Saint Bathilde

Fête le 26 janvier

Reine de France


Légende de la gravure

Après avoir gouverné sagement et saintement la France pendant la minorité de ses enfants, sainte Bathilde se retira au monastère de Chelles, près Paris. Elle y recherchait avec empressement les offices les plus bas de la communauté, aimant à servir à la cuisine, à balayer le couvent, etc. Pendant sa dernière maladie elle fut fortifiée par une vision dans laquelle les anges la faisaient monter à une échelle dont le pied était posé sur l’autel de la Vierge, et dont le sommet touchait le ciel.


Enfance de Bathilde. Elle est vendue comme esclave.

D’origine anglo-saxonne, Bathilde fut dans sa jeunesse ravie à l’affection de ses parents à la suite d’une de ces guerres locales, si fréquentes alors dans la Grande Bretagne. La noblesse de son origine ne la sauva point de la servitude. Les pirates qui s’en étaient emparés ainsi que d’un grand nombre de pauvres anglais, l’emmenèrent en France où elle fut vendue comme esclave à un leude neustrien, appelé Erchinoald.

Celui-ci s’attacha vite à l’infortunée captive que ses malheurs joints à ses éminentes qualités ne firent que lui rendre plus chère. Non seulement elle gagna le cœur de son maître, mais sa douceur, sa modestie, et surtout son affabilité la firent aimer de tous avec qui elle était en rapport. Elle joignait à la candeur de l’enfant une distinction d’allure et de tenue qui faisait soupçonner une illustre origine. En effet, on découvrit dans la suite qu’elle était issue d’une des première famille d’Angleterre. Néanmoins, elle se comportait en toutes circonstances avec une humilité qui la rendait aimable à tout le monde.

Erchinoald l’honora entre tous ceux de sa maison, et à la mort de son épouse, il rechercha l’alliance de Bathilde. Mais la sainte chérissait la virginité par dessus tout ; elle ne fut plus en repos qu’elle n’eût trouvé une retraite pour échapper à ses instances.

« Lors donc, dit son historien, qu’elle fut appelée à cet effet par son maître, comme une vierge pleine de sagesse, elle se cacha dans un coin de grenier et se revêtit de hardes grossières, si bien que personne n’aurait deviné qu’il pût y avoir quelqu’un de caché dans cet endroit. »

La providence divine qui la réservait à de plus hautes destinées, permit qu’elle ne fût point découverte jusqu’à ce qu’Erchinoald eût contracté une autre alliance.

Peu de temps après, celui-ci fut appelé à succéder à Ega comme maire du palais. Bathilde le suivit au palais mérovingien, où le jeune roi Clovis II couronna la captive, et la fit monter, en 640, sur le trône des francs. Il était juste que cette âme, qui avait si généreusement renoncé à sa patrie et accepté la plus humble condition parmi les esclaves, fût exaltée sur un trône digne de sa naissance et de ses vertus.

Bathilde reine

Par cette grâce de prudence que Dieu lui départit, après s’être montrée, dit son biographe, la servante docile du roi son seigneur, elle fut avec une délicate attention une mère pour les princes, une humble fille des pontifes, une excellente nourricière des jeunes Francs du palais, également agréable à tous, aimant les évêques comme ses pères, les religieux comme ses frères, et comme ses enfants les pauvres qu’elle comblait d’aumônes, conservant l’honneur des leudes et recueillant à propos leurs conseils, exhortant vivement les jeunes Francs aux études religieuses, et déjà, bien que sous le vêtement du siècle, très désireuse de servir le Christ.

Les grandeurs du trône ne lui firent pas oublier l’humilité de son ancienne condition ; aussi voulait-elle qu’on donnât aux étrangers la plus bienveillante hospitalité, et jamais elle ne souffrit qu’on en renvoyât aucun sans l’avoir satisfait. Elle se faisait auprès du roi l’avocate des malheureux, et surtout des veuves et des orphelins. Grâces à ces instances, plusieurs églises obtinrent d’abondantes libéralités.

Tant de bonnes œuvres lui attirèrent les bénédictions du ciel. Elle fit de rapides progrès dans la perfection, car elle reçut dès lors dans l’oraison les lumières qui, en lui montrant de plus en plus la grandeur de Dieu, la portaient à se dégager d’elle-même et du monde. Tout son bonheur aurait été de la quitter, pour prendre un libre essor vers les délicieuses retraites de la prière et du recueillement.

Mais la mort prématurée de son époux lui imposa bientôt de nouvelles sollicitudes. Elle vit à la tête de trois royaumes, qu’elle dut administrer jusqu’à ce que les trois princes ses enfants fussent en âge d’en prendre le commandement.

