Le bon Larron
Fête le 24 avril
O admiranda Latronis conversio ! Crucifixum videt et Regem prœdicat. Alleluia.
O admirable
conversion du Larron ! Il voit le Crucifié et il proclame qu’il est Roi.
Alleluia. (Ant. De l’office).
Canonisation
Le Bon Larron a été mis au nombre des saints par Notre Seigneur lui-même sur la Croix, lorsque le Sauveur lui dit : En vérité, je te le déclare, tu seras aujourd’hui avec moi en paradis.
Cette canonisation, extraordinaire entre toutes, doit exciter une vive dévotion pour ce voleur pénitent. L’Eglise lui a consacré un office et une messe le 24 avril, et son nom figure au martyrologe au jour du 25 mars, qui fut à la fois la date de l’Incarnation à Nazareth et de la mort du Sauveur à Jérusalem. Nous dirons plus loin les différents motifs qu’on a de l’invoquer et les circonstances où il convient de le faire.
D’après la tradition la plus autorisée, le Bon Larron s’appelait Dismas et le mauvais larron Gestas. On ne connaîtra l’histoire de leur vie qu’au jugement dernier, lorsqu’ils se retrouveront, comme au vendredi saint, à la droite et à la gauche de Jésus ; toutefois, le pardon du Sauveur ayant effacé d’une façon toute royale les crimes de Dismas, le monde assemblé ne pénétrera de son histoire que ce qui lui fait honneur et gloire.
Peut-être serons-nous émerveillés de voir alors au milieu de cette vie de crimes, des élans de l’âme pour répondre à la grâce, qui eussent largement suffi à le convertir, si cette grâce avait été aussi abondante pour lui que pour nous. N. S., qui voulait conquérir cette âme, laissait accumuler ses premiers bons mouvements pour les inonder au Calvaire, des mérites de son sang.
Ce qu’une tradition assez autorisée nous rapporte des premières années de Dismas nous démontre en effet dès lors au milieu même de ses désordres, l’objet des prévenances de Jésus. Cette tradition est rapportée par Saint Anselme, il la raconte à l’une de ses sœurs à propos d’une méditation sur l’enfance de Jésus, et il la donne comme une légende, sinon certaine, du moins très répandue de son temps.
Première rencontre de Jésus avec Dismas
C’était à l’époque du massacre des Innocents ; Joseph, Marie et Jésus fuyaient la colère d’Hérode, brigand illustre qui usurpait le pouvoir pour commettre de grands crimes.
Lorsque la Sainte Famille eut dépassé la région de Bethléem, elle entra sur les terres d’Egypte. L’Egypte est dans l’Ecriture Sainte le pays du péché, d’où Dieu retire son peuple, et c’est pour cela qu’il convenait que Jésus portant la similitude du péché, fût envoyé en Egypte et vécût au milieu de ce monde ennemi, qu’il venait racheter à force de pardon.
Or, dans cette fuite vers le pays du démon, Jésus, Marie et Joseph pénétrèrent en une forêt où vivaient des brigands, et parmi eux Dismas.
Dismas, déjà dans la force de l’âge était assassin, de profession, disait Saint Anselme ; ce qui explique ce malheur, c’est qu’il avait pour père le chef d’une nombreuse troupe de malfaiteurs qui vivaient en ce lieu. Il avait donc été nourri dans le crime comme d’autres sont nourris dans la vertu, mais semblable à ces âmes que le souffle d’une éducation toute mondaine ne parvient pas à corrompre complètement, il conservait au fond de son cœur les grâces cachées du remords.
Or, un jour où il se tenait en embuscade, attendant l’occasion de faire quelque mauvais coup et de se souiller d’un nouveau méfait, il vit arriver le vieillard, la jeune femme et le petit enfant ; ces trois voyageurs portaient quelque bagage, peut-être les dons des mages, dons réservés par la Providence pour ce lointain voyage.
Dismas jugea que cette faible caravane n’opposerait aucune résistance ; le bâton de Saint Joseph, qu’on vénère aujourd’hui avec amour à Florence, ne l’effrayait guère, et il s’avança vers les voyageurs pour les maltraiter et les dépouiller. Ses compagnons étaient là.
