Saint Cyprien et sainte Justine
Fête le 26 septembre
Martyrs à Nicomédie
Légende de la gravure
La prière de sainte Justine brise la puissance de l’enchanteur qui veut la contraindre au mariage.
La lumière du Christ Notre-Seigneur était descendue du ciel sur la terre, les oracles des prophètes s’accomplissaient ; partout la parole de Dieu multipliait les fidèles, et tous ceux qui confessaient la très Sainte-Trinité, recevaient l’eau régénératrice.
Au nombre de ces nouvelles conquêtes de la foi, il faut compter la vierge Justine, dont le père nommé Edusius et prêtre des idoles, habitait la ville d’Antioche, sous le consulat de Dioclétien.
Un jour la vierge entendit le diacre Praulius qui faisait le récit des merveilles opérées par le Très-Haut ; comment Dieu Notre-Seigneur s’était revêtu de notre chair mortelle pour nous arracher des mains du maudit des anciens jours. La bienheureuse vierge, en entendant ces prédications du diacre, ne pouvait soutenir la flamme de l’Esprit-Saint qui la consumait. Ne pouvant résister plus longtemps aux sollicitations de la grâce, elle dit à sa mère :
- Mère, écoute-moi et crois aux paroles de ta fille. Ces dieux que nous adorons tous les jours, ce n’est rien, de l’argent peut-être, ou de l’or, ou du fer, ou de l’airain, ou de la pierre, ou du bois, ou même des os de morts, voilà nos idoles. Viennent seulement un Galiléen, même avant d’y avoir touché du doigt, il les brisera toutes ensemble par une seule parole de sa bouche.
La mère répondit :
- Tais-toi et prends garde que ton père n’entende de pareils discours.
La fille continua :
- O ma mère, il est temps que mon père, ainsi que toi, vous sachiez que j’adore le Christ, celui que le diacre Praulius m’a appris à connaître. Or, ce Dieu assiste toujours, par le signe de la croix, ceux qui le craignent ; car les chrétiens disent qu’il n’y a pas d’autre Dieu par lequel nous puissions être sauvés.
Après avoir tenu ce noble et courageux langage à sa mère, Justine se retira. Sa mère, montant aussitôt dans les appartements de son époux, alla lui faire part des révélations étranges, autant qu’inattendues, que leur fille venait de lui faire. L’entretien se prolongea longtemps dans la nuit, jusqu’à ce qu’enfin le sommeil vint les surprendre. Mais pendant leur repos Edusius et son épouse virent en songe l’armée des anges, et au milieu des anges le Christ qui disait : Venez à moi, et je vous donnerai le royaume des cieux.
Le matin à leur réveil, pleins d’admiration et de stupeur, à cause de cette vision, ils prirent avec eux leur fille et se présentèrent à la maison de Dieu. Le diacre Praulius les introduisit ; ils lui demandèrent de les mener à l’évêque Optalus. Ce que le diacre ayant fait, ils se prosternèrent aux pieds du pasteur et le supplièrent de leur imprimer le caractère du chrétien.
L’évêque ne voulut y consentir que lorsque les deux époux lui eurent fait connaître la vision dans laquelle le Christ s’était manifesté à eux. En même temps ils lui exprimèrent le désir que leur fille avait de se consacrer à Dieu.
Edusius fit tomber sa barbe et sa longue chevelure (c’était l’usage des prêtres des faux dieux de se laisser pousser leur barbe et leurs cheveux), puis tous les trois, prosternés aux pieds de l’évêque, reçurent le caractère qui fait enfant de Dieu et de l’Eglise.
Après un an et six mois de préparation, Edusius mérita l’honneur du sacerdoce et renonça au monde. Quant à la jeune vierge, son bonheur était de venir souvent à l’église de Dieu.