Régence de Bathilde

C’est alors qu’on vit s’épanouir dans tout son éclat le dont merveilleux du commandement que Dieu lui avait départi. Elle appela à son conseil les plus vertueux évêques ou abbé de la nation, et ce fut sous leur influence bénie qu’elle agit en toutes circonstances pour procurer le bien de son peuple. Il suffit de citer les noms de saint Landry, de saint Chrodebert, de saint Eloi, de saint Ouen, de saint Chamond, de saint Génésius, de saint Lambert, de saint Mauront, de saint Ansbert, de saint Herbland, et de l’illustre martyr saint Léger, pour donner une idée de ce que dut être le gouvernement de la France. On comprend alors comment, inspirée aux sources pures de la lumière surnaturelle, la politique de sainte Bathilde fut vraiment nationale et chrétienne.

« Tout y tendait, dit le cardinal Pitra, à l’exaltation du règne de Dieu par la grandeur de la France. Or, la grandeur de la France était fondée sur trois moyens principaux, employés concurremment : la réhabilitation et l’affermissement et l’éducation sociale du peuple ; et surtout la prospérité de l’Eglise indissolublement liée au bonheur d’un peuple chrétien. »

Pour atteindre ce triple but, elle commença par proclamer du consentement de tous les évêques, son fils aîné Clotaire, seul roi des Neustriens, des Austrasiens et des Burgondes. Son intention était de délivrer son peuple de l’oppression que les partages antérieurs du royaume avaient permis aux leudes d’exercer sur lui par leurs exactions : « La pieuse reine dit l’hagiographe, ou plutôt le Seigneur par elle, mit fin à une coutume abominable et impie. Dans les campagnes, un grand nombre d’habitants étouffaient leurs enfants au berceau ; aimant mieux les tuer que les nourrir, tant ils voyaient les impôts croître avec leur nombre, les charges s’aggraver et absorber toutes leurs ressources.

Fondations de monastères

Mais ce qui caractérise surtout la régence de sainte Bathilde, c’est l’ardeur avec laquelle elle s’employa à faire bâtir des monastères de religieux et de religieuses. Elle comprenait qu’elle ne pouvait mieux travailler au bonheur de ses sujets, qu’en leur ouvrant ces pieux asiles, où ils trouvaient avec les bienfaits de la civilisation une instruction suffisante et des exemples toujours féconds de travail et de vertu. Aussi, telle fut toujours la grande préoccupation de sa vie.

Sainte Clotilde avait fait bâtir sur les bords de la marne, en un lieu appelé Cala (Chelles) un monastère de religieuses. Mais le relâchement s’y introduisit peu à peu, après la mort de la sainte. Bathilde reprit cette fondation sur un plan plus vaste, et quand tout fut achevé, un grand nombre de jeunes filles de la plus haute noblesse vinrent y prendre l’habit sous la direction de Bertile, sainte religieuse que la pieuse régente avait demandée à sainte Telchide de Jouarre pour en faire l’abbesse du nouveau couvent. Bathilde elle-même se proposait de venir terminer ses jours dans cette retraite dès que son fils Clotaire pourrait prendre les reines du gouvernement.

L’abbaye fut dotée de magnifiques propriétés qui devaient chaque année lui permettre de soulager une foule de misères. Afin de rendre cette donation plus solennelle et d’en assurer l’effet. Bathilde signa de sa propre main et fit signer à ses fils l’acte suivant : « Au nom de la très sainte Trinité et en considération du dernier et redoutable jugement, nous défendons à quiconque aura dans la suite des âges autorité sur cet endroit de mettre la main sur quoi que ce soit des propriétés dont nous avons fait donation à ce monastère ; nous défendons aussi qu’on prélève sur ces biens aucun impôt. Que si quelqu’un a la témérité de contrevenir à nos ordres, qu’il sache qu’un supplice sans fin lui est réservé dans l’enfer avec le traite Judas, en punition de ses iniquités et de son avarice. » On remarquera que ce langage était loin d’ériger en droit l’appropriation des biens des couvents ; mais une chose terrible à penser, c’est l’anathème porté contre les violateurs impudents des droits les plus saints : ils seront condamnés avec Judas à expier dans l’enfer leur cupidité sacrilège. Souhaitons aux malheureuses victimes de cette passion insatiable de ne pas apprendre un jour par des tourments sans fin la vérité de ces menaces.

La fondation de Chelles était destinée aux jeunes vierges ; celle de Corbie établit près d’Amiens une pépinière de religieux que leur sainteté éleva souvent malgré eux à l’épiscopat. Les premiers moines de Corbie vinrent de Luxeuil sous la conduite de Théodofrède, dont on admira plus tard les vertus épiscopales. Quant au monastère, Bathilde le fit tout entier construire à ses frais et le dota de propriétés qui devaient en assurer l’existence ; aussi la mémoire de la sainte y fut toujours en bénédiction tant que les pieux accents des moines sanctifièrent ce lieu béni.