Quand il fut proche de la Sainte Famille, son regard rencontra le visage du petit Jésus, et cette physionomie lui apparut si merveilleusement illuminée de beauté, qu’au lieu de frapper, il recula attendri, et pris de commisération, non seulement il ne dépouilla pas les pauvres voyageurs, mais après avoir renvoyé ses compagnons, il leur offrit l’hospitalité dans la caverne qu’il habitait.
C’est ainsi que le moment d’angoisse auquel la Sainte Famille venait d’être soumise se terminait, comme dans les angoisses précédentes, par la consolation. En effet, la route était longue, le soir descendait et ils étaient sans abri ; or, voici qu’au lieu d’un ange, pour les secourir, il trouvait un voleur prêt à les massacrer, mais tout à coup ce voleur attendri se transformait en bon ange.
Dès qu’ils furent en cette caverne, comme naguère à Bethléem, les dons abondèrent. Dismas, qui avait renvoyé ses mauvais complices sans tenir compte sans doute de leurs blasphèmes, se prodiguait à ses hôtes ; cet homme, armé jusqu’aux dents pour le meurtre, regardait avec tendresse l’enfant Jésus ; celui-ci daignait se laisser caresser par ce brigand qu’il voulait sauver, et Marie admirait ce spectacle sans terreur.
L’hospitalité de l’Orient est frugale, on partagea quelques fruits ; c’étaient les fruits de la forêt, car la Sainte Famille n’a certainement jamais touché à ce qui devait provenir du vol ; c’était le lait des chèvres et le produit de la chasse : on étendit les meilleures nattes et l’on reposa, mais l’empressement de Dismas montrait qu’il voulait donner avec sa pauvre caverne, son cœur plus pauvre encore.
Le lendemain, Marie considérant le respect et l’affection du brigand pour l’enfant qu’il ne cessait de regarder rendit grâces, puis, elle l’assura avec solennité, qu’il serait récompensé avant sa mort. Dismas conserva le souvenir de cette promesse, et au milieu de ses débordements, il en attendait l’accomplissement avec une invincible espérance.
Quiconque secourt un pauvre sur la route, lui sacrifie son repas et sa maison, reçoit Jésus ; et Marie, continuée par l’Eglise, est là pour lui promettre qu’il sera récompensé avant sa mort.
La Sainte Famille poursuivit sa route vers l’Egypte, laissant partout des traces de ses bienfaits et jetant des germes de salut dans les âmes ; mais l’heure de prêcher la vérité n’était pas venue, et le Sauveur, s’il eût parlé, aurait pu, comme à Cana, répondre à sa mère qui promettait un miracle : « Ne savez-vous pas que mon heure n’est pas encore venue ! »
Seconde rencontre de Jésus avec Dismas.
Que se passa-t-il pour le brigand de la forêt pendant les trente-trois ans qui suivirent ? nous ne savons rien, sinon que lui, Gestas et Barabbas se trouvaient l’an 33 dans les prisons de Jérusalem comme d’insignes coquins, condamnés pour leurs crimes innombrables au supplice infamant de la croix.
Barabbas fut délivré par l’acclamation universelle, et les deux autres portèrent la croix à la suite de Jésus.
Ces deux larrons furent accolés au cortège de Jésus pour le couvrir d’infamie ; comme la couronne d’épines et le sceptre de dérision, ils étaient des instruments destinés à grandir le supplice et ils accomplissaient, dit l’Evangile, la prophétie d’Isaïe : cum sceleratis reputatus est, il a été mis au rang des scélérats.
Mais ce fut une bien grande grâce pour eux que de faire ainsi le chemin de la Croix avec Jésus, d’en suivre toutes les lamentables stations, tandis que les Apôtres, en fuite, eurent le regret de n’en avoir pas été les témoins.
Dismas vit le long de ce chemin la tête blonde du petit enfant de la forêt couronnée d’épines sanglantes, elle était plus belle encore qu’en Egypte ; l’innocence de la face divine le toucha peut-être, mais il ne reconnut ni Jésus ni Marie. Les crimes avaient épaissi son regard.
