Saint Edouard

Fête le 13 octobre


Les rois de la race anglo-saxonne s’étaient succédés en paix depuis près de deux siècles sur le trône de la Grande-Bretagne, quand, en la fête de Saint-Brice (1002), Ethelrède II pour se défaire des Danois qui menaçaient peu à peu d’envahir son royaume, les attira à des festins, et les fit tous égorger. Suénon 1er, roi de Danemark, vengea la mort de ses sujets par la conquête de l’Angleterre : mais il mourut bientôt, et Ethelrède reprit le sceptre et la couronne.

A sa mort, Edmon II, son fils aîné, hérita du trône et résista avec vigueur aux envahissements du roi de Danemark, le vainquit en deux rencontres ; mais victime de la perfidie d’Edric, duc de Mercie, il dût céder enfin le royaume à son rival, et périt assassiné un mois après (1016).

Pendant ces troubles, la reine Emma, seconde femme d’Ethelrède, s’était retirée avec ses deux fils, Edouard et Alfred, chez son frère, Richard II, duc de Normandie.

Dans cet exil, Edouard verra s’écouler trente-cinq années de sa vie, donnant à tous les exemples de ses vertus. Nous avons peu de détails sur cette période de la vie du prince. Doué d’un caractère doux, ami de la solitude, il passait de longues heures dans les églises, assistait aux offices divins, et conversait familièrement avec les religieux.

L’Angleterre gémissait sous le joug des Danois, suppliait le ciel de lui rendre la paix et son prince légitime. Un saint évêque de ce pays priait avec larmes Notre-Seigneur de retirer sa main vengeresse et de jeter les yeux de sa miséricorde sur ce royaume désolé. Succombant à la fatigue de ses longues prières, il s’endormit, et vit en songe l’apôtre saint Pierre, devant lequel se tenait Edouard, couvert du manteau royal, et le visage radieux. Le prince des apôtres l’ayant sacré roi, lui donnait de belles instructions, entre autres celle d’être chaste, et lui promettait son appui.

Le saint, émerveillé de cette vision, demande au glorieux apôtre ce qu’elle signifie. Saint Pierre, se retournant doucement vers l’évêque, lui dit : « Les royaumes sont de Dieu ; il donne les royaumes à qui il lui plaît, change les empires et permet que l’impie triomphe. L’Angleterre a grièvement offensé Dieu ; c’est pourquoi le Seigneur l’a livrée entre les mains de ses ennemis ; toutefois le châtiment apaisera sa justice. Dieu a choisi un homme selon son cœur ; il sera roi par ma faveur ; il sera chéri de Dieu, agréable aux hommes, terrible à ses ennemis, aimable à ses sujets, très utile à l’Eglise de Dieu et finira saintement sa vie. » Le saint évêque, consolé, attendit l’heure de la Providence.

Les événements alors n’étaient pourtant pas de nature à permettre de sitôt la réalisation de ces belles espérances. Les Danois continuaient à ruiner l’Angleterre avec toutes sortes de cruautés et d’impiétés ; ils abattaient les églises, brûlaient les monastères, tuaient les prêtres, sans épargner choses sacrées ou profanes.

Ces pirates, vomis par l’enfer, avaient déjà mis à mort Edmond ; ils massacrèrent encore, à l’instigation de Godwin, le jeune frère d’Edouard, Alfred, qui, rappelé par les Anglais venait de repasser en Angleterre. Ce n’était que meurtre et brigandage ; le vieux royaume des Angles s’abîmait dans le crime.

En présence de maux aussi lamentables, l’âme du prince était accablée de tristesse, et, sous l’étreinte de la douleur, Edouard gémissait : il eût voulu délivrer son peuple ; mais ici-bas quels secours à attendre ? Il s’adressa donc au ciel : « Seigneur, disait-il, humblement prosterné, voyez mes larmes et prenez pitié du royaume anglais ; arrachez-le des mains des Danois, ennemis de votre saint nom. Leurs mains se sont déjà rougies dans le sang de mes deux frères, et ils veulent encore attenter à mes jours. Si vous avez résolu de prendre ma vie pour le salut de mon peuple, je vous l’offre joyeusement. Mais s’il vous plaît, ô mon Dieu, de me rendre le royaume de mes pères, je vous consacre ce royaume, je prends saint Pierre pour patron spécial, je fais vœu de rester vierge et d’aller à Rome me prosterner aux tombeaux des glorieux apôtres. »