Cependant, il advint qu’un jeune avocat de la cité, nommé Aglaïdas, qui la voyait souvent s’y rendre, conçut un vif désir de l’épouser. Il la fit demander par un grand nombre de personnes de tout rang ; mais la vierge répondit toujours :
- J’ai été fiancé au Christ, l’époux céleste ; il me gardera sans tache jusqu’au jour de son avènement.
Un jour que, suivant son habitude, elle se rendait à l’église, Aglaïdas essaya de la faire enlever par ses gens ; mais Edusius, prévenu à temps, déjoua toutes ses machinations. La jeune vierge continua depuis à fréquenter la maison de son époux et de son Dieu, et toujours, elle triompha des entreprises nombreuses dont elle était l’objet, par le signe de la croix. Aglaïdas eut alors recours à un habile magicien nommé Cyprien, et il lui promit deux talents d’or si, par ses maléfices, il pouvait lui gagner le cœur de la vierge Justine. Il ignorait, le malheureux, que la puissance du Christ est invincible.
Cyprien entra aisément dans les desseins pervers d’Aglaïdas.
Au moyen des secrets de son art magique, il évoqua un démon. Celui-ci, répondant à son appel :
- Pourquoi m’as-tu appelé ?
- Peux-tu gagner le cœur d’une vierge, de la secte des Galiléens ?
Le démon malgré son impuissance, promit tout. Alors Cyprien lui dit :
- Montre-moi tes œuvres, et je crois à ton pouvoir.
- J’ai déserté l’étendard de Dieu, pour obéir à mon père ; j’ai jeté le trouble parmi les hommes, et du ciel j’ai arraché des anges. C’est moi qui ai induit Caïn à tuer son frère, et persuadé aux Juifs de crucifier le Christ. Ce ne sont là que les moindres effets de ma puissance. Prends donc les mixtures que tu connais, va les répandre autour de la maison de la vierge ; alors je viendrai à ton secours, je lui inspirerai les vrais sentiments de mon père, et à l’heure même elle m’obéira.
On était au milieu de la nuit ; or, la troisième heure était venue, la vierge se leva pour prier.
Tout à coup elle ressentit l’attaque impétueuse du démon ; aussitôt elle fit sur toute la maison le signe de la croix, demandant à Dieu de mettre son ennemi en fuite :
« Dieu Tout-Puissant, disait-elle, vous qui avez créé l’homme à votre image et à votre ressemblance, ayez pitié de nous, ô Seigneur ! Seigneur, Dieu Rédempteur, aidez et fortifiez votre servante, rendez-moi digne de vous, car Satan veut tenter mon âme. »
Sa prière étant finie, elle forma de nouveau sur tout son corps le signe de la croix.
Le démon vaincu s’éloigna et alla trouver le magicien Cyprien. En le voyant Cyprien lui dit :
- Eh bien ! pourquoi n’as-tu pas tenu ta promesse ?
- Ne me force pas d’avouer ce que je ne puis dire, j’ai vu un signe et j’ai tremblé.
Cyprien se rit de sa faiblesse et le renvoya, puis il évoqua une seconde fois un démon plus puissant ; celui-ci, comme le premier, se glorifiait de sa force et disait à Cyprien :
- J’ai entendu tes volontés et j’ai vu l’impuissance de celui que tu as appelé avant moi. Reprends donc les préparations de ton art et va les répandre autour de la maison de la jeune fille ; je viendrai ensuite et je me charge de la gagner.
