Saint Barbe

Fête le 4 décembre

Ce que Dieu garde est bien gardé


Sainte Barbe, en latin Sancta Babara, est une des saintes les plus populaires et pourtant les moins connues. Elle est invoquée contre le tonnerre et contre tous les genres de mort subite ; elle est la patronne des mineurs, artilleurs, carriers etc., et presque tous les états qui emploient la poudre et taillent la pierre. Les historiens ne s’accordent pas sur le lieu de sa naissance ; on croit généralement qu’elle naquit aux environs de Nicomédie et fut en Orient une des dernières martyres des premiers siècles, sous l’empereur Maximin.

Son père Dioscore était un grand seigneur, riche, puissant, fier, brutal et fort adonné au culte des idoles. Il aimait sa fille comme le lion aime ses petits et ne pouvait supporter que nul autre que lui pût la voir. Pour la soustraire à tous les regards, il fit construire une haute tour, l’y enferma, et constamment il veillait sur elle avec une jalousie terrible, ne laissant approcher personne, comme l’artilleur ou le matelot veille sur le sanctuaire où il garde le trésor de ses canons, la poudre, et qui, sans doute pour cela, s’est appelé et s’appelle encore la sainte Barbe.

Il y a un maître aux regards duquel nul tyran ne peut soustraire sa victime et auquel tout véritable père doit aimer offrir son enfant ; ce maître, c’est Dieu. Il vint visiter la prisonnière, épanouit son cœur à la vie de la grâce et lui apprit à prier de cette prière instinctive que forme une âme pure et naïve avant même de bien connaître celui qui doit combler ses désirs. Barbe priait son Sauveur et son Maître, et Jésus exauçant sa prière la gardait plus sûrement que toutes les barrières ou toutes les tours les mieux fortifiées. Ce que Dieu garde est bien gardé ; les parents l’oublient beaucoup trop. Bien souvent même ils ne veulent pas de ce Dieu pour maître de leurs enfants et redoutent son appel plus que la mort.

Dioscore était païen, il ne redoutait guère ce Dieu invisible et ne pensait qu’à orner sa fille de ces qualités brillantes qui sont l’objet des ambitions humaines. Aussi, tout en la cachant aux regards des hommes, lui donna-t-il les maîtres les plus célèbres de son temps. Origène, le grand docteur de l’église, éclipsait tous les autres maîtres par la prodigieuse étendue de son savoir et l’éclat éblouissant de son éloquence. On croit qu’il eut parmi ses auditeurs la fille de Dioscore, et en révélant à son élève les secrets de la science humaine, il alluma en son âme le flambeau de la foi et l’enthousiasme des mystères chrétiens.

L’enfant grandissait ainsi dans la science et dans la vertu, et, la candeur de son âme venant illuminer la beauté étincelante de ses traits, elle devint une des femmes les plus accomplies de son pays.

Dioscore était fier de sa fille et voulut la marier selon son gré. Il fit choix d’un riche et noble seigneur, mais pour la première fois il essuya de la part de Barbara un refus que ne purent vaincre, ni les instances, ni les tendresses. Il en fut profondément affecté, mais il dissimula sa colère et projeta un long voyage pour consonler sa douleur, espérant qu’à son retour il trouverait sa fille plus traitable. Avant de partir il donna l’ordre de combler tous les désirs de son enfant et de lui construire un bain magnifique au bas de la tour où il continuait à la faire étroitement garder.

D’après les plans de Dioscore, deux fenêtres seulement devaient éclairer ce bain. Barbe en voulut trois en l’honneur de la sainte Trinité et s’affectionna tellement en ce lieu qu’elle passait de longues heures. C’était là qu’elle jouissait de la parfaite solitude et qu’elle pouvait converser librement avec son Dieu. Elle aimait à faire vivre sous ses yeux ce Dieu d’amour, et Jésus se plaisait à la récompenser par les plus fréquentes apparitions. Tantôt il se confiait à elle, comme autrefois petit enfant il se confiait à sa mère, et alors c’était l’allégresse, c’étaient les cantiques angéliques qui retentirent à Bethléem. Tantôt il apparaissait dans les angoisses de l’agonie ou les souffrances de la Passion, et allumait en son âme l’amour ardent de la croix.

