Saint Antoine de Padoue

Fête le 13 juin


En face de la cathédrale de Lisbonne s’élevait autrefois un palais aujourd’hui transformé en une église qui est placée sous le vocable de saint Antoine de Padoue. C’est là que naquit, en 1195, don Ferdinand de Bouillon, de la grande famille du premier roi de Jérusalem.

Dès sa plus tendre enfance, don Ferdinand donna tous les signes d’une sainteté précoce. A cinq ans, il faisait vœu de virginité en l’honneur de la bienheureuse vierge Marie, et à dix ans, placé à l’école des clercs de Notre-Dame-del-Pilar, il édifiait tous ses compagnons et tous ses maîtres par sa piété et sa charité. Le démon, jaloux de son innocence, l’attaqua par toutes sortes de tentation ; un jour même, pendant que l’enfant était en prières dans le chœur de la cathédrale, il lui apparut sous une forme horrible. Sans se laisser effrayer, don Ferdinand traça de son doigt le signe de la croix sur le gradin du chœur. Mais au contact de cette main si faible, le marbre s’amollit tout à coup, et l’empreinte du doigt y demeura si profondément gravée, qu’aujourd’hui encore les pèlerins viennent vénérer dans la cathédrale de Lisbonne, la croix miraculeuse qui demeure comme le témoignage ineffaçable de la première victoire de notre saint.

Vainqueur dans ce glorieux combat, don Ferdinand comprit qu’il n’était point fait pour le monde et il entra chez les chanoines réguliers de Saint-Augustin. Après un noviciat de deux ans, il fut envoyé au couvent de Sainte-Croix à Coïmbre où, pendant huit ans, on le vit étudier sous des maîtres célèbres, venus de l’Université de Paris, la philosophie, la théologie, l’Ecriture sainte, et les Pères.

Mais l’amour de l’étude ne ralentissait pas chez le saint les élans de la piété, et Dieu voulut récompenser son serviteur par un nouveau miracle.

Une nuit de Noël, le jeune religieux était retenu à l’infirmerie par les devoirs de sa charge, quand les cloches du monastère donnèrent le signal de l’élévation. Possédé d’un ardent désir de voir son divin Sauveur naître en quelque sorte sur l’autel comme autrefois dans la crèche, il se met à genoux ; aussitôt les murs s’entrouvent, l’autel apparaît, et il peut adorer dans la réalité de son corps et de son sang, l’agneau qui descend du ciel pour le salut du monde.

Les chanoines vénéraient le jeune religieux dont ils admiraient tout à la fois la science et les vertus, et ils fondaient sur lui de très grandes espérances. Don Ferdinand ne devait pas les démentir. Mais Dieu qui l’avait envoyé au couvent de Sainte-Croix le destinait à une nouvelle famille religieuse, et il laissait aux Augustins la gloire d’avoir préparé Saint Antoine de Padoue, comme il réservait aux fils de Saint-Benoît celle d’élever saint Thomas d’Aquin.

Pendant que don Ferdinand se trouvait à Sainte-Croix, cinq pauvres religieux vinrent frapper à la porte du couvent. Ils appartenaient à l’ordre de Saint-François, encore peu connu en Espagne ; ils allaient en Afrique combattre par la parole les infidèles que les chevaliers de la croix combattaient par l’épée. A la vue de ces pauvres mendiants, don Ferdinand, attiré vers eux par une force irrésistible, se sentit frappé au cœur, et il rechercha leur amitié avec une tendresse inquiète et une sorte d’amour.

Quelques mois plus tard, les pauvres franciscains qui étaient passés inconnus à Coïmbre, y rentrèrent dans une pompe triomphale. Ils avaient trouvé le martyre sur la terre qu’ils étaient allés évangéliser, et leurs corps, que protégeait une puissance invisible, avaient été recueillis par un prince chrétien qui les avait renvoyés en Espagne.

