Sainte Agnès

Fête le 21janvier


Agnès, l’une des quatre grandes vierges de l’Eglise romaine, triompha par le martyre à l’âge de treize ans.

Elle revenait un jour d’une des écoles où les jeunes filles étaient élevées (il y avait déjà à Rome des écoles pour les chrétiens) ; rencontrée par le fils du préfet de la ville, celui–ci en fut épris, et, pour la séduire, il lui envoya des bijoux ; celle–ci les repoussa comme chose très vile. Le jeune homme revint à la charge, lui faisant présenter les pierreries les plus précieuses, et lui fit proposer par ses amis des palais, des villas, une fortune immense.

On dit qu’Agnès lui fit répondre :  « Retire–toi de moi, source de péché, entretien de crime, aliment de mort, je suis déjà aimée par quelqu’un dont les joyaux sont autrement beaux que les tiens ; il m’a engagé à lui par l’anneau de sa foi, et sa noblesse, sa race, sa dignité, l’emportent de beaucoup sur toi. Il a posé son signe sur mon front, je n’accepterai jamais d’autre amant que lui. Déjà la chambre nuptiale est prête ; les concerts déjà se font entendre, et les chants en sortent d’une société de vierges. Sa mère est vierge, son Père ne connaît aucune épouse ; les anges le servent, les astres l’admirent ; ses parfums ressuscitent les morts ; à son toucher les malades guérissent. Je lui garde ma foi ; je me suis donnée à lui avec un immense amour. En l’aimant, je reste chaste ; en l’embrassant, je suis toujours pure ; en le prenant pour époux, je serai toujours vierge. Après, j’aurai des fils enfantés sans douleur, et ma famille s’accroîtra chaque jour. »

A cette réponse, le jeune homme se sent saisi d’une aveugle passion ; il en est dévoré, il en tombe malade. Les médecins viennent dire à son père les causes de son mal. De nouvelles propositions sont faites à la vierge du Seigneur. Agnès les repousse et déclare que rien ne lui fera rompre ses engagements avec son premier fiancé. Le père, convaincu que rien ne pourrait résister à sa dignité, s’enquit par des espions, appelés parasites, qui pouvait être le fiancé d’Agnès. On lui apprit qu’elle était chrétienne et dès son enfance sous le charme de procédés magiques qui la forcent à dire que Jésus–Christ est son époux.

Ravi de cette nouvelle, le préfet lui envoie de nombreux appariteurs pour la sommer de comparaître devant son tribunal. Il fait en secret les plus belles promesses, à quoi succèdent d’horribles menaces. La vierge du Christ ne se laisse séduire ni par les douces paroles, ni par les discours effrayants ; son visage reste imperturbable. Que le préfet cherche à l’attendrir ou à la terrifier, elle le regardait avec une sorte d’ironie.

Symphronius, se voyant ainsi méprisé, mande les parents d’Agnès ; mais comme ils étaient nobles et qu’il ne pouvait leur faire aucune violence, il leur parle de leur profession de chrétiens et les renvoie.

Le jour suivant, il mande Agnès, la fait comparaître devant son tribunal, et, voyant sa persévérance :

« Tu veux, lui dit–il, conserver ta virginité ? Eh bien ! tu vas être obligée d’aller dans le temple de Vesta, et là tu offriras les vénérables sacrifices le jour et la nuit. » Agnès répondit : « Si j’ai refusé ton fils, homme vivant et doué d’intelligence, comment peux–tu croire que je m’inclinerai devant des dieux privés de vie ? – J’ai pitié de ton âge, répliqua le préfet Symphronius ; réfléchis, et ne t’expose pas ainsi à la colère des dieux. »

Et Agnès : « Dieu ne regarde pas les années, mais les sentiments de l’âme. Mais je vois que tu cherches à m’arracher ce que tu n’obtiendras jamais de moi. Essaye donc tout ce que tu peux faire envers moi. »