Les vœux des Anglais fidèles étaient aussi montés ardents vers le ciel pour le retour d’Edouard. Ce jour heureux parut enfin. Voici en quelles circonstances eut lieu cette restauration d’Edouard, œuvre nationale, accomplie en haine de la tyrannie danoise. Un pâtre des forêts de Warwick, Godwin s’était attiré la bienveillance de Canut le Grand pour avoir sauvé la vie à un chef danois égaré dans les montagnes après une victoire d’Edmond Côte-de-Fer. Le pâtre devint soldat, se signala en maints combats, et obtint, avec le titre de comte, le gouvernement d’une province. Son ambition dès lors ne connaît plus de bornes, et le meurtre comme la félonie lui semblent de bons moyens, s’ils peuvent le seconder dans ses desseins. Il avait fait poignarder Edmond II et le jeune Alfred ; se retournant contre ceux qu’il avait flattés, aidé de son fils Harold, il soulève, à la mort de Canut III, le peuple contre les Danois et le chasse de l’île. A ce moment la couronne brille à ses yeux : encore un pas et il est roi ; mais il se souvient de son ancienne condition. Du reste, les Anglais redemandent avec instance Edouard, leur vrai prince. L’intrigant ministre, s’il ne peut être roi lui-même, sera au moins beau-père du roi. En effet, Godwin avait une fille, Editha, dont la piété, la douceur et la modestie contrastaient avec les mœurs farouches et la cruauté de son père. Edouard épousera Editha : c’est elle qui lui ouvrira les portes du royaume. Le mariage est conclu et solennellement célébré en l’église de Winchester (1042). La tyrannie danoise est terminée.

A peine rétabli sur le trône, il s’appliqua à développer dans son âme les vertus du prince chrétien et à procurer à ses sujets la paix et la prospérité. Sans être politique ni guerrier d’inclination, la prudence et la force évangélique lui suffiront pour rendre ses armes respectables à ses ennemis : il repoussera les Ecossais, et les rebelles qui se soulèveront dans le sein du royaume seront contraints de rentrer sous son autorité.

Dans ces opérations, du reste, le ciel lui-même l’assistait visiblement et combattait pour lui. Ainsi les Danois, chassés de l’île, n’avaient pas perdu l’espoir d’y rentrer en vainqueurs. Dans ce but, le roi de Danemark assembla une grande armée, mais, sur le point de s’embarquer, il tomba dans la mer en passant de l’esquif en son navire et se noya. S. Edouard, entendant la messe le jour de la Pentecôte, eut révélation de ce fait et se réjouit, en souriant, de la protection de Dieu sur son royaume. Ceux de sa cour, étonnés, demandèrent au roi la cause d’une joie si extraordinaire ; il leur dit en simplicité ce qu’il avait vu, et le fait justifia sa parole.

Près du roi se tenait un autre ennemi, Godwin, véritable serpent nourri dans le palais. Cet ancien pâtre prétendait dominer le prince, et si Edouard portait le titre de roi, pour lui, il voulait en exercer l’autorité. Il essaya donc, mais vainement, de soulever les Anglais et de les armer contre le roi : la vertu d’Edouard lui avait conquis tous les cœurs. Le comte dut s’enfuir du royaume avec sa poignée de rebelles. Mais bientôt, par l’entremise de la reine Edouard octroya au coupable un généreux pardon.

Tant de crimes, cependant, ne pouvaient demeurer impunis ; Dieu lui-même prit le soin de venger les innocents. Le jour de Pâques (1053), quelques mois après être rentré en grâce avec Edouard, Godwin était assis au banquet royal.

Le page qui présentait à boire au prince fit un faux pas et trébucha : il serait fatalement tombé avec l’aiguière, s’il ne se fût rejeté vivement sur l’autre pied : « C’est le frère qui est venu au secours du frère », dit en riant Godwin. A ces mots, le roi prit un visage sévère et dit : « Sans doute le frère a besoin du frère ; et plût à Dieu que le mien vécût encore, il me prêterait son appui ! » Il était aisé de remarquer dans ces paroles une allusion au meurtre d’Alfred, dont Edouard avait feint jusqu’ici d’ignorer l’auteur. Le comte ne s’y mépris pas et pour écarter de lui tout soupçon. « Fasse le ciel, ô prince, s’écria-t-il, que je ne puisse avaler ce morceau de pain, si j’ai trempé en quoi que ce soit dans la mort de votre frère ! » Le comte porta le morceau de pain à sa bouche ; mais il ne put l’avaler, et en fut suffoqué.