On transporta les reliques à Coïmbre, et l’on devait les déposer à la cathédrale, mais au moment où le cortège passait devant le couvent de Sainte-Croix, il s’arrêta tout à coup, et la mule qui portait la châsse entra dans l’église, et, arrivée devant une chapelle, elle s’agenouilla sans qu’on pût la faire relever. Dieu manifestait sa volonté d’une manière trop éclatante, pour ne pas être obéi ; sur le champ, on plaça les corps des saints dans cette chapelle qui leur avait été miraculeusement réservée et où on les vénère encore aujourd’hui.

Le sang des martyrs est une semence féconde ; don Ferdinand le comprit, et, dans l’espoir de partager le sort glorieux des étrangers qu’il avait vus si chétifs et si obscurs, il se sentit entraîné vers un ordre où il pourrait donner son sang pour Jésus-Christ.

Le prieur de Sainte-Croix fut douloureusement ému quand il apprit ce dessein, mais l’appel de Dieu était manifeste ; il consentit à cette séparation. Les chanoines voulurent cependant que le frère Antoine, (c’était le nom qu’avait choisi le nouveau frère mineur), prit l’habit dans leur église, et, en souvenir de cette touchante cérémonie, chaque année à la fête de saint Antoine de Padoue, c’est un chanoine de Sainte-Croix qui va prêcher la panégyrique au couvent d’Olivarès, et, après l’office, c’est lui qui préside au réfectoire la réunion des frères mineurs.

Le frère Antoine demeura deux ans au couvent d’Olivarès, et il obtint, selon son désir, la permission d’être envoyé en Afrique, où il espérait conquérir la couronne des martyrs, comme les pauvres franciscains dont il avait vénéré les reliques au couvent de Sainte-Croix.

Dieu n’accepta pas ce sacrifice, et à peine le saint était-il arrivé sur la côte d’Afrique, qu’une fièvre violente vint l’obliger de s’arrêter sur le seuil de cette terre qu’il espérait féconder de son sang. Quelque temps après, un ordre de ses supérieurs le forçait à se rembarquer pour retourner en Espagne.

Une tempête rejeta le missionnaire sur les côtes de Sicile. C’était l’année où devait avoir lieu le chapitre général des franciscains dans les plaines d’Assise. Le frère Antoine s’y rendit dans le désir de voir le patriarche saint François, dont les milliers d’enfants, accourus de tous les points de l’Europe, allaient solliciter la bénédiction.

Affaibli par une maladie de quatre mois, épuisé par une marche de deux cents lieues, l’humble pèlerin arriva, inconnu, au milieu de l’immense assemblée d’Assise, et, pendant tout le chapitre, il demeura dans un isolement absolu. Tout le monde se séparait, et personne n’avait fait attention au pauvre religieux qui, abandonné au milieu de cette foule, attendait qu’on lui donnât une destination, quand enfin, le Provincial de la Romagne l’aperçut et l’envoya à l’ermitage de Monte-Paolo, qui était un couvent de frères convers. Le frère Antoine obéit, et, arrivé dans son nouveau monastère, il se jeta aux genoux du gardien pour demander un emploi. On le chargea de laver la vaisselle et de balayer la maison.

Pendant le carême de 1222, il fut envoyé à Porli. Un jour, comme des dominicains étaient de passage dans le couvent, le P. gardien pria les hôtes d’édifier le repas par un sermon ; ils s’en excusèrent, et comme aucun des frères n’osait prendre la parole sans s’être préparé, le supérieur envoya chercher à la cuisine le frère Antoine. C’est un homme simple et sans lettres, se dit-il, s’il parle mal, on le lui pardonnera facilement, et d’ailleurs, c’est un homme de Dieu, il nous édifiera toujours.

Le frère Antoine monta sur la chaire du lecteur, et il commença son discours avec la simplicité qui convenait à un pauvre religieux. Mais ce fut en vain que son humilité essaya de dissimuler son éloquence. Peu à peu sa voix prit plus d’assurance, sa parole devint rapide, pressée, enflammée, son corps usé par la maladie et les austérités se redressa. Les frères, muets d’étonnement, étaient suspendus aux lèvres du prédicateur ignoré qui se révélait à eux d’une manière si inattendue, et ils écoutaient avec une profonde admiration le pauvre religieux qui commentait les passages les plus difficiles de l’Ecriture et des Pères avec l’autorité d’un docteur. Quand le provincial fut informé de cette étonnante nouvelle, il nomma frère Antoine prédicateur de la Romagne, et saint François d’Assise, ravi de l’humilité de son jeune disciple, lui confia l’enseignement de la théologie.

