Saint Adrien et ses compagnons

Fête le 4 mars


Au temps oł la persécution de Dioclétien et de Maximien sévissait davantage, des chrétiens ayant été surpris chantant des psaumes au Seigneur, furent amenés devant le tyran : en vain s’efforça–t–il de vaincre leur constance ; étendus sur le chevalet on les déchira à coups de verges, leurs chairs volaient en lambeaux ; mais, intrépides dans leur foi, ils proclamèrent Jésus–Christ jusqu’au dernier soupir.

A ce spectacle, un grand nombre de païens touchés par la grâce, renoncèrent aux faux dieux et confessèrent le Christ.

De ce nombre fut Adrien, chef des gardes et un des plus nobles de la ville.

Voyant la constance des martyrs, il leur dit :

– Je vous en conjure, au nom de votre Dieu, dites–moi la vérité. Quelle est donc cette gloire et cette récompense que vous attendez en échange de si cruels supplices ?

Les saints répondirent :

– Nous te l’avouons avec sincérité, la bouche ne peut exprimer, le cœur ne peut comprendre tout ce que nous espérons avoir un jour en partage.

Adrien, subitement transformé, dit au greffier :

– Mettez mon nom avec ceux de ces hommes respectables, car moi aussi, je suis chrétien.

L’Empereur devant lequel les accusés venaient d’être conduits, apercevant Adrien parmi eux, s’imagina qu’il voulait porter quelques témoignages contre les martyrs et dit :

– Ecrivez sur–le–champ l’accusation portée par notre cher Adrien.

Mais sur la réponse du greffier qu’Adrien venait de se déclarer chrétien, le tyran entra dans un violent accès de colère, et, s’adressant à Adrien :

– Demande–moi pardon promptement, lui dit–il, déclare que ces paroles t’ont échappé par surprise, et j’effacerai ton nom de la liste des condamnés.

Adrien répondit :

– Je ne veux plus désormais demander pardon qu’à mon Dieu des égarements de ma vie passée.

A ces mots, Maximien ordonna qu’il fût chargé de fers.

Cependant, un des serviteurs d’Adrien vint en toute hâte annoncer à Natalie, sa femme, ce qui était arrivé :

– Mon maître Adrien, dit–il, vient d’être jeté en prison.

Natalie, se lève, déchire ses vêtements :

– Quel crime a–t–il donc commis !

– J’ai vu livrer au supplice certains hommes à cause du nom de celui qu’on appelle Christ, reprend le serviteur, et mon maître a dit : Je mourrai volontiers avec eux.

A ces mots, Natalie fut transportée de joie, car elle était née de parents chrétiens, et jusqu’alors elle n’avait pas osé déclarer sa foi.

Elle court à la prison, se jette aux pieds de son mari, et baise ses chaînes avec transport.

– O Adrien, mon seigneur, dit–elle, sois bénis. Que le Christ te fortifie dans la lutte ; courage et persévérance ; les biens d’ici–bas ne sont rien : Dieu veut te donner les richesses éternelles ; ne te laisse pas amollir par les flatteries ; mais sois généreux comme ces saints qui t’environnent.

Puis avant de s’éloigner, elle baisa les chaînes des compagnons d’Adrien, au nombre de vingt–trois, et leur dit :

– Je vous en supplie, mes seigneurs, fortifiez cette brebis du Christ !

Quelques jours après, Adrien apprenant qu’il allait être appelé au tribunal, dit à ses compagnons :

– Souffrez que je me rende dans ma demeure et que j’amène ma sœur votre servante, car je lui ai promis avec serment de la faire assister à notre dernier combat.

Les saints y consentirent ; il donna donc une forte somme d’argent au gardien et sortit, laissant les martyrs pour garants de sa parole.

Natalie apprend que son mari vient d’être aperçu dans la ville. Croyant qu’il avait fui devant le martyre, elle en est toute terrifiée, des larmes amères coulent de ses yeux.

A ce moment, Adrien franchissait le seuil de la maison, mais elle, dans son désespoir, ferme brusquement la porte en s’écriant :

– Loin d’ici, loin de moi celui qui a déserté le camp du Seigneur et qui a menti à son Dieu !

Le bienheureux Adrien en entendant ces paroles, se sentait pénétré d’une ardeur toute nouvelle pour accomplir sa promesse. Il s’étonnait et était heureux à la fois. Mais voyant sa femme si cruellement affligée, il lui dit :

– Apaise–toi, Natalie, je ne me suis point soustrait au martyre ; loin de mon cœur une pareille lâcheté ; viens–donc, suis–moi ; l’heure du dernier combat est proche.

Natalie joyeuse alors, s’achemina vers la prison.