Jésus fut cloué sur la croix. Dismas entendit avec Marie les coups de marteau, et les deux larrons furent attachés avec des cordes. Ils admiraient qu’on les épargnât, tandis que tant de fureurs, de flagellations et de raffinements étaient dirigés contre Jésus, et cependant ils se mêlaient tous les deux aux blasphémateurs.
Les trois croix furent élevées entre le ciel et la terre, l’un des larrons à droite, l’autre à gauche, et le tableau du crucifiement devant lequel l’humanité entière demeure depuis dix-huit siècles en adoration, apparut dans sa réalité. Dismas en fait partie.
Du haut de sa croix, durant trois heures, Dismas fut associé à Jésus pour voir le spectacle de cette foule qui représentait le monde entier et qui blasphémait, il vit les soldats se diviser les vêtements, jouer la robe sans couture ; Marie qui avait tissé cette robe était debout au pied de la croix.
On attacha le titre : Celui-ci est Jésus, roi des Juifs, et il y eu un cri de joie ; la foule pleine de sarcasmes disait en hochant la tête et en se moquant :
- Toi qui détruis le temple de Dieu et le relèves en trois jours, sauve-toi toi-même. Si tu es le fils de Dieu descends de la croix.
- Descends, et nous croirons ! répétait le peuple.
Et, chose affreuse ! les deux larrons et Dismas lui-même, entraînés par ce spectacle, disaient comme le peuple et le maudissaient (S. Mathieu et S. Marc).
Marie, entendant ces blasphèmes, le regarda, reconnût sans doute Dismas, et pria pour lui.
Conversion du larron.
Cependant la sixième heure, celle des ténèbres, approchait, l’ombre de la croix de Jésus s’allongeait sur la colline et elle passa sur le corps de Dismas ; à ce moment l’autre larron blasphémait avec fureur, disant :
- Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous aussi (Luc, XXIII, 39).
Mais l’ombre des plaies divines pénétrait au cœur de Dismas et on l’entendit répondre :
- Ne crains-tu pas Dieu parce que tu as été condamné au même supplice que lui ?
« Pour nous c’est juste, car nous recevons un châtiment mérité par nos crimes, mais celui-ci n’a point fait de mal. » (Luc, XXIII, 40 et 41). Gestas le mauvais larron fut surpris, Barabbas, s’il était dans la foule, fut étonné, les pharisiens sentirent comme une morsure.
Puis cette confession suprême faite avec contrition, le larron, devenu le Bon Larron, prononça un acte sublime de foi, d’espérance et d’amour en se tournant vers Jésus :
- Seigneur, dit-il, souvenez-vous de moi, lorsque vous entrerez dans votre royaume. (Luc, XXIII, 42.)
Et Jésus, sur ce tribunal où il siégeait en juge, quoique les hommes aient cru le mettre parmi les condamnés, Jésus prononça la sentence et lui dit :
- En vérité, je te le déclare, tu seras avec moi aujourd’hui en paradis. (Luc, XVIII, 43).
Hodie mecum eris in paradisio
Si la légende de l’Egypte est vraie, Jésus, à ce moment, a rempli la promesse de Marie, et sans doute, Dismas reconnut enfin la Mère qui lui fit la promesse lorsque le sauveur mourant s’adressant à elle lui dit :
Femme voici votre fils.
Ce fils c’était Jean, mais c’était Dismas aussi et tous les pécheurs convertis.
Il était midi ; une nuit de trois heures se répandit sur toute la terre, le voile du temple se déchira et le désarroi se mit dans la foule consternée.
Gestas entra dans un affreux désespoir, Dismas priait et il entendit : Eli, Eli lamma sabbacthani ; c’étaient les dernières paroles de Jésus ; le soldat lui présenta le vinaigre, le Sauveur poussa un grand cri et expira.
La mort du Bon Larron
Le soleil éclairait à nouveau la scène de désolation. Les juifs préparaient le temple et disaient : c’est demain le grand sabbat de la Pâque, il ne faut pas que ces corps restent sur les croix. Ils allèrent trouver Pilate et lui demandèrent qu’on brisât les os des condamnés et qu’on enlevât les cadavres.