Sur l’ordre de ses supérieurs, le saint alla enseigner tour à tour à Montpellier, à Toulouse, à Bologne et à Padoue ; partout il attira autour de sa chaire un nombreux et brillant auditoire d’étudiants. Mais cela ne suffisait pas au zèle apostolique de saint Antoine. Malgré toutes les fatigues du professorat, on le vit prêcher dans les villes et les campagnes, portant partout des fruits de salut. Les foules, avides de l’entendre, se pressaient autour de lui, et sa parole enflammée produisit une impression si profonde, qu’après tous ses sermons les prêtres ne pouvaient suffire pour entendre les confessions.

Le démon essaya plus d’une fois de troubler ces pieux exercices, mais tous ses artifices furent déjoués à sa grande confusion. Un jour, au milieu d’un sermon, il fit tomber l’échafaud sur lequel on avait placé la chaire, mais personne ne fut blessé, et saint Antoine après s’être relevé, continua tranquillement son instruction. Une autre fois, pendant que saint Antoine prêchait, il prit l’habit et la forme d’un voyageur et s’approchant d’une dame qui écoutait le sermon, il vint annoncer que son fils venait de mourir. Mais le saint avait reconnu le père du mensonge, et, du haut de sa chaire, il interpella vivement le malencontreux messager ; aussitôt le démon prit la fuite, et la dame, rassurée, put, sans crainte, entendre la fin du sermon.

Vainqueur du démon, saint Antoine le fut aussi des hérésies, et il mérita le surnom de Malleus hæreticorum. un jour, comme il prêchait devant une troupe d’hérétiques, il aperçut que ces opiniâtres se bouchaient les oreilles pour ne pas entendre ce qu’il disait. Interrompant aussitôt son discours, il pria l’auditoire de le suivre jusqu’au bord de la mer. Quand il fut arrivé sur le rivage, il appela les poissons : « Poissons de la mer, dit-il, puisque les hommes sont insensibles à la parole de Dieu et qu’ils se bouchent les oreilles pour ne pas l’entendre, je viens ici pour vous en faire part. Paraissez présentement hors de l’eau et confondez par votre attention la malice et la dureté des impies. » A l’instant une multitude innombrable de poissons parut sur le rivage, et le saint, après les avoir fait ranger en ordre devant lui, les exhorta vivement à bénir le Seigneur. Les poissons écoutèrent le sermon avec un profond recueillement, et quand il fut terminé, ils baissèrent tous la tête comme pour demander la bénédiction du saint. Saint Antoine la leur accorda, puis, se tournant vers les hérétiques qui n’avaient pas voulu l’entendre, il leur parla avec tant de force et d’efficacité, qu’abjurant leurs erreurs, ils changèrent à la fois de religion et de vie.

Le prédicateur qui triomphait de l’obstination des hérétiques parvenait aussi à transformer les pécheurs les plus endurcis.

Comme il confessait après un de ses sermons, un grand pécheur vint s’agenouiller près de lui, mais quand il voulut accuser tous ses crimes, ses larmes et ses sanglots l’empêchèrent d’articuler une seule parole. Touché de compassion, le saint lui dit : « Puisque vous ne pouvez vous confesser, écrivez vos péchés et apportez-les moi. » Celui-ci obéit, mais ce fut en vain que saint Antoine regarda l’écrit qu’on lui avait remis ; les larmes du pénitent avaient effacé les fautes du pécheur.

Une autre fois un jeune homme vint s’accuser d’avoir frappé sa mère ; le saint le repris vivement et lui dit que le pied qui avait frappé sa mère méritait d’être coupé. Ces paroles frappèrent le pénitent, et, quand il rentra chez lui, il se coupa le pied. Le saint, appelé à la hâte, fut obligé de remettre le membre amputé, et, par ce nouveau miracle, de calmer les appréhensions naïves de son pénitent trop scrupuleux.