Symphronius, le préfet, dit : « Choisis ; ou sacrifie avec les vierges de Vesta, ou bien je t’envoie avec les courtisanes dans une maison publique. Tu n’y trouveras pas les chrétiens qui t’ont ensorcelée avec leur magie. Ou bien donne–toi au culte de Vesta, ou bien accepte l’ignominie qui va rejaillir sur tes parents de ton supplice. »

Agnès, avec une grande énergie : « Si tu connaissais mon Dieu, tu ne t’exprimerais pas ainsi. Je connais la puissance de Jésus–Christ, mon souverain, et je me ris de tes menaces. J’ai foi que je ne me sacrifierai pas à tes dieux, et je ne serai pas profanée par aucune souillure étrangère. J’ai pour gardien de mon corps l’âme même du Seigneur. Le Fils unique de Dieu que tu ignores est mon inexpugnable rempart ; il m’est une sentinelle toujours vigilante, un défenseur sans défaillance. Tes dieux d’airain sont de vrais vases, comme des marmites, et quant à tes dieux de pierre, il faudrait les étendre dans les rues pour éviter la boue. La divinité n’habite pas dans des pierres inutiles, mais dans les cieux. Quant à toi et à tes semblables, si vous ne changez de chemin, vous serez tous condamnés au même châtiment, et, de même qu’on jette le métal au feu pour fondre les statues, de même vous serez condamnés au feu éternel, où vous subirez une éternelle confusion. »

A ces mots, le préfet ordonna de la dépouiller de ses vêtements et de la conduire dans une maison publique, précédée d’un crieur annonçant que la vierge Agnès, sacrilège envers les dieux, était condamnée à la prostitution. A peine dépouillée, elle avait défait sa chevelure, et voilà que tout à coup ses cheveux, poussant avec abondance, la couvrir tout entière, et leurs franges la protégeaient plus que ses vêtements même.

Entrée dans ce lieu de honte, elle y trouva l’ange du Seigneur prêt à la recevoir et à la protéger en l’enveloppant d’une lumière si éclatante que les yeux en étaient éblouis et que l’apercevoir était impossible : c’était comme le soleil dans sa splendeur.

S’étant prosternée pour invoquer le nom de Dieu, elle aperçut une robe très blanche, elle s’en revêtit aussitôt en disant : « Je vous remercie, mon Seigneur Jésus, vous qui, me comptant au nombre de vos servantes, m’avez envoyé ce vêtement. » En effet, il était si bien adapté au petit corps de la jeune vierge qu’on croyait qu’il avait été préparé par la main des anges.

La maison de débauche était transformée en maison de prière. Quiconque y pénétrait était forcé d’adorer cette manifestation lumineuse de la puissance divine. Le fils du préfet auteur de ses abominations voulut venir à son tour avec un certain nombre de ses compagnons de plaisir, espérant pouvoir insulter la vierge et satisfaire sa criminelle passion. Mais il trouve les jeunes gens entrés avant lui changés, de furieux qu’ils étaient, en admirateurs. Il leur adresse des reproches, les accuse de lâcheté ; il entre en se moquant au lieu où la vierge priait, il voit la lumière qui l’entoure, il n’en rend pas hommage à Dieu, il s’élance dans la lumière même ; mais avant d’avoir pu toucher Agnès, il tombe étouffé par le démon et il expire. Un de ses intimes familiers, trouvant qu’il reste bien longtemps, veut entrer pour le féliciter de son succès et trouve ce malheureux sans vie. Aussitôt il se met à crier : « Très pieux Romains (oh ! la belle piété) cette fille publique, par ses enchantements, a fait périr le fils de notre préfet. »

Cette nouvelle attira au théâtre près duquel était la maison de débauche une foule immense de peuple. Les uns disaient : « Cette fille est une sorcière. » Les autres : «  Non, elle est innocente. »