En un mot, dit l’abbé Darras, la trace de ses bienfaits est marquée dans les archives de toutes les grandes abbayes de son temps, Luxeuil, Jumièges, Fontenelle, Jouarre, Saint-Denys, Saint-Germain et Saint-Vincent de Paris, Saint-Médard de Noyon, Saint-Père de Chartres, Saint-Martin de Tours, Saint-Aignan d’Orléans, Saint-Faron de Meaux.

« Un jour, continue l’historien, à Fontenelle, saint Wandrégisile fut averti par le cellérier que les provisions étaient épuisées, et que le lendemain, les quinze cents travailleurs, enrôlés sous la direction des neuf cents moines de l’abbaye, allaient se trouver sans un morceau de pain. Or, durant la nuit, des chariots pleins de blé, de farine, de provisions de toute sorte arrivaient au monastère. Bathilde avertie en songe de la détresse des serviteurs de Dieu, leur envoyait ce subside inespéré et se constituait leur providence visible.

« Saint Frobert dans son abbaye de Moutier-la Celle, à Troyes, reçut fréquemment de pareils subsides.

Curbion, ou le Moutier-Saint-Lomer, près d’Alençon fut doté de la grande villa de Nogaret. Bathilde lui donna encore des sommes importantes, des joyaux et jusqu’à son écharpe de reine ; « car, dit son biographe, elle abandonnait tout avec un visage aimable et débonnaire, selon le mot de l’Ecriture : Dieu aime qui donne joyeusement.

Sa charité ne s’arrêtait point aux limites du royaume. Ses aumôniers parcouraient les côtes d’Irlande, d’Italie et d’Espagne pour racheter partout les captifs, victimes malheureuses des guerres de cette époque. Bathilde envoyait de royales offrandes aux basiliques de Rome ; elle venait en aide au trésor pontifical, épuisé lui-même par les secours à distribuer aux malheureux Siciliens dont le territoire était ravagé par les Musulmans. »

Son zèle pour abolir la servitude

C’était avec la plus profonde douleur que la sainte voyait parfois vendre les captifs chrétiens. Elle donna des ordres dans toutes les provinces du royaume pour faire cesser ce trafic inhumain et c’est à elle que la France doit l’abolissement de l’esclavage. Elle donna souvent elle-même de larges aumônes pour obtenir leur délivrance, et quand elle les avait ainsi affranchis, elle leur procurait une honnête position dans le monde, ou le plus souvent leur inspirait le désir d’entrer dans la vie religieuse. Car elle avait reçu de Dieu une grâce merveilleuse pour gagner des âmes au service de Jésus-Christ, et ses insinuations entraient si avant dans les âmes, qu’il était impossible de se soustraire à l’attrait divin. « Il n’y a pas de doute, dit encore son biographe, que Dieu ne l’ait admise à jouir de cette gloire éclatante dont l’ange donna une idée à Daniel quand il lui dit que « ceux qui enseignent à grand nombre les voies de la sagesse, brilleront comme des étoiles dans les splendeurs de l’éternité. »

Sa retraite à Chelles

Mais pendant qu’elle réussissait ainsi à détourner du monde les âmes qu’elle avait éclairées sur ses vanités, elle se sentait elle-même éprise d’un désir toujours plus ardent de le quitter pour aller partager les douceurs de la retraite avec ses saintes filles de Chelles. On peut dire qu’elle n’appartenait plus au monde que de corps, car son cœur ne les quittait plus depuis bien longtemps.

Mais les seigneurs du royaume et les grands de la cour mettaient obstacle à ses desseins, heureux qu’ils étaient de jouir de ses conseils et de voir les affaires du royaume en si bon état sous sa direction. Cependant un incident fâcheux changea bientôt leurs dispositions. Ils ne pouvaient supporter l’orgueil de Sigoberrand, qui avait succédé au prince Chrodebert sur le siège de Paris, et dans un moment de fureur, ils le mirent à mort.

« La pieuse reine s’était opposée à cet attentat ; les leudes craignirent sa vengeance. Jusque-là elle les avait inutilement priés de consentir à sa retraite, mais cette fois ils allèrent au-devant de ses vœux, et lui permirent de quitter le palais des rois pour s’enfermer dans sa chère solitude de Chelles. »

Mais saint Ouen nous donne un autre motif de la retraite de Bathilde :

« Je crois pouvoir divulguer, dit-il, un fait miraculeux qui survint peu de temps après la mort du bienheureux Eloi. L’homme de Dieu apparut dans une auréole de gloire à un officier du palais, lui ordonnant de prévenir sans délai la reine Bathilde qu’elle eût à déposer les insignes royaux, ses ornements d’or et de pierreries.