Sa sollicitude s’étendait aussi à tous ceux qui étaient tourmentés par diverses tentations, et il lui arrivait souvent de lire dans les cœurs les secrets les plus cachés. Pendant qu’il était Provincial, Dieu lui révéla qu’un de ses novices, maltraité par le démon, était déjà vaincu et s’apprêtait à retourner dans le monde ; le saint, après avoir prié et pleuré, le fit appeler, et, lui ouvrant la bouche, il lui souffla dedans ces paroles : « Recevez le Saint-Esprit. » Au même instant la tentation s’apaisa, et le pauvre frère, délivré des attaques du démon, persévéra désormais en sa sainte vocation.

Notre-Seigneur voulut plusieurs fois témoigner lui-même à son serviteur combien ses œuvres lui étaient agréables. Le saint était en voyage, et il avait reçu l’hospitalité chez un homme de bien. Au milieu de la nuit, le maître de la maison, qui passait par hasard devant la chambre de son hôte, vit une grande clarté ; il entra sans mot dire, et il aperçut un bel enfant qui descendait vers saint Antoine à genoux, se mettait dans ses bras et lui faisait mille caresses. Le saint sut par révélation que son secret avait été découvert, et il pria son hôte de ne point le divulguer, mais malgré toute son insistance, la nouvelle de ce miracle se répandit, et l’iconographie, s’emparant de ce fait merveilleux, a représenté l’entretien de saint Antoine avec l’Enfant Jésus.

Le saint qui conversait si familièrement avec son Dieu avait reçu le don des miracles, et en particulier celui de prophétie. Comme il prêchait dans une ville de France, il rencontra un jour un notaire, dont les mœurs dissolues scandalisaient tous ses concitoyens. Tout le monde s’attendait à voir le prédicateur reprendre aigrement cet homme de ces dérèglements ; il n’en fit rien ; mais, s’arrêtant sur son passage, il le contempla un instant avec vénération et mit un genou en terre. Le notaire, croyant que le religieux se jouait de lui, alla le trouver tout en colère et le menaça de lui passer son épée au travers le corps. Saint Antoine répondit doucement : « Dieu vient de me révéler que vous serez un jour au nombre des martyrs, et c’est pour cela que je vous témoigne tant de respect. » Le notaire ne fit que rire, mais quelque temps après, dans un pèlerinage en Terre sainte, qu’il fit avec son évêque, il fut arrêté par les infidèles. Inspiré tout d’un coup du souffle divin, il se mit à parler avec tant d’énergie contre les superstitions de Mahomet que les Turcs irrités le jetèrent en prison, et, sur son refus d’abjurer, le condamnèrent à avoir la tête tranchée. Comme le martyr marchait au lieu du supplice, il se rappela la prophétie que le saint lui avait faite, et, rendant grâce à Dieu, il mourut en invoquant la puissante intercession de saint Antoine de Padoue.

La vie de notre saint présente beaucoup d’obscurité. Les miracles qu’il fit en Italie et en France marquent seuls son passage dans les villes qu’il évangélisa ; on sait aussi qu’il ne retourna plus en Espagne, si ce n’est dans deux circonstances bien extraordinaires.

Son père, qui avait occupé d’importantes fonctions publiques, avait, dans l’exercice de sa charge, donné de l’argent aux trésoriers du roi, et, se confiant dans leur bonne foi, il ne leur avait demandé aucun acquit. Quand on en vint au règlement des comptes, les trésoriers affirmèrent sur la foi du serment n’avoir rien reçu, et ils firent assembler le conseil des finances pour trancher cette affaire. Pendant que l’on jugeait le prétendu débiteur, saint Antoine de Padoue entra soudain dans la salle, dont les portes étaient restées fermées, et, s’adressant aux officiers prévaricateurs, il les interpella d’une voix tonnante : « Rendez promptement les deniers que cet homme vous a remis ; si vous n’obéissez pas à l’instant, vous attirerez sur vous la colère de Dieu et la vengeance sera terrible. » Saisis de frayeur, les trésoriers avouèrent tout, et donnèrent au seigneur de Bouillon ce qu’on lui réclamait. Quand le père, surpris d’abord par cette brusque apparition, fut revenu à lui, ce fut en vain qu’il chercha son fils pour l’embrasser ; le saint avait disparu.