Le préfet, apprenant la mort de son fils, accourut, lui aussi, au théâtre, et, étant entré dans l’endroit où gisait le corps inanimé de son fils, il se mit à vociférer contre Agnès : « O la plus cruelle des femmes ! est–ce ainsi que tu as voulu faire sur mon fils la preuve de ton art sacrilège ? » Agnès répondit : « Celui dont il voulait accomplir la volonté, Satan , s’en est toujours emparé. Pourquoi les autres qui ont voulu s’approcher de moi sont–ils en parfaite santé ? Parce qu’ils ont tous honoré le puissant Dieu qui m’avait envoyé son ange protecteur, m’avait couverte du vêtement de sa miséricorde et gardé mon corps offert et consacré au Christ presque dès mon berceau. Ils voyaient la gloire du Christ, ils adoraient et se retiraient sains et saufs. Ce jeune impudent, à peine arrivé, est entré en fureur ; mais au moment où il étendait vers moi une main criminelle, l’ange du Seigneur lui a infligé la mort des damnés, comme tu le vois. »

«  – On verra bien que tu ne t’es pas servie de maléfices, si, par tes prières, tu rends mon fils à la vie. » Et la bienheureuse Agnès : « Bien que votre absence de foi ne mérite pas une telle faveur, il est bon que la puissance du Christ se manifeste. Sortez tous, afin que je puisse faire mes prières accoutumées. »

On sortit en effet, et, la vierge priant avec une grande ferveur, l’ange du Seigneur apparut de nouveau, lui donna un très grand courage et ressuscita le jeune homme. Celui–ci, à peine rendu à la vie , se mit à crier : « Il n’y a qu’un seul Dieu, maître du ciel, de la terre et des mers ; les temples ne sont rien ; les dieux qu’on y adore sont vains et ne peuvent absolument donner à personne aucun secours. »

Entendant de pareils discours, les prêtres et les aruspices s’émeuvent et soulèvent parmi le peuple une nouvelle sédition. On criait de tous côtés : « A mort la magicienne ! A mort la sorcière qui bouleverse les idées et rend fous les esprits ! »

Le préfet, voyant toute cette agitation, était dans la stupeur ; mais, craignant d’être compromis s’il faisait quelque acte contre les prêtres et s’il prenait la défense d’Agnès, il remit l’affaire à son vicaire Aspasius et se retira.

Aspasius fit aussitôt préparer un grand bûcher et ordonna qu’on y jetât la jeune vierge au milieu des flammes. A peine l’ordre accompli, les flammes se séparèrent en deux parts. Elles brûlaient le peuple révolté ; quant à Agnès, aucune ne l’atteignit. On attribuait encore le prodige non à la protection du ciel, mais aux enchantements de la vierge, et l’on poussait d’incessantes vociférations.

Au milieu des flammes, Agnès s’écriait : « O Dieu tout–puissant, adorable, digne de tout culte terrible, je vous bénis de tout ce que, par votre Fils Jésus, j’ai échappé au danger ; par lui, j’ai foulé aux pieds les souillures des hommes et les attaques du démon. Voilà que, par votre Saint–Esprit, une rosée rafraîchissante est tombée sur moi ; le feu ne m’a pas consumée, et l’ardeur de l’incendie se retourne contre ceux qui l’ont allumé. Le feu s’éteint à côté de moi, les flammes se séparent. Je vous bénis, ô Père digne d’être annoncé partout, de ce que vous me permettez d’arriver avec intrépidité vers vous à travers ces flammes. Voilà que je vois ce que j’avais cru, je possède ce que j’avais espéré ; ce que j’ai désiré, je l’embrasse. Je vous confesse avec mes lèvres, je vous désire de tout mon cœur et du fond de mes entrailles. Ah ! je viens vers vous, ô Dieu unique qui, avec votre Fils Jésus et le Saint–Esprit, vivez et régnez au siècle des siècles. Amen. »

Cette prière finie, le feu était si bien éteint, qu’on ne ressentait pas la moindre chaleur. Alors Aspasius, ne pouvant vaincre la sédition populaire, ordonna qu’on lui perçât la gorge avec un glaive, et c’est ainsi que le Christ se consacra Agnès, comme épouse et comme martyre, avec le sang virginal qu’elle répandit.