Cyprien fit scrupuleusement tout ce que l’ange des ténèbres lui avait ordonné. Au milieu de la nuit suivante, la sainte vierge s’était levée, selon sa coutume, pour prier. Elle disait dans la ferveur de sa prière :
« Au milieu de la nuit je me lève pour chanter vos louanges, à cause des jugements de votre justice, ô Dieu de toute créature, Seigneur de miséricorde ! car c’est vous, Souverain dominateur du ciel et de la terre, qui avez confondu le diable et donné aux hommes le pouvoir de fouler aux pieds la vertu de l’ennemi. Tendre Père, ne me rejetez pas ; pardonnez à votre servante, ô roi tout puissant ! Seigneur, conservez-moi dans la sainteté et la pureté ! A vous soit la gloire avec Dieu le père dans l’unité du Saint-Esprit ! Amen. »
Elle dit, et imprimant sur elle le signe du salut, au nom du Jésus-Christ, elle souffla sur le démon, le démon aussitôt la quitta et revint auprès de Cyprien. Tout couvert de confusion, il se tenait devant lui debout et en silence. Cyprien lui dit alors :
- Où est la vierge vers laquelle je t’avais envoyé ?
- J’ai été vaincu ; je crains de répondre à ta question, car j’ai vu un signe qui m’a rempli de terreur.
Cyprien le renvoya donc en insultant sa faiblesse ; et recourant pour la troisième fois aux secrets de son art, il évoqua le prince des démons en personne et il lui dit :
- Quelle est cette impuissance à laquelle vous êtes condamnés ? Une vierge a triomphé à elle seule de toute ta puissance.
- Je me flatte, moi, de la terrasser à l’heure. Seulement, tiens-toi prêt.
A ces mots, le diable se manifesta sous les traits d’une jeune fille, à la vierge de Dieu. Entré dans sa chambre il lui dit:
- J’ai été envoyé aujourd’hui vers toi par le Christ, afin d’apprendre à vivre comme toi dans la chasteté. Mais dis-moi, d’abord, qu’elle est la récompense des combats que tu as à soutenir pour garder la virginité ? Je te vois épuisée par l’abstinence.
La sainte Justine lui répondit :
- La récompense est immense et la peine légère.
Mais Dieu qui veille sur ses saints, et ne permet jamais qu’ils soient tentés au-dessus de leurs forces, révéla, par son Esprit-Saint, à la vierge, que c’était le diable qui s’efforçait de s’insinuer dans son cœur. Aussitôt elle s’arma du signe victorieux de la croix, et en même temps souffla sur l’esprit infernal. Le diable s’évanouit à ses regards, comme la cire se fond à l’approche du feu, et il ne reparut plus.
Elle s’écria dans sa reconnaissance :
« Gloire à vous, ô Christ, fils de Dieu, notre Sauveur ! Dans les périls où vos serviteurs sont sous le point de sombrer, vous les sauvez et les ramenez à la lumière ; ils couraient après une volonté étrangère, et vous leur faites embrasser votre volonté pour guide. Seigneur, mon Dieu, ne permettez pas que votre servante soit vaincue par Satan ; conservez-moi sans tache pour votre divine sainteté ; pénétrez ma chair de l’aiguillon de votre crainte. »
Le diable, couvert de honte, apparut de nouveau à Cyprien, et Cyprien lui dit :
- Et toi, aussi, tu as été vaincu ! Comment se fait-il qu’une vierge chrétienne, toute seule ait suffit pour vous dompter ? Dis-moi quelle est la cause de sa victoire.
Satan, la rage sur le visage, lui répondit :
- Je ne puis te le dire ; mais j’ai vu un signe terrible et j’ai tremblé ; aussitôt j’ai fui, et la forme que j’avais prise s’est dissipée comme la fumée. Tu veux savoir quelle vertu mystérieuse a donné la victoire à cette jeune fille ; je te demande un serment, fais-le, et je te répondrai.
Cyprien lui dit : - Par qui veux-tu que je jure ?
Le diable lui répondit :
- Jure par mes prodiges et ma puissance, qui demeurent intacts, que tu ne te sépareras pas de moi.
- Je le jure par tes prodiges et ta grande puissance, jamais je ne me séparerai de toi.