Quelque temps après, un meurtre fut commis à Lisbonne, et le seigneur de Bouillon, accusé d’y avoir trempé, fut condamné au dernier supplice. Le frère Antoine était alors à Padoue, et il faisait oraison, quand il apprit, par une révélation divine, le danger que courait son père. Sans rien manifester à personne son émotion, il demande au gardien la permission d’aller se promener dans la campagne. A peine était-il éloigné de la ville, qu’un ange l’enleva dans les airs et le porta à Lisbonne. Le saint, apparaissant tout à coup devant le juge terrifié, lui demanda de ne pas faire périr des innocents. Le juge hésitait cependant à rétracter sa sentence, mais Antoine ne désespéra pas de vaincre son obstination. Il fit assembler toute la cour de justice, et, en présence de cette nombreuse assemblée, il ordonna au mort dont on poursuivait les assassins, de se lever de sa tombe. Celui-ci obéit, et, arrivé devant les juges, il proclama l’innocence des accusés ; puis, sans ajouter d’autre parole, il retourna dans son tombeau. Quand l’assistance fut remise de son émotion, on chercha partout l’homme de Dieu ; le saint était retourné à Padoue, où la cloche appelait les frères à l’office.

Ce ne fut pas seulement à l’égard de son père que saint Antoine manifesta une sollicitude si grande ; il prenait en mains la cause des opprimés, et, plus d’une fois, dans son zèle pour la justice, on le vit affronter la colère des tyrans.

Un des seigneurs féodaux les plus redoutés de l’Italie, Ezzelin, avait fait massacrer un grand nombre de Padouans qu’il entretenait à sa solde, en apprenant que Padoue s’était révoltée contre son autorité. A la nouvelle de cet attentat, saint Antoine alla trouver le tyran, et, d’une voix terrible, il lui reprocha sa cruauté et le menaça des supplices de l’enfer. On croyait qu’Ezzelin donnerait l’ordre de tuer l’importun qui lui reprochait si amèrement son crime. Il n’en fit rien, et, se jetant aux pieds du saint, il se passa sa ceinture autour du cou en guise de corde, et promit avec serment de s’amender. La contribution de ce pénitent inattendu ne dura pas longtemps.

Quelque temps après, Ezzelin envoyant auprès du saint, pour le tenter, une députation avec de magnifiques présents, mais il avait donné à ses gens la mission secrète de tuer le religieux s’il acceptait les richesses qu’on lui offrait. Saint Antoine, loin de répondre par des remerciements aux doucereuses paroles des envoyés, leur commanda de sortir immédiatement du couvent. « Je ne veux point, s’écria-t-il, d’un bien volé aux pauvres. » Ces gens s’éloignèrent tout confus, et, ne sachant quelle vengeance tirer d’un pareil affront, ils allèrent se plaindre à leur maître. « C’est un homme de Dieu, répondit Ezzelin, laissez-le, qu’il dise désormais tout ce qu’il jugera à propos. » L’histoire ne rapporte pas cependant qu’Ezzelin se soit converti en présence de cette fermeté inébranlable qui le remplissait d’admiration, il tyrannisa la Lombardie longtemps encore après la mort du saint et mourut dans son péché.

Au milieu de tous ses travaux apostoliques, le saint était assidu à remplir les moindres prescriptions de la vie religieuse, et, plus d’une fois, son observance de la règle lui fit accomplir des miracles.

Un jour qu’il était allé prêcher dans une ville voisine, les Frères le virent arriver à l’heure des matines, pour dire sa leçon, et quand il l’eut chantée, il disparut du chœur ; à ce moment même, il commençait son sermon. Une autre fois il annonçait la parole de Dieu devant un immense auditoire, quand il se rappela qu’il avait oublié d’avertir son supérieur pour se faire remplacer dans un office qu’il avait à remplir au monastère. Aussitôt il s’enveloppa de son manteau, s’inclina vers l’autel, et demeura muet sur la chaire ; il ne reprit la parole que lorsqu’il eut rempli l’office dont il était chargé au couvent.