Dès qu’ils y furent entrés, elle se prosterna aux pieds des saints et baisa leurs chaînes avec respect. Ayant remarqué que leurs chairs étaient putréfiées par suite des meurtrissures, au point que les vers sortaient de leurs plaies, elle envoya ses servantes chercher des linges les plus fins et les plus précieux, pour laver les plaies des martyrs, de bander leurs membres qui étaient tout disloqués par le poids des chaînes. Elle demeura sept jours dans la prison priant et jeûnant.

L’ordre fut enfin donné de faire comparaître les martyrs devant le tribunal impérial. Les licteurs les placèrent tous attachés à une même chaîne sur des bêtes de somme, car leurs corps brisés par la torture ne pouvaient plus les soutenir. Adrien suivait les mains derrière le dos.

Le tyran voulut soumettre tous les martyrs à la torture, mais le chef des scribes lui ayant fait observer que leurs corps étaient dans un tel état de dislocation qu’il serait impossible de leur imposer ce nouveau supplice sans les faire mourir sur–le–champ, Adrien seul fut appelé.

Dépouillé de ses habits et couvert des vêtements des condamnés, il s’avança portant lui–même le chevalet sur ses épaules. Les martyrs l’encourageaient :

– Adrien, disaient–ils, voilà que tu es jugé digne de porter la croix et de marcher sur les traces du Seigneur !... Les souffrances de la vie ne sont rien en comparaison de la gloire qui nous est réservée.

Enfin, il fut introduit devant Maximien qui lui dit :

– Persistes–tu dans ta folie ?

– J’ai renoncé à la folie, et c’est pourquoi je suis prêt à sacrifier ma vie pour sauver mon âme.

– Sacrifie aux dieux immortels ; adore–les comme nous, reprit le tyran, ou si tu refuses, tu seras soumis à des tourments dont tu ne peux te faire l’idée.

Le bienheureux Adrien reprit :

– Empereur, je plains ton aveuglement. Pour moi, jamais je ne reconnaîtrai pour dieux des blocs de pierre. Fais donc promptement ce que tu as résolu.

Maximien donna l’ordre de le frapper de verges. La bienheureuse Natalie courut prévenir les saints :

– Mon seigneur vient de commencer son martyre, dit–elle.

Et eux se prosternant, adressèrent pour lui leurs prières au Seigneur, mort pour nous.

Déjà la chair du martyr tombait en lambeaux et son sang inondait la terre quand le tyran lui cria :

– Ce sont des hommes trompeurs qui t’ont enseigné cette doctrine.

Le saint répondit :

– Comment oses–tu appelé trompeurs ceux qui m’ont montré le chemin de la vie éternelle ?

L’empereur, furieux, commanda de frapper le martyr avec encore plus de violence. Mais le saint lui dit :

– En redoublant mes tourments, tyran sanguinaire, tu ne fais qu’augmenter l’éclat de ma couronne.

Quand Maximien vit le corps tout broyé, les entrailles répandues :

– Adrien, lui dit–il, je te ménage. Invoque seulement les dieux et je ferai aussitôt appelé les médecins pour panser tes blessures, et aujourd’hui tu seras avec moi dans mon palais.

– C’est en vain, repris le héros, que tu me promets le secours des médecins, les honneurs les plus grands, ton amitié et l’hospitalité dans ta demeure, je ne céderai jamais. Insensé ! que tes dieux me disent de leur propre bouche ce qu’ils feront pour moi !

– Nos dieux ne parlent pas, dit l’empereur.

– Prince impie, reprit Adrien, comment peux–tu donc forcer à sacrifier à des idoles muettes, des êtres doués de la parole ?

Le tyran, irrité, remit à plus tard l’exécution de sa vengeance ; il commanda de ramener les martyrs en prison et fixa un jour pour les interroger plus à loisir.

Les soldats entraînèrent aussitôt les saints, tirant avec violence ceux qui ne pouvaient pas se tenir debout, et traînant par terre ceux qui étaient entièrement épuisés.

Natalie soutenait elle–même Adrien, presque agonisant, et lui disait :

– Tu es heureux, Adrien, puisque tu as été jugé digne de souffrir pour Celui qui est mort pour toi !

Quand ils furent tous réunis dans la prison, les martyrs s’approchèrent d’Adrien pour le saluer, et ceux qui ne pouvaient plus marcher se traînaient sur leurs mains pour venir lui offrir le baiser de paix. Natalie essuyait son sang et pansait les blessures dont son corps était couvert.

Réjouis–toi, frère bien–aimé, lui disaient les martyrs, parce que ton nom est inscrit dans le livre des héros du Christ.

Adrien reprenait :

– Vous pouvez vous réjouir, mes frères, puisque vous avez vaincu ; priez pour moi, afin que le démon ne puisse rien contre mon âme, car je sens mon corps bien affaibli.