Ainsi délivré d’un ennemi domestique, plus redoutable que ceux du dehors, Edouard mit ses soins à procurer à son peuple le bonheur de la paix. Un impôt du Danegeld (taxe de Danois) avait été établi vers la fin du dixième siècle, soit pour éloigner à prix d’argent les pirates danois, soit pour solder les troupes destinées à le repousser ; et il avait été conservé comme branche du revenu royal. Edouard le supprima. Il fit aussi un recueil des meilleurs lois portées par ces prédécesseurs, principalement de celles qui étaient les plus favorables à l’ordre commun des sujets d’où leur nom de Lois communes ; il leur donna une nouvelle consécration, et ces lois sont restées comme la base de la constitution anglaise.

La paix ainsi rétablie et assurée, Edouard, voulut enfin accomplir le vœu qu’il avait fait en des jours mauvais, d’aller à Rome, vénérer les reliques du prince des apôtres, son glorieux patron. En prince sage, il assemble son conseil, tous les prélats du royaume, et leur fait part de sa résolution. « Je l’ai promis, dit-il, j’irai ! » A cette proposition, tous grands, nobles et prêtres assemblés de s’écrier d’une voix : « Il ne se peut, prince ; après de longues souffrances, l’Angleterre commence à respirer sous votre autorité bien-aimée ; l’abandonner serait la rejeter au sein des discordes, ouvrir de nouveau la porte aux brigandages des Danois toujours prêts à l’envahir. »

Et ils suppliaient le roi de ne pas les abandonner. Touché de leurs instances, et confus de repousser la prière de ses fidèles, lié, d’un autre côté, par son vœu, Edouard prend le parti de s’en rapporter à la décision du pape, alors Léon IX. Les députés chargés de cette négociation arrivèrent à Rome pour le concile de l’an 1051. Le pape leur remit, en séance solennelle, une lettre adressée au roi par laquelle il le déliait de son vœu.

Joyeux de savoir par l’oracle le plus autorisé quelle marche il avait à suivre, Edouard accomplit de point en point les prescriptions du pape. L’apôtre saint Pierre lui fit connaître lui-même le lieu qu’il avait choisi. C’était celui où le roi Sébert, avait fait bâtir une église en l’honneur de saint Pierre, et que l’apôtre avait consacré par des miracles éclatants. Edouard éleva donc là une superbe basilique, avec un monastère de religieux bénédictins, amplifiant celui qui y était auparavant, l’enrichit de dons magnifiques et de nombreux privilèges.

Sa charité lui rendait facile le sacrifice que le pape lui demandait.

Le roi vit un jour un de ses gens, prendre de l’argent dans ses coffres et l’emporter ; il ne dit rien : une seconde fois il s’aperçut et dissimula encore. Cet honnête voleur, enhardi par la pensée que personne ne le voyait, revint pour la troisième fois puiser dans les coffres du roi qui lui dit alors : « Prenez garde qu’on ne vous y surprenne ! » le trésorier affligé de ce larcin, s’en plaignait au prince ; Edouard, comme s’il n’en eût rien su, lui répondit : « De quoi vous mettez-vous en peine : sans doute, celui qui l’a pris en avait plus besoin que nous ! »

Un autre jour, un Pèlerin demandait au roi l’aumône au nom de saint Jean l’Evangéliste. Comme après saint Pierre, Edouard avait pris saint Jean pour patron, il ne savait rien refuser à qui l’implorait au nom de l’apôtre bien-aimé. Mais hélas ! l’aumônier du roi était absent ! Alors, de crainte de faire trop attendre ce pauvre, Edouard, retire de sa main un riche anneau et le lui donne.

Du haut du ciel, le Seigneur contemplait les vertus de son serviteur, et comme elles lui étaient agréables, il se plut à faire éclater aux yeux des hommes la sainteté du prince. Un pauvre Irlandais, tout contourné crochu, mal fait, se présenta un jour au palais et dit au roi qu’ayant prié six fois saint Pierre, visité son église et demandé sa guérison, le grand apôtre lui avait répondu qu’il voulait avoir pour compagnon de ce miracle, le roi Edouard son ami ; en conséquence qu’il le portât depuis son palais jusqu'à l’église. Le roi chargea ce pauvre sur ses épaules et le porta en grande humilité et allégresse, malgré les ris et moqueries de plusieurs. A l’église, il offrit son fardeau au bienheureux apôtre Pierre, et aussitôt l’infirme fut guéri.