Le diable, plein de confiance dans cette parole :
- J’ai vu le signe du crucifié, et aussitôt l’effroi m’a saisi. Alors Cyprien lui répliqua :
- Le crucifié est donc plus grand que toi ? Artisan de mensonge, pourquoi tendis-tu un piège à mon âme, quand tu avais conscience de ta faiblesse ? Si l’ombre seule du Christ suffit pour te vaincre, que feras-tu quand il viendra lui-même en personne ? Son nom, le signe de sa passion, te frappent d’impuissance, pourras-tu nous arracher de ses mains lorsqu’il viendra pour nous punir ? Fuis donc loin de moi, cruel ennemi de la vérité et de la piété ; trop longtemps j’ai été le jouet de tes impostures.
A ces mots, le diable se jette sur lui pour l’étouffer. Cyprien, sur le point d’être étouffé sous la violence de ses étreintes, se rappela le signe dont la vierge s’était servie, et il s’écria : « Dieu de Justine, secourez-moi. » A ces mots, il retrouva ses forces ; sa main était redevenue libre, il fit le signe de la croix.
Alors le diable le quitta, mais en lançant contre lui des malédictions et des menaces. Cyprien n’en fut point effrayé, car il venait de revêtir l’armure invincible du Christ. Il vint trouver l’évêque, se jeta à ses pieds et lui dit :
- Serviteur du Très-Haut, marque-moi du signe sacré et catéchise-moi, afin que je connaisse le Christ.
L’évêque, craignant quelque fourberie de sa part, le chassa en disant :
- Contente-toi, Cyprien, de ceux qui sont dehors ; tu ne peux rien contre l’Eglise de Dieu, car la vertu du Christ est invincible.
Mais Cyprien, désormais tout à Dieu, ne se rebuta pas et commença sur-le-champ à raconter à l’évêque la manière merveilleuse dont il avait connu la puissance du Christ. Le vigilant pasteur, connaissant la sincérité de l’ancien magicien, rendit grâces à Dieu et lui promit de l’accueillir au rang des catéchumènes en disant :
- Hâte-toi, mon fils, d’aller à l’église de Dieu, et ne cesse point d’offrir tes prières au Seigneur.
Cyprien, étant retourné dans sa demeure, brisa toutes ses idoles ; il passa le reste de la nuit à prier et à répandre des larmes.
« Comment, » s’écriait-il, « oserai-je paraître devant la vertu du Christ, après avoir commis tant de forfaits ? O Dieu ! j’implore votre miséricorde ; ayez pitié de moi. »
Le lendemain, étant venu à l’église, il assista à la messe des catéchumènes. Après le chant de l’Evangile, un diacre lui dit :
« Cyprien, lève-toi et sors avec les autres catéchumènes. »
Cyprien lui répondit :
- Je suis devenu serviteur du Christ et tu me chasses dehors ?
Le diacre lui dit :
- Es-tu devenu parfait serviteur de Dieu ?
- Vive le Christ ! qui a confondu les démons, a délivré la vierge Justine et a eu pitié de moi ! Je ne sortirai pas avant d’être devenu un serviteur parfait du Christ.
La réponse de Cyprien ayant été rapportée à l’évêque, celui-ci le fit catéchiser et lui administra le saint Baptême.
Puis, il fut fait diacre, et reçut, avec les dons du Saint-Esprit, le don des miracles et de chasser les démons.
Quelques années plus tard, il fut promu au sacerdoce dont il exerça les saintes fonctions pendant seize ans. Le bienheureux évêque, prévoyant sa fin prochaine, consacra Cyprien pour lui succéder sur le trône épiscopal d’Antioche. Cyprien, devenu évêque, fit entrer la vierge Justine dans un monastère dont elle fut abbesse et mère, avec autorité, sur un grand nombre d’autres congrégations de vierges.