Deux fois cette vision se renouvela, sans que le message fût accompli. Une troisième fois, Eloi apparut encore ; il réitéra ses ordres d’un ton plein de menaces, mais l’officier n’osa toujours pas rompre le silence. Alors il fut saisi d’une fièvre ardente, et la pieuse reine l’étant venue visiter, il lui révéla tout.

Une guérison subite suivit cette confession. Bathilde, de son côté, n’hésita plus : elle envoya au tombeau de saint Eloi ses bracelets d’or, ses joyaux les plus précieux, son manteau royal ; distribua aux pauvres le reste de son trésor, et laissant le gouvernement de l’Etat aux mains de son fils Clotaire III, alors âgé de quatorze ans, elle se remit elle-même sous la direction de sainte Bertile au monastère de Chelles. »

Ses vertus religieuses. – Vision qui précède sa mort

Sainte Bathilde s’était montrée grande sur le trône ; elle ne le fut pas moins dans l’humble retraite qu’elle avait choisie pour y être oubliée du monde.

Ce fut avec une joie inexprimable que les religieuses de Chelles reçurent une reine qu’elles considéraient déjà comme une sainte. Mais Dieu, qui voulait la sanctifier plus complètement par les épreuves, permit qu’à l’enthousiasme avec lequel elle avait été accueillie succédant bientôt une indifférence voisine du mépris.

Elle fut pendant quelque temps l’objet de soupçons de procédés peu charitables. Ses sœurs ne lui ménageaient pas les réprimandes, et il semblait qu’elles eussent pris à tâche de l’humilier en toutes rencontres. Mais la sainte en louait Dieu, et le remerciait de lui avoir donné ces occasions de mérite. Sorties victorieusement de cette épreuve, elle jouit de la paix la plus inaltérable, et la conduite de ses sœurs à son égard devint toute différente.

Elle n’en continua pas moins de vivre dans la plus profonde humilité. Les moindres signes de la volonté de l’abbesse étaient pour elle des lois, et bien loin de se faire imposer l’obéissance, elle mettait tous ses soins à en prévenir même les désirs. Elle, qui avait autrefois vécu dans une telle opulence, sollicitait maintenant comme une faveur d’être employée au service de ses sœurs à la cuisine, et de remplir les fonctions les plus rebutantes du couvent.

Pendant qu’elle mettait tout son bonheur dans ces offices d’humilité, Dieu la jugea digne d’aller recevoir au ciel la récompense de ses travaux. Elle fut atteinte d’une maladie, qui, en peu de jours, la conduisit au tombeau. Tout le monde admira sa douceur et sa patience pendant ces douloureux instants. Elle recommanda à l’abbesse d’avoir grand soin d’entretenir les relations d’amitié qui existaient entre le roi et les grands de la cour : « Il importe, lui dit-elle, que cette sainte maison ne perde point la renommée qu’elle a eu jusqu’en ce jour ; mais, qu’on use envers tous les amis du couvent de la plus affectueuse charité, et que l’amour de Notre-Seigneur et du prochain fortifie de plus en plus les rapports que l’on aura avec eux. » Elle recommanda surtout d’avoir toujours la même ferveur dans le soin des pauvres étrangers.

Craignant pour une jeune fille encore pleine d’innocence et qu’elle avait levée des fonts du baptême, le souffle contagieux du monde, elle obtint que cet ange de pureté la précédât au ciel.

Dieu la favorisa alors d’une vision remarquable. Il lui semblait voir une échelle dressée sur l’autel de la Sainte-Vierge, dont le sommet touchait au ciel. Des anges la prirent et lui en firent monter tous les degrés : plus elle avançait, plus elle était inondée de clartés. Cet avant-goût du ciel la remplit d’une telle consolation qu’elle oublia toutes ses souffrances pour se recueillir uniquement en son Bien-aimé ; elle allait enfin entrer en possession du trésor que lui avaient acquis son humilité et sa charité.

Ne voulant point par cette révélation jeter dans la tristesse l’abbesse et les religieuses, elle défendit aux sœurs qui l’assistaient et qui avaient été témoins de la vision miraculeuse d’en rien raconter jusqu’à ce qu’elle eût rendu l’âme.

Lorsqu’elle vit que le moment de sa délivrance était arrivé, elle joignit les mains, leva les yeux au ciel, et, dans une fervente prière, remit son âme entre les mains de Dieu.

Aussitôt une lumière éclatante entoura son lit, et les sœurs qui étaient présentes virent son âme monter au ciel au milieu des plus suaves concerts.

Puisse cette protectrice de la France intercéder auprès de Dieu pour le pays qu’elle aima tant et dont elle fit la grandeur par ses vertus héroïques !