– Confiance au Seigneur, ajoutèrent–ils. Satan ne prévaudra point contre lui.

Les diaconesses et d’autres femmes nobles étaient restées dans la prison pour soigner les martyrs ; le tyran, l’ayant appris, en fut très courroucé et leur en interdit l’accès. Mais Natalie, s’étant fait couper les cheveux, revêtit une tunique d’homme et pénétra ainsi dans la prison, oł elle assistait les martyrs.

Quand elle avait accompli ce pieux devoir, elle s’asseyait aux pieds d’Adrien et lui montrait le ciel pour prix de ses combats.

Dès que les autres femmes apprirent que Natalie avait pénétré dans la prison, elles firent couper leur riche chevelure et comme elle, à l’aide d’un déguisement, apportèrent de nouveau leurs soins aux martyrs. Maximien apprit avec colère ce stratagème, et ayant su en même temps que les forces des saints s’épuisaient par la violence des douleurs que leur causaient leurs plaies envenimées, il ordonna d’apporter une enclume, de la placer sous leurs pieds et de leur briser les jambes avec une barre de fer, ajoutant :

– Je saurai faire en sorte qu’ils ne terminent pas leur vie par une mort ordinaire.

Bientôt les licteurs apportèrent les instruments du supplice. Natalie vint à leur rencontre et leur demanda de commencer par Adrien, de peur que cet affreux tourment infligé aux autres martyrs ne lui causât trop de frayeur.

Lorsque les bourreaux eurent placé l’enclume près du bienheureux Adrien, Natalie, lui saisissant le pied, l’étendit sur l’instrument fatal. Alors les licteurs, frappant de toutes leurs forces, lui coupèrent les pieds et brisèrent les jambes. Natalie lui dit :

– Je t’en supplie, serviteur du Christ, tandis que tu respires encore, étends aussi la main, afin qu’ils la coupent et que tu sois en tout semblable aux saints martyrs qui vont souffrir.

Adrien étendit aussitôt la main et la présenta à Natalie. Elle la plaça sur l’enclume et le licteur la trancha d’un seul coup.

A l’instant même, le valeureux soldat du Christ rendit sa belle âme à Dieu.

Il avait vingt–huit ans.

Les autres martyrs subirent le même tourment. En présentant leurs pieds aux licteurs, ils disaient :

– Seigneur Jésus, recevez notre esprit. Et en prononçant ces paroles, leurs âmes saintes et pures s’envolèrent vers le ciel.

Maximien ordonna que les corps fussent jetés aux flammes, mais la bienheureuse Natalie cacha sous ses vêtements la main de saint Adrien et suivant les licteurs qui emportaient les corps des saints, elle recueillait le sang qui coulait de leurs membres, pour en oindre son propre corps. D’autres femmes pieuses et d’une naissance illustre suivaient également et recueillaient le sang des martyrs sur des linges de grand prix et sur de la pourpre. Les habits mêmes des licteurs, teints du sang des martyrs, furent payés par les plus nobles matrones au poids de l’or ; elles sacrifiaient des pierres précieuses de la plus haute valeur pour se les procurer.

Lorsqu’on fut arrivé à la fournaise, les bourreaux jetèrent les corps des martyrs dans les flammes, pendant que toutes ces pieuses femmes criaient en pleurant :

– Grands saints, ne nous oubliez pas dans le lieu de votre repos.

Et tout à coup retentirent d’affreux éclats de tonnerre, auxquels vinrent se mêler la pluie, la grêle, la foudre et un horrible tremblement de terre. On eût dit que la ville allait être inondée par les eaux du ciel, et la violence de l’orage éteignit la fournaise elle–même. Les bourreaux étaient épouvantés. Quelques–uns prirent la fuite et d’autres, tombant la face contre terre, expirèrent sur le coup.

Les chrétiens enlevèrent alors les reliques des saints martyrs, car le feu les avait épargnés, au point que leurs cheveux mêmes n’avaient pas été brûlés.

Un homme religieux et honorable, nommé Eusèbe, vint avec son épouse se jeter aux pieds de Natalie et des autres chrétiens, les suppliant de leur permettre d’emporter les corps des saints à Bysance, oł eux–mêmes s’étaient réfugiés.

– Nous les emmènerons avec nous sur un vaisseau, dirent–ils, et nous les tiendrons soigneusement cachés dans nos demeures jusqu'à la mort du sanguinaire empereur ; alors, nous leurs rendrons les honneurs qui leur sont dus.

Tous les assistants y ayant consenti, on déposa les corps des saints dans un vaisseau qui les transporta à Bysance.

Mais Natalie conserva précieusement la main de son époux.

Elle l’enveloppa dans la pourpre et la plaça au chevet de son lit.