Que de larmes de componction et d’amour versées en ce sanctuaire d’un nouveau genre ! ces larmes tombaient dans la fontaine comme des perles précieuses et lui communiquaient une vertu surnaturelle. Tous les malades qui descendaient ou étaient portés en ce bain en ressortaient guéris.

La sainte vénérait avec amour les croix qu’elle avait fait graver sur la muraille, puis se tournant vers les nombreuses idoles de son père, elle lançait contre elles ces imprécations : « Que tous ceux qui vous fabriquent deviennent semblables à vous, ainsi que tous ceux qui vous adorent ou placent en vous leur confiance. » Souvent elle purifiait les murs en les marquant du signe du salut. Un jour qu’elle marquait ce signe du bout des doigts sur un pilier de marbre, ses doigts pénétrèrent dans le marbre comme ils seraient entrés dans le sable et la croix y resta gravée en caractères indélébiles. La prison du château était devenue un véritable paradis.

Cependant Dioscore revint. A la vue de ces trois fenêtres qui ouvraient sur le bain, alors qu’il n’en avait commandé que deux, il fut fort surpris et demanda raison à sa fille de ce changement. Barbe sourit, et montrant à son père et ces trois fenêtres creusées dans la tour et tous les emblèmes tracés sur la muraille, elle en prit occasion pour lui parler de la très sainte Trinité et lui expliquer les mystères de l’Incarnation et de la Passion de notre Sauveur. Elle le fit avec tant de grâce et de simplicité que le père n’en croyait pas ses oreilles ; il essaya d’abord de combattre, mais le courage et la fermeté de Barbe lui ôtèrent bientôt toute illusion : sa fille était chrétienne.

Transporté de colère, il voulut immédiatement offrir son enfant en sacrifice à ses dieux, et, tirant son épée, il se précipita sur elle ; mais elle parvint à s’enfuir, évitant ainsi à son père un crime épouvantable.

Dioscore la poursuivit le glaive à la main, il l’accule contre un rocher, il va l’atteindre ... Le rocher s’ouvre de lui-même, laisse passer la pauvre fille éperdue, puis il se referme devant l’idolâtre et le laisse étonné.

Est-ce ce miracle qui a fait choisir sainte Barbe pour patronne des carriers et des tailleurs de pierre ? Voudraient-ils obtenir d’elle le pouvoir de commander au marbre ou aux rochers ? ... Ils riront sans doute de ma naïve question ... Quoiqu’il en soit, le roc avait obéi, et sainte Barbe était sauvée ; mais son père n’était pas converti.

La honte d’avoir pour fille une chrétienne, et plus encore la peur de voir tous ses biens confisqués, alimentait sa colère, et repris bientôt ses poursuites avec une nouvelle rage. Deux bergers lui révélèrent l’asile où s’était cachée la fugitive ; il y courut aussitôt, la saisit violemment, la jeta par terre, la foula aux pieds, et, la prenant par les cheveux, la traîna jusque dans sa maison, où il la fit étroitement garder par des soldats. Après de nouvelles scènes, après les plus cruelles violences, désespérant de la vaincre, il la conduisit lui-même au tribunal du préteur Marcien et exigea du juge le serment solennel de la traiter selon toute la rigueur des lois.

Marcien n’avait pas besoins d’être encouragé dans ses fonctions de persécuteur ; les édits de l’empereur et le soin de sa fortune suffisaient bien pour le rendre inexorable. Néanmoins il parut un instant avoir pitié d’une enfant si jeune et si délicate et essaya par des promesses de la détourner de ce qu’il affectait d’appeler ses superstitions. Mais que peuvent les promesses ou les flatteries de l’homme sur un cœur qui a goûté les promesses et les joies du ciel ? - Arrive aux menaces et aux tortures, cruel tyran, car tes flatteries et ta pitié sont impuissantes sur cette vierge du Christ. - Les tortures ne tardent pas. L’humble vierge est dépouillée de ses vêtements, frappée en tous sens à grands coups de nerfs, puis ses blessures sont frottées cruellement avec de rudes cilices, de sorte que son sang jaillissait de toutes parts et que son corps ne fut bientôt qu’une plaie livide.