Le farouche Dioclétien, qui, en ce moment, gouvernait l’empire, ne tarda pas à renouveler les édits des empereurs, ses prédécesseurs, qui ordonnaient de pourchasser les chrétiens comme des bêtes fauves. Le peuple fidèle fut dispersé devant les cruels émissaires du tyran : Cyprien, dans ce danger pressant, n’abandonna pas les brebis confiées à ses soins. Il se fit tout à tous, il soutenait et confirmait par ses lettres tous les frères de la ville et de la contrée, et il parvint à en arracher un grand nombre à la dent du loup. Mais le serpent, envieux, suggéra à Eutolamas, comte d’Orient, que Cyprien, le docteur des chrétiens, ruinait la gloire des dieux ; que, de concert avec une certaine vierge, il pervertissait les âmes par ses prestiges, en même temps que par ses lettres il soulevait l’univers entier. Le comte, plein de colère à cette révélation, fit arrêter les deux accusés et donna l’ordre aux préfets de les faire conduire sous bonne escorte à Damas. Quand ils furent arrivés, le comte les interrogea ; s’adressant à l’évêque, il lui dit :
- N’es-tu pas ce docteur des chrétiens qui as réuni autrefois, sous la puissance des dieux, de nombreux adorateurs, mais qui aujourd’hui trompe les hommes par le signe d’un crucifié ?
- Et toi-même, répondit Cyprien, dis-moi comment tu oses ainsi t’élever dans le faste d’un vain orgueil et te livrer à cette démence diabolique. Autrefois, j’étais, comme tu l’es aujourd’hui, enchaîné par l’ennemi et aveuglé par la sagesse des Gentils. J’ai fait périr un grand nombre d’âmes ; à un grand nombre, j’ai appris les infamies du vice ; mais le Christ m’a sauvé par la sainteté d’une vierge.
Le comte, tout bouillant de colère et pour étouffer les cris d’une conscience coupable, ordonna de suspendre le martyr et le fit détruire avec les ongles de fer. Quant à la vierge, il la fit fouetter avec de dures courroies par deux bourreaux qui se relevaient tour à tour. Pendant ce supplice, Justine chantait une hymne au Seigneur. A la fin, les forces des bourreaux s’épuisaient et les lèvres de la sainte ne cessaient de redirent les louanges de Dieu. De son côté, Cyprien, pendant qu’on le déchirait de la manière la plus brutale, ne songeait pas même à se plaindre.
Le comte lui dit alors :
- Pourquoi tant de folie et d’imprévoyance sur ton sort.
Le bienheureux Cyprien lui répondit :
- C’est toi qui a fait preuve d’imprévoyance et de folie, en devenant un apostat, un transfuge, de la foi du Christ ; car, pour ce qui est de moi, le divin Pasteur aujourd’hui me connaît, et j’ai hâte d’arriver dans le Palais des Cieux, afin de jouir des biens éternels que tes supplices m’auront fait mériter.
A ces mots, le tyran, devenu plus furieux, s’écria :
- Si les tourments te font mériter le royaume des cieux, je veux en ajouter d’autres plus cruels encore.
Cependant, lorsqu’il vit le martyr sur le point d’expirer sous les tortures, il le fit jeter en prison, et confia à un certain Térentius la garde de la vierge. Quelques jours plus tard, le comte se fit présenter une seconde fois les deux martyrs, et, s’adressant à Cyprien, il lui dit :
- J’ai voulu vous conseiller de ne point vous obstiner à mourir.
Le bienheureux lui répondit :
- La mort, dans de pareilles conditions, procure à ceux qui la subissent la vie éternelle.
Alors le comte, après un moment de délibération, voyant que rien ne pouvait vaincre le bienheureux évêque, fit allumer un grand feu sous une vaste chaudière, qu’il fit remplir de poix, de cire et de graisse ; puis, il ordonna d’y jeter les saints martyrs. Le feu respecta le bienheureux Cyprien ; pour la vierge, au moment où elle s’approchait pour y entrer, l’ennemi de tout bien lui inspira quelques frayeurs. Alors le saint évêque lui dit :
- N’est-ce pas toi qui m’as ouvert les portes des cieux et manifesté la gloire du Seigneur, toi qui as vaincu les démons et humilié leur prince, Lucifer, par la vertu du signe de la croix ?