Ses parents, sans aucun regret, avec joie au contraire, transportèrent son corps à leur villa, près de la ville, sur la voie Nomentana, et comme la multitude de chrétiens y accourait, on eut à y subir les attaques des païens.

Presque tous, voyant le peuple infidèle arriver avec des armes, prirent la fuite ; quelques–uns, pourtant, ne s’échappèrent point sans avoir reçu des coups de pierre. Cependant, Emérentienne, sœur de lait d’Agnès, voulut rester immobile au milieu des coups. Cette vierge, très sainte, quoique seulement catéchumène, disait aux païens : « Misérables, cruels, vous tuez ceux qui adorent le vrai Dieu et vous massacrez des hommes innocents pour la défense de vos dieux de pierre. » Tandis qu’elle prononçait ces paroles et d’autres semblables, elle fut lapidée et rendit l’âme près du tombeau de la bienheureuse Agnès. Et l’on peut croire que, étant seulement cathécumène, elle fut baptisée dans son sang, répandu pour la gloire de Dieu et la foi de Notre–Seigneur Jésus–Christ.

Au même moment éclata un orage si violent que la foudre tua un certain nombre de ces hommes impies qui avaient donné la mort à Emérentienne. La nuit suivante, les parents d’Agnès vinrent avec des prêtres et donnèrent la sépulture à cette nouvelle martyre près du tombeau de leur fille.

Or, ces mêmes parents venaient souvent passer des nuits entières auprès du tombeau sacré. Pendant une de ces nuits, ils aperçurent une légion de vierges vêtues de robes tissues d’or s’avancer, entourées d’une éclatante lumière. Au milieu d’elles se trouvait Agnès, avec un vêtement merveilleux, et à côté d’elle un agneau plus blanc que la neige. Ses parents étaient dans une stupeur profonde, lorsque Agnès, ayant prié ses compagnes de s’arrêter un peu, dit à ceux–ci : « Gardez–vous de me pleurer comme si j’étais morte. Réjouissez–vous plutôt et félicitez–moi de ce que, avec toutes ces vierges, j’ai reçu un trône de lumière. Au ciel, je suis unie à Celui que sur la terre j’ai aimé de toute la puissance de mon cœur. » Ayant ainsi parlé, elle s’en alla.

Cette vision était publiée tous les jours par ceux qui en avaient été les témoins. Après un certain nombre d’années, elle fut rapportée à la princesse Constance, vierge très sage, mais dont le corps était couvert de plaies de la tête au pieds. On lui conseilla, pour rétablir sa santé, de venir au tombeau de la sainte, ce qu’elle fit pendant la nuit. Et bien qu’encore païenne, mais déjà la foi dans l’âme, elle répandait d’ardentes prières devant le tombeau béni. Cependant elle est saisie par un sommeil très doux, et elle voit en songe la vierge Agnès qui lui dit : « Agis constamment, Constance, et crois que Notre–Seigneur Jésus–Christ, Fils de Dieu, est notre Sauveur ; par lui, tu recevras la guérison de toutes tes plaies. » A ces paroles, Constance se réveilla entièrement guérie et il ne lui restait plus la moindre trace de son mal.

Rentrée au palais, elle raconta le prodige à Constantin Auguste, son père, et aux césars, ses frères. La joie fut universelle ; l’impiété des païens était confondue, la foi des chrétiens était dans l’allégresse. Cependant Constance prie son père de faire construire une basilique à l’endroit de la sépulture d’Agnès, afin qu’elle–même y fasse préparer son tombeau tout auprès.

La foi des chrétiens assurait que ceux qui, malades, venaient au sépulcre d’Agnès, étaient guéris. Qui peut douter, en effet, que le Christ ne rende la santé à ceux à qui il lui plaît ?

Constance resta vierge, et elle entraîna par son exemple une foule de jeunes Romaines à se consacrer au Seigneur.

Les religieuses de Sainte–Agnès sont encore aujourd’hui chargées de soigner les agneaux dont la laine sert à préparer les palliums que les souverains Pontifes font remettre aux archevêques comme signe de leur juridiction sur les évêques de leur province ecclésiastique.