Son amour de la pauvreté et son respect de la règle le portèrent à engager une lutte pénible contre le ministre général de l’ordre, frère Elie, qui, par des calculs trop humains, avait porté atteinte à la ferveur primitive et à l’esprit de saint François. Comme le supérieur ne voulait pas accepter les observations du saint, celui-ci alla se plaindre au Pape qui manda devant lui le supérieur infidèle. Quand le frère Elie voulut prendre la parole pour présenter sa justification, arrêté par une force surnaturelle, il ne put ouvrir la bouche. En présence de cet avertissement du ciel, le Pape n’hésita plus ; il déposa le frère Elie, et l’ordre franciscain reprit, avec la stricte observance de la pauvreté, la ferveur des premiers jours.

Tant de prodiges attiraient sur le saint l’attention du monde catholique, les multitudes accouraient pour entendre sa parole, et chaque fois qu’il prêchait, des jeunes gens vigoureux étaient obligés de lui frayer un passage à travers la foule, qui se précipitait sur ses pas, et cherchait avec avidité à toucher les franges de ses vêtements. A son approche, les marchands fermaient les boutiques pour l’entendre, tous les travaux cessaient, et le prédicateur inspiré, obligé de prêcher sur les places publiques et même dans la campagne, annonçait la parole de Dieu devant un auditoire qui s’élevait souvent jusqu’à cinquante mille personnes.

L’heure était venue où cette grande lumière allait cesser de briller. Déjà en 1230, l’humble religieux avait obtenu du Chapitre général l’autorisation d’être déchargé des gouvernements importants qu’on lui avait confiés. Mais les fatigues de sa vie apostolique avaient déjà épuisé ses forces, et, en l’année 1231, après les fêtes de la Pentecôte, il fut obligé de se retirer dans un petit ermitage, près de Padoue, nommé Champ de Saint-Pierre. La maladie fit de rapides progrès, et, au bout de quelques jours, le saint, sentant sa fin approcher, demanda qu’on le rapportât à son couvent de Padoue. Le peuple, averti de son arrivée, alla en masse à sa rencontre, et le malade ne put fendre les flots de la multitude qui s’empressait autour de lui pour baiser ses vêtements, et il dut s’arrêter, avec ses deux compagnons, dans des faubourgs de la ville, dans une petite maison qui appartenait au directeur des religieuses d’Arcela. Après avoir reçu les sacrements de l’Eglise et récité les sept psaumes de la pénitence avec les frères qui l’assistaient, il chanta l’hymne O gloriosa Domina, en l’honneur de la sainte Vierge, et il s’endormit tranquillement dans le Seigneur, le 13 juin 1231.

Au moment où il rendait le dernier soupir, les enfants, avertis de sa mort par une inspiration surnaturelle, parcoururent les rues de la ville en poussant des gémissements et en criant partout le saint est mort.

L’Eglise ratifia la canonisation que les anges du ciel avaient publiée par la bouche des enfants, et, l’année suivante, en 1232, le jour de la fête de la Pentecôte, le Pape Grégoire IX rangea au nombre des saints le frère mineur Antoine de Padoue. Le même jour, toutes les cloches de Lisbonne, mises en mouvement par une main invisible, célébrèrent le triomphe du saint que l’Italie avait ravi à l’Espagne.

Les reliques de saint Antoine furent déposées à Padoue, dans une église magnifique que l’on dédia au saint. Quand on ouvrit son cercueil, on trouva les chairs consumées ; mais la langue, qui avait répandu la parole de Dieu à travers la France et l’Italie n’avait aucune marque de corruption, et elle était aussi vermeille que si le corps avait été vivant.

Cette précieuse relique est conservée à Padoue, et chaque année le pèlerinage national peut les vénérer dans l’église des conventuels, d’où les révolutions qui ont agité l’Italie ne sont jamais parvenues à l’arracher.