A ces mots, la sainte, faisant le signe de la croix, s’élança dans la chaudière. Mais bientôt, au milieu de l’ardeur des flammes, tous deux sentirent comme une douce rosée, qui rafraîchissait leurs membres et leur donnait une vigueur nouvelle. Alors Cyprien, commençant un cantique d’actions de grâces, s’écria :
- Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! car, depuis que le diable a été renversé de son trône, la paix a rempli le monde.
Le comte s’écria en entendant cette sublime prière :
- Je veux aujourd’hui vous convaincre d’imposture et faire connaître à tous les vaines fraudes de votre magie.
En même temps, un nommé Athanase, qui, autrefois prêtre des idoles, était devenu l’assesseur et l’ami du comte, lui dit :
- Que ta puissance m’ordonne de me tenir au milieu des feux de la chaudière, je veux au nom des dieux triompher du prétendu pouvoir du Christ.
Le comte aussitôt, par un signe, promit à Athanase, qui s’approcha de la chaudière en disant :
- Hercule, ton nom est grand parmi les dieux ; Esculape, tu es appelé leur père, et c’est toi qui donnes la santé aux hommes.
Mais à peine était-il à quelques pas de la flamme, que le feu l’enveloppa, ses entrailles se répandirent à terre et tout son corps fut dévoré en un moment ; tandis que le bienheureux Cyprien demeurait avec la Vierge au milieu des flammes, sans en souffrir la plus légère atteinte, glorifiait le Seigneur.
Le comte, hors de lui, s’écria :
- Elle est donc invincible la puissance du Christ ! Mais ce qui m’afflige profondément, c’est qu’il ait fait mourir un prêtre des dieux, le seul ami que j’eusse ici-bas.
Il fit alors venir un de ses parents nommé Terentius, et lui dit :
- Que dois-je faire à ces malfaiteurs ?
Terentius lui répondit :
- Garde-toi de ne rien entreprendre contre les saints et n’essaie pas de résister à la vérité, car le Dieu des chrétiens est invincible ; mais envoie-les à l’empereur avec un rapport de ce qui est arrivé.
Le comte fit, en effet, le rapport et l’envoya à l’empereur.
Dioclétien, parcourut les actes des saints martyrs, et s’étonna qu’ils eussent pu résister à de pareils tourments. Ayant ensuite pris conseil, il les fit venir à Nicomédie, et prononça la sentence capitale.
Les martyrs furent amenés sur les bords du fleuve, et là, ils obtinrent du bourreau quelques instants pour prier et recommander à Dieu toutes les églises et tous les fidèles. La tête de la bienheureuse vierge tomba la première sous le glaive du bourreau ; le bienheureux Cyprien s’écria alors :
- Gloire à vous, ô Christ !
En ce moment Théoctiste vint à passer sur les lieux de l’exécution ; il aperçut Cyprien et l’embrassa avec tendresse. L’assesseur Pholanéus, qui présidait l’exécution, témoin de cette scène touchante, entra dans une grande fureur ; il fit arrêter Théoctiste, et lui fit trancher la tête, en même temps qu’au glorieux martyr Cyprien.
Par son ordre, les corps des martyrs furent jetés à la voirie ; six jours après, des fidèles de Rome, matelots de profession, ayant appris que Cyprien était mort dans la foi de leur église, parvinrent à tromper la vigilance des gardes, et enlevèrent les corps des martyrs. Ils s’empressèrent ensuite de regagner leurs barques et de retourner vers Rome, heureux de posséder un si riche trésor.
A leur arrivée à Rome, les reliques furent confiées à la sainte Rufine, qui les plaça, avec honneur, dans les catacombes avec les autres martyrs de la dernière persécution générale.