Des soldats arrivèrent donc à nouveau au Calvaire, le centurion qui avait conduit ceux du crucifiement s’était converti.
Ces nouveaux soldats brisèrent les jambes et les cuisses et sans doute tous les os de Dismas et de Gestas ; ils étaient mourants, lorsque ces soldats se tournant vers Jésus et voyant qu’il était déjà mort, ne prirent point la peine de les briser, mais l’un d’eux, Longin, fit au côté droit une profonde ouverture avec la lance.
Cette plaie du côté droit, s’ouvrait du côté du Bon Larron expirant, elle allait jusqu’aux profondeurs du Cœur de Jésus et elle versa l’eau et le sang du pardon. Dismas purifié, mourut ; il avait reçu les prémisses de la Rédemption.
La croix du Bon Larron, retrouvée par Ste Hélène en même temps que celle du Sauveur fut longtemps honorée à Chypre ; aujourd’hui elle est à Rome, à Ste-Croix de Jérusalem, sur l’autel où s’exposent la vraie Croix, le clou et les épines.
Son patronage
Le Bon Larron est le patron des condamnés à mort ; mais à ce titre, il n’aurait pas assez de clients.
Il est de plus le patron des malheureux dont les affaires sont douteuses, qui ne savent pas comment restituer et ne voudraient pas mourir voleurs impénitents, et à ce titre, combien de chrétiens sont les débiteurs insolvables de l’Eglise !
Le Bon Larron est la planche de salut de tant de grands coupables qui blasphèment Jésus et qui, tombant dans le malheur, se tourneront enfin vers leur Créateur.
Il y a des pays où à ce titre, on devrait lui dresser des autels sur les places publiques.
Il est le patron des grands pécheurs, des enfants prodigues, et il délivre de l’impénitence finale.
« L’impiété de l’impie ne lui nuira point, au jour quelconque où il sera détourné de son impiété et converti. » (Antienne du Magnificat, à l’office du Bon Larron).
Le Bon Larron est aussi le patron des âmes qui se découragent, soit parce qu’elles ont péché, soit parce que tout va mal dans leurs entreprises, soit surtout parce que la persécution triomphe.
« Le Bon Larron, dit S. Jean Chrysostome en l’office de la fête, a vu le Sauveur non sur le trône royal, non adoré au temple, non point parlant du haut de son ciel et commandant à ses anges, mais il l’a vu dans les tourments, et il l’adore comme s’il était dans la gloire ; il le voit sur la Croix et il le prie comme s’il était puissant au Ciel. Il voit le condamné et il invoque le roi, disant : Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque vous arriverez dans votre royaume. Tu vois le Crucifié et tu lui annonces le Roi. Tu le vois suspendu au gibet, et à ce spectacle, tu penses au royaume des cieux. O admirable conversion du Larron ! (Leçon II de l’office.)
Autrefois, on l’invoquait beaucoup contre les voleurs, et le moyen âge nous a transmis une antienne versifiée que récitaient en son honneur les personnes dont les biens sont exposés à la rapacité des larrons. Nous en donnons la traduction :
« Pour des raisons différentes, trois corps sont suspendus au gibet : Dysmas d’un côté, Gestas de l’autre, au milieu, le Dieu tout-puissant, Dysmas monte aux cieux, Gestas descend aux abîmes. Que la souveraine puissance nous conserve nous et nos biens. Récite ces vers pour ne pas perdre, par le vol, ce qui t’appartient. »
Voici maintenant l’oraison solennelle de l’Eglise pour son office :
Oraison du Bon Larron
Dieu tout-puissant et miséricordieux, qui justifiez les impies, nous vous en prions et vous en supplions, dirigez vers nous, pour exciter nos cœurs à la pénitence, le doux regard de votre Fils, qui lui gagna le cœur du Bienheureux larron ; et daignez nous accorder à nous-mêmes la gloire éternelle qu’il lui promit. Nous vous le demandons par le même Jésus-Christ Notre-Seigneur.