VIE DE SAINT ANTOINE DE PADOUE EN GRAVURES


1. - S. Antoine, né à Lisbonne en Portugal, en 1192, entra à 15 ans dans une abbaye de chanoines réguliers. Il y était novice, quand les reliques des cinq premiers martyrs de l’ordre nouveau de St-François, transportées du Maroc à Coïmbre, passèrent par son couvent. Il fut si touché du désir de les imiter qu’il résolut d’entrer dans l’Ordre Séraphique, pour avoir comme eux l’occasion de souffrir le martyre.

2. - Entré dans l’Ordre de St-François, il fut, par les desseins de Dieu, conduit en Italie, où, cachant avec soin sa science des lettres et de l’Ecriture, il fut occupé aux plus humbles fonctions. Un jour cependant, comme des Dominicains étaient de passage dans son couvent, le P. Gardien pria les hôtes d’édifier le repas par un sermon. Ils s’en excusèrent. Antoine fut alors appelé de la cuisine par son supérieur pour remplir cet office, et, à l’étonnement de tous, fit éclater une grande science.

3. - Devenu la lumière de l’Ordre Séraphique, il fut employé à la prédication, et les miracles qui accompagnaient sa parole, la rendirent féconde en conversions. Un jour une femme, placée sur la terrasse de sa maison, l’entendit de la distance d’une lieue pendant qu’il parlait dans l’église. Une autre fois on l’entendit et on le vit, en un même instant, prêcher dans la chaire et chanter au lutrin.

4. - L’apôtre S. Paul, en parlant du mariage, dit que ceux qui embrassent cette voie se préparent bien des tribulations. La femme qui est représentée ici en fit la triste expérience. Son mari, après l’avoir durement battue, lui avait arraché presque tous ses cheveux, parce que, disait-il, elle avait une trop grande confiance dans les Enfants de S. François, et en particulier en S. Antoine. Elle recueillit les débris de sa chevelure et vint les présenter au saint, les larmes aux yeux. Emu de compassion, S. Antoine fit prier pour elle, et ses cheveux lui furent rendus.

5. - Les prédications de S. Antoine attiraient un tel concours qu’il dut prêcher en plein air. Un jour qu’il prêchait ainsi du haut d’une estrade, afin de n’être pas dérangé par les allants et venants, le démon résolut de troubler lui-même le sermon, et dans ce but fit écrouler l’estrade avec fracas. Une grande clameur s’éleva dans la foule, mais personne ne souffrit le moindre mal, et le saint n’en perdit pas une parole. Il profita au contraire pour montrer la bonté de Dieu et l’impuissance du diable.

6. - Le cœur de l’homme est plutôt dans l’objet de son amour que dans sa poitrine. Le gourmand le met dans son ventre, l’avare dans son coffre-fort. « Là où est votre trésor, là est votre cœur, » dit l’évangile. S. Antoine, expliquant ce texte à la mort d’un illustre avare, dit : « Ces paroles se sont réalisées ici, non seulement au sens moral, mais à la lettre. » On alla ouvrir le coffre du défunt et on y trouva, suivant la parole du saint, le cœur de l’avare palpitant au milieu des sacs d’écus.

7. - Un novice tenté du démon résolut de quitter l’Ordre Séraphique. A ce premier péché il en joignit un second, et vola à S. Antoine le livre des Evangiles annoté par lui pour la prédication. Le saint prie, et le diable, contraint par cette prière, arrête le fugitif au passage d’un pont et le menace de mort s’il ne rapporte pas le livre à S. Antoine. Il était juste que le conseiller du vol eût une part dans la restitution. Confus et repentant, le novice vint se jeter aux pieds du saint, rendit le livre, confessa son crime et devint un fervent et fidèle religieux.

8. - Devenu gardien du couvent du Puy-en-Velay, S. Antoine ne rencontrait jamais un certain notaire fort débauché sans le saluer profondément. Celui-ci crut qu’il se moquait de lui et le menaça un jour de son épée. Mais le saint lui annonça qu’il saluait en lui un futur martyr de Jésus-Christ. Le notaire se mit à rire. Cependant la prophétie s’accomplit bientôt après. Parti pour la Palestine avec un évêque, il fut pris d’un grand zèle pour la conversion des Sarrasins, leur prêcha la vérité et fut en effet martyrisé pour la foi de Jésus-Christ.