Cependant une vie si sainte allait être bientôt couronnée. Deux anglais se rendant en pèlerinage aux Lieux saints se fourvoyèrent dans une nuit sombre. Un vénérable vieillard leur apparut, les mena à la ville, les logea et traita fort honnêtement : le lendemain matin, comme ils prenaient congé de leur hôte, le vieillard leur dit : « Courage, bons pèlerins, poursuivez hardiment votre chemin, vous retournerez sains et saufs en votre pays, je vous protégerai et servirai de guide. Car, sachez-le, je suis Jean l’Evangéliste, apôtre de Jésus-Christ ; j’aime le roi Edouard à cause de son excellente chasteté. Vous lui remettrez cet anneau que le roi lui-même m’a donné, comme je lui demandais l’aumône en habit de pèlerin. Dites-lui aussi de ma part que le temps s’approche où il doit sortir de ce monde. A six mois d’ici je le visiterai et le mènerai avec moi à la suite de l’Agneau Immaculé. »

A ces mots, le vieillard disparut. Les pèlerins, de retour, s’acquittèrent fidèlement de leur message, et, en témoignage de la vérité, ils rendirent au roi l’anneau qu’ils avaient reçu du saint apôtre.

Averti par un oracle divin de sa mort prochaine, Edouard se préoccupa de laisser l’Angleterre entre les mains d’un maître qui sût la protéger, maintenir la paix si péniblement établie et sauvegarder ses droits. Harold, fils de Godwin, affichait hautement ses prétentions à la succession ; mais Edouard, voyant revivre dans le fils les instincts farouches du père, l’écarta. Mais il fit partir son confident intime, l’archevêque Robert de Cantorbéry, près du duc Guillaume, pour l’informer que, en raison de son mérite non moins que de sa parenté, il le déclarait son héritier.

Il ne restait plus maintenant au roi qu’à se préparer à paraître devant son Seigneur. Ses forces s’épuisaient ; et, le soir même de la fête de Noël (1066), il fut pris d’une fièvre violente durant la nuit. S. Jean, suivant sa promesse, lui apparut et l’avertit que sous peu il reviendrait le chercher. Après vingt ans de travaux, l’abbaye de Westminster était achevée, et on célébrait alors les fêtes de la Dédicace. Malgré son épuisement et sa faiblesse, le roi voulut se rendre à la cérémonie et y assista jusqu'à la fin. Mais, au retour, il tomba en défaillance et fut deux jours sans donner signe de vie. Il était en extase ! Lorsqu’il rouvrit les yeux, il raconta la vision dont Dieu venait de le favoriser, vision pleine d’angoisses.

« Dans ma jeunesse, exilé en Normandie, dit-il, j’étais intimement lié avec deux religieux d’une admirable sainteté de vie. Ils viennent de m’apparaître et m’ont révélé les maux terribles dont l’Angleterre sera frappée après ma mort. » Autour du roi se tenait la reine, le comte Robert, gouverneur du palais, Harold et d’autres grands personnages. La reine fondait en larmes : « Ne pleurez pas ma sœur lui dit Edouard, je vais quitter cette terre, séjour de mort, pour aller en la patrie des vivants. » Puis s’adressant aux seigneurs et officiers qui entouraient sa couche funèbre : « J’ai reçu, des mains de Jésus-Christ Editha pour épouse, dit-il ; je la remets vierge aux mains du Seigneur et la recommande à votre dévouement. » Ces paroles révélaient tout le secret d’une vie angélique, force d’Edouard et rayon le plus éclatant de son auréole.

Le prince indiqua l’heure à laquelle il devait mourir et ordonna qu’on prévînt aussitôt le peuple de commencer les prières pour le repos de son âme. Il ne parla plus désormais qu’avec les anges ; plein de jours et de bonnes œuvres, émigra vers le Seigneur le 5 janvier 1066. Il avait régné vingt-trois ans, six mois et vingt jours. Avec lui s’éteignaient, pour l’Angleterre, le bonheur et la puissance.