Quelques jours après, un personnage considérable de la ville vint trouver l’empereur, le priant de lui donner en mariage la noble dame Natalie qui possédait de grandes richesses et tenait le premier rang parmi les plus nobles matrones. On envoya près d’elle des femmes d’un rang distingué, pour la faire consentir à ce mariage. Elle demanda trois mois de réflexion, pendant lesquels elle résolut de s’enfuir et de se soustraire ainsi à l’alliance dont elle était menacée. Elle invoqua le secours de Dieu, le visage prosterné contre terre :

– Seigneur, mon Dieu, dit–elle, père des affligés, qui assistez ceux dont le cœur est dans la peine, abaissez votre regard sur votre servante. Auriez–vous oublié les chaînes dont votre serviteur Adrien fut chargé, lorsqu’il confessait la gloire de votre nom ? Souvenez–vous, Seigneur, de sa patience dans ces affreuses tortures et gardez l’épouse d’Adrien, qui veut désormais n’appartenir qu’à vous.

Ayant ainsi prié, elle s’endormit épuisée de lassitude et de chagrin. Dans son sommeil, un des saints martyrs lui apparut :

– La paix soit avec toi, Natalie, servante du Christ, lui dit–il. Aie confiance, Dieu ne t’a pas abandonnée ; nous n’avons pas oublié non plus toutes les souffrances et les fatigues que tu as endurées pour nous ; et à peine arrivés en la présence de Notre–Seigneur, nous l’avons prié de bien vouloir te réunir à nous prochainement.

Natalie demanda.

– Adrien, mon époux et mon seigneur, s’est–il présenté avec vous devant Jésus–Christ ?

– Il s’y est même présenté avant nous, dit le martyr. Hâte–toi donc de te lever ; monte sur le vaisseau qui t’attend et rends–toi promptement au lieu oł nos corps reposent, car c’est là que Dieu doit te visiter et te réunir à nous.

La bienheureuse Natalie abandonna tout ce qu’elle possédait, n’emportant avec elle que le coffre renfermant la main du martyr Adrien, et elle monta sur le vaisseau qui devait la conduire à Bysance.

Lorsque le tribun qui avait sollicité sa main eut appris son départ, il courut demander aide et protection à Maximien, et prenant avec lui une troupe de soldats, il poursuivit longtemps sur mer la servante du Christ. Il avait déjà parcourut près d’un millier de stades, quand il s’éleva tout à coup un vent contraire qui repoussa son navire et fit périr dans les flots plusieurs de ses satellites.

Cependant, vers le milieu de la nuit, l’esprit malin apparut à ceux qui naviguaient avec la bienheureuse Natalie ; il montait une espèce de vaisseau, dans lequel on croyait voir aussi des passagers et, imitant la voix du pilote, il leur dit :

– D’oł venez–vous et oł allez–vous ?

– Nous venons de Nicomédie et nous nous rendons à Bysance.

Le démon, sous la forme du pilote, répondit :

– Vous vous trompez complètement de route ; détournez le vaisseau sur la gauche.

Or, il disait cela pour les entraîner vers les écueils, et les perdre.

Les matelots tendaient déjà les voiles dans le sens indiqué par l’esprit des ténèbres, quand le bienheureux Adrien leur apparut porté, lui aussi, comme sur un navire. Il leur dit :

– Vous avez bien navigué jusqu'à présent ; n’écoutez pas cet imposteur !

Le malin esprit disparut aussitôt et Natalie, se levant, cria :

– Voici mon époux et mon seigneur Adrien !

Le saint disparut au même moment et, le vent étant propice, ils arrivèrent promptement au lieu oł reposaient les corps des saints martyrs.

Natalie descendit du vaisseau, s’approcha des saintes dépouilles, déposa la main d’Adrien sur son corps et resta de longues heures à genoux, absorbée dans la prière. Elle salua ensuite les frères et les sœurs, c’est–à–dire les chrétiens, et se recommanda à leurs prières. Les fidèles l’engagèrent vivement à prendre du repos, car elle était brisée de fatigue.

Et voici que pendant son sommeil, le bienheureux Adrien lui apparut et lui dit :

– Paix à toi, servante du Christ et fille des martyrs ! Viens maintenant avec nous, viens recevoir la récompense que tu as méritée.

Et Natalie rendit aussitôt son âme au Seigneur.

Quand les fidèles voulurent la réveiller, ils s’aperçurent qu’elle avait cessé de vivre. Ils se mirent en prières et la déposèrent auprès des martyrs.

Eux–mêmes, ayant renoncé au monde, se renfermèrent en grand nombre auprès de ces dépouilles sacrées, pour y vivre dans le jeûne et la méditation des merveilles dont ils avaient été les témoins.