La cruauté du préteur ne fut assouvie que lorsque la pauvre victime, déchirée, broyée, resta comme morte sous les coups de ses bourreaux. Il la fit alors transporter dans le cachot le plus infecte de ses prisons. Jésus vint y visiter son épouse ; il releva ses forces, guérit ses plaies, la combla de consolations et lui promit d’être toujours auprès d’elle dans la lutte, pour la rendre victorieuse de toutes les inventions de la barbarie.

Le lendemain, lorsque Marcien vit sa victime aussi saine dans son corps que forte par son esprit, il ne put s’empêcher de manifester son étonnement, et, feignant d’attribuer cette guérison à la puissance de ses dieux, il dit avec douceur à la sainte : « Les dieux de l’empire ont eu pitié de ta jeunesse, reconnais donc leur bonté, prosterne-toi devant eux et adore-les. » - « Comment ! s’écria la chrétienne dans un saint transport, es-tu assez aveugle, Marcien, es-tu assez insensé pour croire que tes idoles, qui doivent à la main de l’homme d’être ce qu’elles sont, aient eu assez de pouvoir pour opérer en moi cette merveille ? Non, non, ce n’est point à elles, c’est à mon Seigneur Jésus Christ, fils du Dieu vivant, que je dois cette grâce. Je l’en remercie, et c’est avec joie que je souffrirai la mort pour son amour. »

- « Puisqu’elle le veut, reprit froidement le préteur aux deux bourreaux les plus vigoureux, déchirez-lui les flancs avec des peignes de fer, et approchez ensuite des torches ardentes pour les brûler.»

Et, comme tous ces tourments ne réussissaient même pas à éteindre le sourire qui s’épanouissait sur les lèvres de la victime, il ordonna de lui décharger des coups de marteau sur la tête.

Efforts inutiles ! La sainte était comme ravie en Dieu et ne cessait de prier son Sauveur : « O bon Jésus ! vous qui voyez le fond des cœurs, vous voyez que j’ai mis toute mon espérance en vous, ne m’abandonnez pas. Que votre main secourable continue à me soutenir et à me fortifier, pour que je sorte victorieuse de ce combat.»

Cependant le juge irrité inventait de nouvelles tortures et ajoutait aux supplices précédents un supplice plus cruel encore, en lui faisant couper les mamelles !

La prière de la martyre continuait : « Mon Dieu, ne détournez pas votre face de moi et ne me privez pas de la présence de votre esprit.»

Tout à coup, du sein de la foule un cri s’élève ; la constance de la sainte étonne tous les spectateurs ; un des témoins, une femme nommée Julienne, frappée de tant de foi, vient de se convertir ; elle crie au juge : « Et moi aussi je suis chrétienne ! - Puisque tu es chrétienne comme Barbe, tu seras traitée comme elle, » reprit froidement Marcien. L’héroïne du Christ venait de conquérir par son courage un nouveau témoin de la foi. Désormais elles seront deux à rendre témoignage à Jésus.

La multitude elle-même commence à s’émouvoir ; il faut l’effrayer par un tourment nouveau et l’amuser, en infligeant à Barbe le supplice qui devait lui être le plus sensible : être exposée toute nue aux regards et aux risées de la populace.

Aussitôt, les licteurs reçoivent l’ordre de la dépouiller de ses vêtements, de s’armer de fouets et de la chasser devant eux à travers toutes les rues de la ville.

Le tyran se félicite de son invention et jouit déjà de son triomphe. Mais la prière de la vierge chrétienne monte vers le ciel toujours plus vive et plus confiante : « Mon Seigneur et mon Roi, vous qui savez, lorsqu’il vous plaît, couvrir le ciel de nuages et envelopper la terre des obscurités de la nuit, cachez, je vous en supplie, la nudité de mon corps, afin que les infidèles n’aient pas sujet de faire des railleries sur votre servante. »

Aussitôt un globe de feu descendit du ciel et enveloppa la vierge très chaste d’un vêtement de lumière qui la déroba complètement aux regards des païens. Le juge, saisi de terreur et désespérant de vaincre cette femme, ordonna d’en finir et de lui trancher la tête, à elle et à sa compagne Julienne.

