habite encore parmi nous. N’ajoutez pas foi aux paroles du démon, il est menteur dès le commencement et la vérité n’habite pas en lui. »

Dieu témoignait par des prodiges, combien les honneurs rendus par Grégoire aux reliques des saints lui étaient agréables. L’évêque allait consacrer un oratoire. Les prêtres et les clercs revêtus d’ornements sacrés portaient les reliques de saint Saturnin et de saint Martin. Tout à coup une lumière surnaturelle resplendit. Les assistants éblouis tombèrent la face contre terre. Grégoire les releva : « Rappelez-vous, leur dit-il, qu’un globe de feu s’échappa du chef de notre bienheureux protecteur. Le prodige qui vient de s’accomplir nous montre que nos saints sont toujours avec nous. Gloire à Dieu, béni soit celui qui vient en son nom, le Seigneur notre Dieu nous a illuminés. »

Au don des miracles, il joignait celui de discerner les esprits. Son humilité était telle qu’il se jugeait indigne d’écrire les prodiges de saint Martin, et il fallut qu’un ordre du ciel lui enjoignit de les rédiger sous peine d’encourir l’indignation divine.

Grégoire à Rome

Vers les dernières années de sa vie, Grégoire vint visiter le pontife romain. Il priait humblement prosterné devant le tombeau des bienheureux Apôtres Pierre et Paul quand un homme de haute stature, à la physionomie noble et douce, s’approcha de lui et le considéra attentivement. C’était saint Grégoire le Grand. – Prévenu de l’arrivée de l’évêque de Tours, il regardait cet homme dont la vertu et l’éloquence célébrées par Fortunat étaient connues de toute l’Italie. Le contraste d’une taille si exiguë (celle du saint était en effet petite) avec tant d’éminentes qualités lui vint à l’esprit et il admirait les secrètes dispositions de la Providence qui choisit parfois les plus humbles instruments pour opérer les plus grandes choses. Cependant l’évêque de Tours se relève et regardant le Souverain Pontife d’un air inspiré : « Nous ne nous sommes pas créés, dit-il, et le Dieu qui nous a faits est le même dans les grands que dans les petits. » Cette réponse émut et ravit le pape qui redouble de soins pour son hôte, et lui offrit à son départ une chaire pour son église de Tours.

Sa mort

Un si grand et si laborieux pontificat dura vingt et un ans et le 19 novembre 594, en l’octave de saint Martin, Grégoire de Tours alla jouir de la récompense éternelle. Il avait demandé à être enterré en un lieu où tout le monde pût passer sur sa tombe. Mais son clergé n’y voulut pas consentir et mit son corps à côté de celui de saint Martin pendant que son âme partageait la même gloire dans le ciel.

Ses écrits

Saint Grégoire de Tours ne fut pas seulement un grand saint, un grand évêque, mais encore l’historien de la nation des Francs ; aussi mérita-t-il d’être appelé le père de notre histoire. Ses écrits commencent par une profession de foi au dogme de la Très-Sainte-Trinité. On y trouve l’histoire civile mêlée avec l’histoire de l’Eglise ; il raconte les combats des rois contre les nations ennemies, ceux des martyrs contre les persécuteurs, et enfin ceux de l’Eglise contre les hérétiques.