9. - On dit communément qu’à vouloir blanchir un nègre le barbier perd son savon. De même la conversion des pêcheurs invétérés dans le crime est fort difficile, puisque l’habitude devient comme une seconde nature. Mais la grâce de Dieu et les mérites des Saints peuvent tout. C’est ce que S. Antoine expliqua un jour à vingt-deux voleurs de grand chemin, qu’il convertit et dont il fit des brebis dociles, de loups ravisseurs qu’ils étaient.

10. - Les hérétiques d’Arimini refusent d’écouter Antoine ; il appelle les poissons, leur dit combien le Créateur a été bon de leur donner la mer pour vivre, les nageoires pour se diriger..., et de les avoir seuls conservés au déluge. Ils viennent, s’agitent en signe de joie, l’écoutent et se retirent après la bénédiction.

Cette muette obéissance des poissons convertit les plus obstinés. Exempla trahunt.

11. - Antoine commence la conversion d’hérétiques qui ne voulaient point reconnaître la présence réelle de notre Seigneur au Saint-Sacrement, en proposant à un mulet affamé d’adorer son créateur. L’animal quitte sa nourriture et se prosterne.

Les incroyants qui s’attachent si fort aux biens de la terre qu’ils n’en reconnaissent plus le Créateur, sont, hélas ! fort au-dessous des bêtes.

12. - Pendant que S. Antoine prêchait à Padoue, en Italie, son père, qui était à Lisbonne, en Portugal, fut accusé de meurtre, saisi par la justice parce que le corps d’un homme assassiné avait été trouvé dans son jardin. Averti par un Ange du danger où était son père, Antoine fut transporté surnaturellement à Lisbonne, et, ressuscitant le mort devant les juges, lui fit déclarer que ni l’accusé, ni aucun des siens, n’avait eu part à sa mort. Cela dit, il se rendormit paisiblement. Le lendemain, le saint se trouva de nouveau à Padoue.

13. - Le diable, pressentant tout le bien que va faire Antoine pendant le carême, s’efforce soudain de l’étrangler. S. Antoine se prend à réciter l’hymne à la Vierge : O gloriosa Domina, excelsa super sidera. La Mère de Dieu vient à son secours, et Jésus lui donne de nouvelles grâces pour faire des miracles.

Quand nous voulons bien faire, le démon multiplie ses efforts.

Prions la sainte Vierge.

14. - Le glorieux Antoine mourut à Padoue le 13 juin de l’année 1235, après avoir reçu les sacrements de l’Eglise et vu N. S. descendre du ciel avec sa très sainte Mère pour recevoir son âme. Il n’avait que trente six ans et n’était entré dans l’Ordre que depuis dix ans. Cet espace de temps lui avait suffi pour opérer tant de travaux et d’actions héroïques.

15. - A peine fut-il mort que les enfants de Padoue, sans y être excités par personne, s’écrièrent dans les rues : Le Saint est mort, le Saint est mort ! Cela fit assembler toute la ville, et l’on vit en un instant un nombre incroyable d’hommes et de femmes accourir au couvent pour adorer son saint corps. Il y eût des rivalités pour posséder sa glorieuse dépouille. Cependant les Frères Mineurs l’emportèrent, et il fut déposé dans l’église de Sainte-Marie, avec une magnificence extraordinaire.

16. - 52 ans après son trépas, les habitants de Padoue ayant fait bâtir une église en son honneur, l’on y transféra ses reliques. Toute sa chair fut trouvée consumée suivant l’ordinaire des corps, mais sa langue, qui avait servi à la conversion de tant de pêcheurs, était demeurée sans corruption, aussi rouge que si elle eût été vivante. S. Bonaventure, qui présidait la cérémonie, la baisa avec respect et la fit placer dans un reliquaire en cristal, où on la voit encore sans corruption.