Dioscore était là, il avait suivi toutes les péripéties de ce long martyre, et, au lieu de l’émouvoir de compassion, toutes ces tortures n’avaient fait qu’endurcir son cœur et augmenter sa rage ; il vint réclamer le rôle de bourreau : « Je suis son père, elle ne doit pas mourir par d’autres mains que par les miennes. » Triste privilège qu’un tyran ne pouvait refuser. Il prit donc sa fille et la conduisit au lieu des exécutions, sur une montagne hors de la ville.

Parvenu au lieu du sacrifice, la victime se mit à genoux pour remercier son époux de l’honorer de la gloire du martyre et le supplia d’accorder leur requête à tous ceux qui le prieraient par son intercession. Une voix d’en haut se fit alors entendre et, après avoir assuré la sainte que sa prière était exaucée, elle l’invita à venir recevoir la couronne qui lui était préparée dans le ciel.

Pleine de joie, Barbe regarda son père et s’inclina doucement devant lui. Dioscore lui trancha la tête.

Quelques instants après, par un ciel sans nuages, la foudre éclate et va frapper Dioscore sur le chemin de sa demeure et Marcien sur son tribunal. L’ère des martyrs était close à Nicomédie.

Ce terrible châtiment qui semble mettre la foudre aux mains de la sainte, explique la dévotion des fidèles, qui, dans toute l’Eglise, recourent à sainte Barbe dans les grands orages et lui demandent d’être préservés, soit des coups de tonnerre, soit même de toute mort sans sacrements.

Surius raconte qu’en l’année 1448, à Gorcum, ville de Hollande, un certain Henri, homme fort dévoué à la sainte, fut surpris par un immense incendie et devint bientôt la proie des flammes. Le corps à moitié calciné, il s’écria : « Sainte Barbe, ne permettez pas que je meurs sans sacrements. » La sainte lui apparut aussitôt ; de son manteau elle écarta les flammes qui sans cela eussent bientôt achevé le pauvre moribond, le préserva de toute nouvelle atteinte et prolongea sa vie jusqu’au moment où le prêtre lui eut administré tous les sacrements.

Sainte Barbe fut en grand honneur dans toute la chrétienté et plus particulièrement en Lorraine. Elle avait un sanctuaire aux environs de Metz, dans le village qui porte son nom, et les ducs de Lorraine lui étaient aussi dévots que les pieux et bons Messins. Ils la visitaient souvent et recouraient à elle dans le danger. L’un d’eux, Claude, fils de René II, tomba percé de vingt deux blessures à la bataille de Marignan, fit vœu de lui porter un cierge du poids de son corps, s’il sortait vivant du combat ; il fut retrouver gisant sans connaissance sur le champ de bataille, mais il était sauvé. Dès le lendemain de son retour à Metz, le 8 mai 1519, il fit son pèlerinage avec un grand nombre de seigneurs, et, après avoir présenté à la sainte le cierge promis, il lui offrit une belle statue de grandeur naturelle. Toujours les Messins avaient été fidèles à leur patronne, et cette puissante patronne les gardait (1). L’ont-ils invoquée en 1870 ? Les gouvernements de notre pays eussent rougi alors d’invoquer les saints. Metz n’a pas osé invoquer sainte Barbe, et l’artillerie de la Prusse a écrasé l’artillerie française, et la Lorraine subit le joug de l’étranger, comme sa sœur l’Alsace, tandis que de la vie semble desséchée au cœur de la France, comme la sève au cœur des grands chênes que la foudre a frappés.

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(1) Metz a pour patronne principale sainte Glossinde, dont la chapelle était construite dans les remparts, qu’on portait en procession aux jours des grands périls, et à qui la cité devait de n’avoir jamais capitulé et d’être toujours restée jusqu’en 1870 « la Pucelle ». On ne voulut pas l’invoquer contre la Prusse. On eût rougi de la porter autour de ces murailles qu’elle avait toujours gardées. Ce que l’homme garde seul est toujours exposé.

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